S’appuyant sur des éléments bancals collectés par Amnesty International, plusieurs médias regroupés au sein de l’organisation Forbidden Stories imputent à Rabat l’espionnage massif de milliers de personnes à l’aide du logiciel Pegasus. Des voix s’élèvent pour s’étonner du peu d’éléments probants permettant d’étayer cette accusation.
Révélée par Amnesty internationale et Forbidden Stories, un consortium de 17 médias internationaux, l’affaire Pegasus a soulevé une vague de réactions indignées dans les opinions publiques occidentales. Près de 50 000 téléphones portables d’hommes politiques, de journalistes ou de militants des droits de l’homme auraient été espionnés par des pays utilisateurs de ce logiciel développé par la startup israélienne NSO. Etrangement, seuls onze pays ont fait l’objet d’accusations d’espionnage, alors même que près de 40 Etats, principalement européens, seraient clients de cette société dont le produit est conçu pour lutter contre le terrorisme et la criminalité organisée.
En France, le nom du chef de l’Etat, Emmanuel Macron, a un temps été évoqué avant que l’information ne soit démentie par un responsable haut placé de l’entreprise de cybersécurité implantée à Herzliya. Est-ce le retour au temps calme après la tempête ? De fait, si l’accusation a complaisamment été relayée dans les médias, les preuves de la charge, quant à elles, tardent à être fournies ou peinent à convaincre. Membre du consortium et premier journal à avoir repris les conclusions de Forbidden Stories, Le Monde est le fer de lance de cette campagne de « révélations » qui vise en particulier un pays : le Maroc. À en croire le quotidien national, un cinquième des cibles du logiciel, soit 10 000 numéros de smartphones, ont été ajoutées par le Royaume chérifien. Pas moins de 1 000 numéros français auraient ainsi été victimes de ce piratage massif par les services marocains.
Des preuves peu probantes
Face aux dénégations de Rabat – l’ambassadeur du Maroc à Paris réclamant, dans les colonnes du Journal du dimanche, dimanche 25 juillet, les « preuves » de l’implication de son pays et l’établissement de la « matérialité des faits » -, le journal a publié le 27 juillet un article étayé sur des éléments techniques fournis par le Security Lab d’Amnesty International. Un laboratoire dont il ne s’est donné la peine d’aller vérifier le fonctionnement. Et pour cause, la plus grande opacité entoure cette structure hébergée par l’ONG qui a déjà eu maille à partir avec le Maroc. Il y a tout juste un an, en juillet 2020, ce même laboratoire avait déjà accusé les services marocains d’avoir infecté avec Pegasus le smartphone d’un journaliste, Omar Radi, sans jamais pouvoir corroborer son accusation par des preuves tangibles.
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Et là encore, la démonstration est peu probante. L’auteur de l’article affirme notamment que seuls les téléphones fonctionnant sous IOS, le logiciel d’Apple, peuvent être piratés. Sur les 10 000 smartphones supposément espionnés par le Maroc, seuls les appareils iPhones ont donc été analysés en vue d’y détecter les traces d’une infection par Pegasus. Android, le système d’exploitation le plus répandu dans le monde, utilisé dans de nombreux smartphones, échapperait ainsi à toute possibilité d’analyse.
Sur le plan technique, les conclusions du Monde sont encore plus surprenantes. Selon le quotidien français, la trace d’une adresse mail suspecte a été retrouvée dans les smartphones analysés par le Security Lab d’Amnesty International. C’est elle qui signerait le crime du Maroc. Est-ce à dire que les clients de Pegasus n’utiliseraient qu’une seule adresse électronique pour aspirer les contenus de plusieurs milliers de smartphones ? Oui, selon les journalistes pour lesquels « les traces retrouvées dans ces téléphones prouvent donc qu’ils ont été visés par la même infrastructure technique d’attaque, propre à un client de Pegasus dont les intérêts géopolitiques s’alignent avec ceux du Maroc ». Problème : parmi les propriétaires des 1 000 téléphones français, nombreux sont ceux dont la convergence avec les intérêts du Maroc n’est pas possible à établir. Que vient faire le polémiste Eric Zemmour dans cette histoire ? Pire. Le listing attribué au Maroc comprend le numéro du Roi et de certains de ses proches !
« Les connaisseurs savent que c’est trop facile et bien commode d’accuser le Maroc »
Autant d’éléments qui rendent l’ancien patron du renseignement intérieur français, Bernard Squarcini, réputé proche des services secrets marocains, plus que dubitatif. Interrogé par Europe 1, ce bon connaisseur des coulisses du contre-espionnage estime même impossible que le Royaume chérifien soit impliqué dans un tel scandale, d’autant plus que « le Maroc est un partenaire pour la France ». Une approche qui rejoint celle du sénateur, Christian Cambon, pour qui « ces accusations sont des montages » (Le Point). Ou celle de Jean-Luc Mélenchon, le fondateur de La France insoumise, qui a réagi sur Twitter, estimant que « les connaisseurs savent que c’est trop facile et bien commode d’accuser le Maroc alors même que son roi a lui-même été espionné ».
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Pourquoi alors ces conclusions hâtives sur la base de faits aussi bancals, au risque d’envenimer les excellentes relations franco-marocaines ? Chakib Benmoussa, l’ambassadeur du Maroc en France, a également posé la question dans l’entretien qu’il a donné au Journal du Dimanche : « Ce listing de 50 000 numéros qui auraient subi une intrusion ou une tentative d’intrusion semble avoir été reconstitué. Mais comment ? Le groupe NSO affirme qu’il ne tient pas de listing… Pourquoi ce répertoire concerne-t-il certains pays, que l’on essaie de présenter sous l’angle d’États voyous et policiers, et pas d’autres, alors qu’une quarantaine au total sont censés avoir acheté ce programme, selon NSO ? » La réponse est peut-être à chercher du côté de ceux qui ont initié cette affaire.
Is fecit cui prodest ?
Dans son édition du 26 juillet, le journal Al Ahdath Al Maghribia dresse ainsi le portrait du fondateur de Forbidden Stories, Laurent Richard. Lequel est passé de producteur à la télévision à professionnel du ciblage médiatique animé par une véritable obsession pour le Maroc. Un temps proche du controversé cousin de Mohammed VI, le prince Moulay Hicham, il est surtout devenu un spécialiste de la collecte de fonds. Le principal soutien de Forbidden Stories n’est autre que les Open Society Foundations du milliardaire américano-hongrois Georges Soros, connu pour avoir financé des projets visant à déstabiliser des pays arabes. Mais on trouve également Luminate Building Stronger Societies, appartenant au milliardaire américano-iranien Pierre Omidyar, une fondation hollandaise de soutien de la radiodiffusion ou encore le fonds Investigative Journalism for Europe. Des soutiens financiers à faire pâlir de jalousie n’importe quelle organisation internationale.
Or, Al Ahdath Al Maghribia remarque que Forbidden Stories évite soigneusement d’enquêter sur certaines affaires, préférant braquer les projecteurs sur les pays ou les personnalités hostiles à ses généreux donateurs. Is fecit cui prodest selon le vieil adage juridique : et si, dans l’affaire Pegasus, le criminel était celui à qui le crime profite ?
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