La ministre de la transition écologique prétend que sa famille est victime d’une persécution médiatique. Mais si le montage financier par lequel le père de la ministre lègue de l’argent aux enfants de cette dernière est légal, il reste inacceptable sur le plan politique.
La ministre de la transition écologique est fragilisée par une affaire révélée par Disclose, un média indépendant enquêtant sur des sujets d’intérêt public. Souhaitant léguer une partie de sa fortune de son vivant, le père d’Agnès Pannier-Runacher a créé une société dont sont actionnaires les enfants de la ministre. L’argent est placé sur des fonds spéculatifs basés dans des paradis fiscaux dont les investissements incluent souvent des entreprises spécialisées dans les hydrocarbures. Un domaine que Jean-Michel Runacher connait bien puisqu’il fut longtemps un des dirigeants de Perenco, deuxième producteur français de pétrole brut.
Pour la ministre, toute cette affaire est une cabale politique et elle ne voit guère ce que l’on pourrait lui reprocher. Elle se victimise même lors de son intervention devant l’Assemblée nationale, mardi 8 novembre, arguant que l’on attaque sa famille et qu’elle a le devoir de la protéger. On ne peut lui reprocher de se soucier de la protection de ses enfants, mais quid de ses devoirs envers le pays et les Français ? Or, il se trouve qu’une situation peut parfaitement être légale et tout autant indécente et inacceptable politiquement. La référence à la légalité ne doit pas devenir une façon de respecter la lettre pour mieux violer le fond.
Une partie de la Macronie est passée maître dans cet exercice. On se souvient de l’affaire des Mutuelles de Bretagne pour Richard Ferrand, des soupçons de conflit d’intérêt qui pèsent sur Alexis Kohler et surtout du fait que tout ce petit monde est traité avec une grande mansuétude par la justice. Là où cela devient un art, c’est quand la quête d’avantages personnels permet de s’extraire de toute morale pour ne mettre en avant que la légalité. Après tout pourquoi pas, puisque cela fonctionne? Mais alors, dans ce cas, on s’abstient de faire de la politique, surtout si c’est pour passer son temps à faire la morale aux autres et à donner des leçons au peuple : trop fainéant, refusant les efforts, rechignant aux sacrifices, rétif à prendre sa part de l’effort commun… Sauf que ce n’est pas le cas. Ce sont sur les classes moyennes et les petits salaires que repose justement cet effort commun tandis que les plus riches s’en exonèrent. Ce qu’illustre parfaitement le montage financier mis au point par la famille Runacher.
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Ainsi, pendant que les gouvernements imposent la politique aberrante des éoliennes après avoir sacrifié le nucléaire, pendant que l’on fait un enfer des transports en commun tout en taxant l’usage de la voiture, le tout en expliquant à ces égoïstes de Français qu’ils sont trop accros aux énergies fossiles, la ministre en charge de la transition écologique voit ses enfants être grassement dotés grâce à une société basée sur des fonds domiciliés dans des paradis fiscaux et liés à une société pétrolière. Faites ce que je dis mais pas ce que je fais. Pour l’exemplarité on repassera. Dans son plaidoyer pro domo, Madame Pannier-Runacher passe ce fait sous silence. Pourtant il est au cœur du scandale et impacte sa crédibilité en tant que ministre.
Agnès Pannier-Runacher se défend en expliquant que rien ne l’obligeait à déclarer un patrimoine qui ne lui appartient pas et qui ne concerne que ses enfants. C’est vrai. Mais quand elle dit qu’elle ne bénéficie pas de ces fonds, c’est faux. Ne plus avoir de soucis concernant l’avenir de ses enfants est une des plus grandes richesses qui soit. Surtout à notre époque où une des principales angoisses des Français est l’état du pays qu’ils laisseront à leurs enfants. Ils voient trop souvent leurs gouvernants dilapider le patrimoine et le capital social de la France pour ne pas penser que leur sécurité sociale risque à terme d’être sacrifiée. Ce capital social en train de disparaitre est constitué par tout ce qui rend nos liens concrets : l’assurance maladie, les hôpitaux, notre système de santé, notre système de retraite par répartition, mais aussi notre système éducatif, nos entreprises publiques…
Ce qui détricote notre pacte social concrètement est connu et se résume en quelques mots : socialisation des pertes et privatisation des profits. Un exemple ? Prenons le projet de vente d’ADP (Aéroports de Paris), stoppé par le covid. Il s’agissait de séparer tout ce qui était rentable dans un aéroport, duty free et autres, pour le vendre au privé et de laisser à l’Etat le soin de continuer à renflouer l’entreprise déficitaire qu’est Air France en faisant en sorte que son entretien repose sur les impôts et taxes que payent les Français. Mais on pourrait aussi parler de la façon dont les autoroutes ont été privatisées. Il s’agit de brader le patrimoine des Français sans jamais réduire les charges. Ces mêmes élites, en multipliant les mauvaises décisions par pure idéologie et sans se soucier des conséquences, ont affaibli le pays : la question du nucléaire, qui nous revient en boomerang, est devenue emblématique d’une gestion à la Gribouille sans intelligence ni courage ni perspectives.
Et pendant ce temps, l’hôpital s’enfonce dans la crise sans que l’on constate une prise de conscience réelle et sans qu’aucun chemin ne se dessine. Quant à l’Education nationale, à la fois patrimoine et investissement sur l’avenir, elle se transforme de lieu d’exigence et de savoir en une gigantesque garderie. En organisant les déficits et en abimant les institutions qui traduisent en acte notre solidarité et notre avenir commun, le tout au nom de la mondialisation, les politiques ne cessent de restreindre la protection et le capital social des Français.
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Aujourd’hui ceux-ci n’arrivent plus à se projeter dans un avenir prospère et juste. Alors la défense de la ministre en mode « cela ne me concerne pas mais concerne juste mes enfants » est difficile à entendre. En effet la logique du patrimoine, c’est justement le lien entre générations. Quand on est déchargé des angoisses financières pour l’avenir de ses enfants et que l’on peut ne vivre que pour soi, on bénéficie d’un avantage certain. Certes, tout cela n’est pas illégal, mais c’est pourtant véritablement insupportable. Pas parce que c’est amoral. Si les Français avaient le sentiment que leurs représentants faisaient leur travail, ils se moqueraient bien de leurs avantages et de leur richesse, ceux-ci fussent-ils disproportionnés. Ce qui est insupportable, c’est de voir les gouvernants et élus chargés de la protection des citoyens et de la pérennité de leur pays mettre en marche une logique de marchandisation d’une partie du secteur public, tandis qu’ils mobilisent toutes les ressources de « l’optimisation fiscale » pour échapper à leurs devoirs. Ce qui est insupportable, c’est quand une partie de la classe politique ne pense plus le lien avec l’intérêt général, car ils ne sont pas conscients que c’est cela, leur véritable devoir et la source symbolique de leur légitimité.
Cette affaire réunit tout ce qui éloigne les Français de la politique. Une élite donneuse de leçons pour les autres mais qui fait passer ses intérêts avant tout. Une élite qui ne vit pas la vie de ceux qu’elle dirige et qui, du haut de ses privilèges patrimoniaux, exige des sacrifices de ceux qui ont peu. Une élite qui ne dessine aucun avenir tout en bradant les protections sociales au nom de la nécessaire adaptation à une mondialisation dont l’horizon n’est plus la prospérité mais la concurrence, la pénurie et peut-être la guerre. Pendant ce temps, les rares privilégiés du Nouveau Monde s’assurent que la transmission de leur patrimoine échappera à l’impôt, tandis que les plus pauvres pour rembourser l’aide à la prise en charge des personnes âgées voient les départements prendre une partie ou la totalité des successions.
Ce qui ne passe pas dans cette histoire, c’est que des gouvernants qui, dans les faits, ont renoncé à toute notion d’intérêt général et qui, faute de projets, utilisent la morale pour faire croire qu’ils sont légitimes, ne voient même plus ce qui pose problème lorsqu’ils s’extraient à ce point de tout devoir envers leur pays. Le montage financier qui bénéficie aux enfants de la ministre est certes légal, mais il n’est pas compatible avec le fait d’œuvrer pour l’intérêt général et incompatible avec des fonctions de ministre.