Céline Pina analyse les conséquences de l’affaire McKinsey, ce boulet dont Macron veut à tout prix se débarrasser. L’exécutif a notamment fait appel à ce cabinet de conseil américain pour mettre en place la campagne de vaccination, alors que la firme n’a payé aucun impôt sur les sociétés en France pendant 10 ans.
L’affaire McKinsey est révélatrice du mode de gouvernance d’Emmanuel Macron.
« Qu’ils aillent au pénal ! » avait répondu le président, confronté aux premiers remous de l’affaire. Mais si cette énième sortie pleine de morgue estimant illégitime le fait de rendre compte du juste emploi de l’argent public est déjà difficilement soutenable en temps normal, cela devient carrément dangereux en période d’élection. C’est ainsi qu’Emmanuel Macron a finalement compris que pour protéger son image, il fallait savoir à bon escient sacrifier des alliés devenus encombrants. L’affichage de l’enquête du Parquet National Financier au chef de « blanchiment aggravé de fraude fiscale » concernant McKinsey joue cette fonction si utile.
Cela témoigne de l’urgence pour le gouvernement de donner des gages de vertu, alors que les soupçons de favoritisme et de concussion [1] voire d’un recours abusif à des cabinets privés sur des domaines relevant de compétences administratives ont fait ressortir une vieille histoire toujours pas réglée : le candidat Fillon a-t-il été victime en 2017 d’un Parquet National Financier aux ordres ? Le PNF aurait-il accéléré une procédure comme cela ne s’était jamais vu faire en matière de justice pour favoriser l’élection d’Emmanuel Macron ?
Ce soupçon a été réactivé quand a été comparé la diligence à instruire une affaire, somme toute anecdotique, eu égard aux sommes incriminées, à l’apathie dont faisait preuve le PNF envers McKinsey jusqu’au 6 avril.
Le public et le privé ne sont pas au service des mêmes intérêts
Alors, comment éteindre le feu tout en se réservant la possibilité de sauver le soldat McKinsey une fois la réélection passée ? En ciblant la question de blanchiment de fraude fiscale et en évitant soigneusement la question politique qui consiste à s’interroger sur la capacité à gérer correctement l’argent public quand on le distribue au privé, alors même qu’il existe déjà des services et des hauts fonctionnaires aptes à exécuter ce type de missions.
A lire aussi, Jérôme Leroy: Le ministère McKinsey
D’autant que le recours au privé a un inconvénient majeur : il fait symboliquement de l’expérience et de la connaissance de la sphère publique un facteur négligeable pour l’exercice du pouvoir. Or, l’arrivée au pouvoir d’une personnalité sans compétence ministérielle comme Marine Le Pen peut poser la question de sa capacité à comprendre et à faire travailler la fonction publique. En effet, là où le profit est le seul moteur de l’entreprise privé, un acteur public, lui, est comptable de son environnement. Il peut par exemple faire le choix d’un moindre rendement dans le but de continuer à faire vivre et se développer un bassin de population. Il peut maintenir un service moins rentable, parce que celui-ci a une utilité sociale. C’est là que l’expérience politique joue et que le service de l’État se lie à l’intérêt général.
Dénoncer l’extrême-droite, la seule stratégie du président-candidat
C’est ce qu’avait mis en avant Emmanuel Macron lors d’un échange un peu musclé avec des électeurs à Fouras, le 31 mars, arguant que si l’extrême droite avait gagné en 2017, la campagne de vaccination se serait mal déroulée. Le problème est que pour l’organisation de la vaccination, c’est le travail de McKinsey qui a été mis en avant, pas la qualité des services de l’État ! Or, même quelqu’un de peu expérimenté peut tout à fait signer ce type de contrat avec une agence privée. Du coup, l’expérience du pouvoir et la connaissance du fonctionnement de l’administration est elle-même démonétisée…
L’annonce de la saisine du PNF parle donc moins de la détermination du gouvernement à sanctionner McKinsey que de la prise de conscience tardive que l’orgueilleux refus d’Emmanuel Macron de mener une véritable campagne aide à la crédibilisation d’une adversaire plus difficile à diaboliser en 2022 qu’en 2017.
Il est donc devenu politiquement indispensable de donner des gages de probité et de montrer que les alliés du président ne sont pas intouchables.
La Parquet National Financier: entre communication et soutien à Emmanuel Macron
Comme il reste une vingtaine de jours avant le second tour, ouvrir cette enquête avec tambour et trompette ne mange pas de pain, cela permet d’envoyer un message mettant en avant une certaine posture morale sans prendre de risques réels. On appelle cela un leurre. En effet, tant que Bercy n’a pas lancé la procédure d’enquête pour fraude fiscale au préalable, l’annonce du PNF sert plus à amuser la galerie qu’elle ne menace réellement les intérêts de McKinsey, explique notamment l’avocat Régis de Castelnau. Par ailleurs, la question du faux témoignage fait sous serment par Karim Tadjeddine, le directeur de Mc Kinsey et proche de Macron, qui a déclaré que sa société ne s’était pas soustrait à l’impôt, a été soigneusement occultée. Être proche du pouvoir confère apparemment des privilèges en matière de justice. Là aussi, l’indulgence consentie aux proches du pouvoir est à mettre en regard du traitement extrêmement rapide auquel a eu droit l’entourage de François Fillon naguère.
Le moment particulier choisi pour l’ouverture de cette enquête, alors que les faits datent, donne l’impression qu’une fois de plus le PNF est instrumentalisé, toujours au bénéfice du même candidat. L’activité du PNF sur le fond semble moins compter que le bénéfice politique que l’on peut retirer de la mise en scène de son action.
Le président Macron, n’ayant pas fait de campagne et ne proposant aux Français aucune perspective, n’a d’autre ligne politique à offrir pour le second tour que le barrage à l’extrême-droite, caricaturée en grand retour des heures les plus sombres de notre histoire. Pour cela mieux vaut pouvoir se parer d’une aura de vertu. C’est à réparer l’honneur atteint du président Macron qu’aura donc servi in fine le PNF dans cette campagne. Pas sûr qu’une telle instrumentalisation serve l’honneur de la Justice.
[1] Cela pose la question de l’inaction de l’Etat alors que cela fait 10 ans que McKinsey n’a pas payé d’impôt en France
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !