Dans le récit de sa liaison adolescente avec Gabriel Matzneff, Vanessa Springora témoigne d’une douleur incontestable. Mais, trente ans après les faits, la compassion ne saurait justifier le lynchage d’un vieil homme par des foules haineuses. À ces procureurs, jadis partisans d’une liberté sexuelle tous azimuts, de pratiquer leur examen de conscience.
Bien sûr, un clou a chassé l’autre. D’autres polémiques nous ont requis, d’autres coupables devaient être dénoncés. On peine à imaginer qu’il y a seulement trois semaines, l’affaire Matzneff occupait, non seulement les pages des journaux et les plateaux des télévisions, mais aussi les dîners en ville et les discussions de bureau et de bistrot. Jérôme Fourquet n’y voit qu’une affaire de caste, l’histoire d’un tout petit monde de lettrés, publicistes et mondains qui jouaient les esprits forts et se croyaient au-dessus des lois, qui n’intéresserait le populo que comme la preuve de la dépravation de ses élites. Notre cher Fourquet se trompe. Comme un éclair de vérité qui se dérobe aussi vite qu’il apparaît, la flambée de vertu outragée à laquelle nous avons assisté parle de nous – comment en irait-il autrement dès lors qu’il est question des eaux troubles de la sexualité ? Encore faudrait-il que nous soyons capables de comprendre ce qu’elle dit. Or, le résultat, sinon le but inconscient, de la panique morale est précisément d’interdire de réfléchir. La nuance, la complexité, les hésitations, les doutes sont proscrits. Comme l’écrit Milan Kundera, « le conformisme de l’opinion publique est une force qui s’est érigée en tribunal et le tribunal n’est pas là pour perdre son temps avec des pensées, il est là pour instruire des procès ». Il ne connaît pas les circonstances atténuantes, ne veut pas savoir si l’accusé a eu une enfance malheureuse ou s’il avait fumé du cannabis.
Briser le silence
L’affaire démarre le 5 janvier avec la parution du livre dans lequel Vanessa Springora raconte la liaison qu’elle a eue, entre 14 et 16 ans, avec G., alors âgé d’une cinquantaine d’années. Je l’avoue, avant de lire Le Consentement, je la soupçonnais de vouloir se livrer à une basse vengeance en surfant sur la vague #metoo. J’avais tort. Sans partager l’enthousiasme littéraire de certains de mes confrères, j’ai été frappée par ce récit et par la douleur de son auteur, perceptible à chaque page et dans ses rares interventions médiatiques. Après tout, Matzneff n’en fait pas mystère, deux ou trois de ses livres ont été directement inspirés par cette relation, il a même publié, de façon anonyme mais transparente pour le petit monde
