«Vincent est décédé à 8h24 ce matin» à Reims, a précisé son neveu François à l’AFP. Le malheureux Vincent Lambert, décédé à 42 ans, était plongé dans un état végétatif depuis 2008. Retour sur la douloureuse et clivante affaire hospitalière. Gare à la prévisible « descentada » sociétale sur l’euthanasie !
Cette affaire singulière, des plus privées, aurait dû être cantonnée à cinq ou six personnes. Malheureusement, elle est devenue une affaire nationale. Pour certains, elle fut un combat sans compromis possible. Combat pour la défense de la vie, pour la défense de la condition d’un handicapé, pour la défense de la fragilité. Quand nous sortons de l’éthique pour la morale, du cas particulier pour des principes généraux, toute discussion est impossible. Se poser des questions dans le cercle étroit d’une délibération à cinq ou six, réfléchir dans le cadre d’un colloque intime, d’un ajustement familial est une chose. Mais poser ces mêmes questions, sans forcément bien savoir de quoi nous parlons, à voix forte, dans les médias, est autre chose. Le passage de l’un à l’autre altère les questions et tord les réponses. Quand il s’agit d’une personne à la conscience très altérée, quand il faut apprécier des situations sans guérison possible, poser des questions insoutenables à voix basse est nécessaire, dans le secret des cœurs et en tenant compte de la volonté de celui pour lequel une décision doit être prise. Poser les mêmes questions dans le plein vent des médias est impossible.
Trente-quatre décisions de justice!
Malheureusement, cette affaire n’aura jamais pu déboucher sur une entente familiale. Malheureusement la famille, en faisant la promotion de l’impudeur, en exposant son différend sur la place publique, en feuilletonnant cette affaire avec trente-quatre décisions de justice et des recours en pagaille, a obligé la France à prendre parti, à prendre position. La mère, et ses avocats trop zélés, n’ont cessé d’hystériser le débat. C’est là le principal reproche que nous pouvons leur faire. Et, de déclarations maternelles retentissantes en plaidoiries tonitruantes, de douleurs exposées en effet de manche, l’hystérie a gagné, par effet de dominos, tout l’édifice actuel qui encadre et protège les malades en fin de vie, tous les 1 700 cérébro-lésés en France et même les soins palliatifs eux-mêmes… Et derrière eux, la loi Leonetti.
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Fallait-il « sauver » un homme (selon l’idée qu’on s’en fait) et mettre à bas tout l’édifice qui protège des milliers d’autres ? Fallait-il, en toute inconscience, provoquer d’innombrables dégâts médiatiques qui donnent du grain à moudre à ceux qui, autour du député Touraine, attendent le mois de septembre de cette année, pour injecter des dispositifs euthanasiques dans la révision des lois bioéthiques ? Les partisans anti-euthanasie mesurent-ils les effets en chaine qu’ils ont provoqués sur l’écosystème palliatif de France ? Ont-ils conscience, à coup de « remontadas », de menaces, de grandes déclarations tonitruantes, d’avoir affaibli la loi Léonetti – et donc les protections de dizaines de milliers de personne en fin de vie ? Non. Et pourtant tel est le cas.
Malaise personnel
Suis-je à l’aise avec l’arrêt des traitements décidé le 2 juillet ? Non. Suis-je confortable avec l’idée que l’arrêt des traitements consiste à stopper l’hydratation et la nutrition – même si le processus a été accompagné par une sédation pour soulager les désagréments et par une hydratation de la bouche ? Non. Suis-je confortable avec l’idée qu’un «acharnement déraisonnable » concerne, pour quelqu’un qui n’est pas en fin de vie, la nourriture et l’hydratation ? Non. Suis-je confortable avec l’utilisation de la loi Leonetti hors des trois critères habituels (fin de vie annoncée, souffrance réfractaire, obstination déraisonnable évidente) ? Non. Cet usage de la loi Leonetti, pour Vincent Lambert, dénature le message d’accompagnement de la loi et met de la confusion dans les soins palliatifs. Je le regrette.
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Et en même temps, je n’accepte pas qu’on puisse parler « d’assassinat » – selon les propos de Viviane Lambert. Y a-t-il « meurtre » – qui a supposé, de la part de ses avocats, un dépôt de plainte pour « meurtre avec préméditation » ? Non si on sait que Vincent Lambert avait clairement indiqué qu’il ne souhaitait pas être dans la situation actuelle. Non, si on considère qu’avec l’accord de toutes les parties (au début), il n’y aurait pas eu d’affaire Lambert. Dès lors, toute l’affaire résulte du désaccord des parties. Rachel Lambert, l’épouse, a été reconnue tutrice de son époux. C’est elle qui est à la manœuvre – et qui décide au nom de son époux. Enfin, il n’y a pas « meurtre » si on considère que le critère décisif, légal, est la volonté de Vincent Lambert. Quand on demande aux avocats de la mère au nom de quoi ils agissent, alors même que Vincent Lambert n’était plus en mesure de s’exprimer, ils disent « au nom de l’intime conviction d’une mère ». Il s’agit donc d’un conflit « d’intimes convictions » entre l’épouse et la mère (et quelques autres).
Aux bordures de l’euthanasie…
De quoi s’agit-il alors, s’il ne s’agit pas d’un « meurtre » ? Peut-on parler d’euthanasie ? Là, il faut distinguer, l’esprit et la lettre. La lettre supposerait qu’on soit du côté du « faire mourir » et de l’injection de curare pour une mort rapide. La lettre n’y est pas. Quant à l’esprit euthanasique, lui, il flotte dans cette affaire, s’est inscrit dans certaines modalités des procédures permises par la loi. Là, mais aussi dans « les directives anticipées » et dans « la sédation profonde et continue » – quand ces modalités ne sont plus indicatives mais deviennent contraignantes, comminatoires et échappent à l’appréciation au cas par cas.
En même temps, je n’ai pas accepté qu’on fasse de cette affaire, avec des effets de manche et des exaltations impudiques des avocats, une sorte d’affaire Dreyfus hospitalière. À entendre Viviane Lambert il fallait protéger son fils d’une tentative de meurtre, d’un assassinat programmé par l’État. Pour défendre non pas Vincent Lambert mais leur « intime conviction », ils ont jeté aux lions médiatiques ceux qui s’opposent à eux. Je n’accepte pas que Madame Lambert ait pu dire des médecins des soins palliatifs qu’ils sont « des monstres », et même « des nazis ». Cette nazification des médecins et de toutes les équipes qui, depuis dix ans, prennent soin de Vincent Lambert, ne semble pas poser de problème aux partisans de Madame Lambert. Je n’accepte pas qu’on hystérise le débat et crée une angoisse intolérable pour les 1 700 cas de cérébro-lésés en France – qui ne sont en rien concernés par les arrêts relatifs à Vincent Lambert.
Tristesse et hystérie
Il s’agit donc d’une tragédie. D’une tragédie publique qui est là, sous nos yeux, depuis dix ans. Une tragédie avec des points de vue irréconciliables et pourtant tous légitimes. Tous ont raison, et pourtant tous ont tort de vouloir avoir raison contre les autres. Camus, quand il reconnait que dans une tragédie « les forces qui s’affrontent sont également légitimes, également armées en raison », conclut ainsi : « Antigone à raison, mais Créon n’a pas tort ». Il en va de même dans cette affaire. Les voix singulières ont raison quand l’Etat n’a pas tort.
Et comme il se doit, toute tragédie pousse à la tristesse. Je suis triste qu’on en soit arrivé là. Triste que l’hystérie ait été de mise. Triste que deux morales raides se soient opposées – celle de la vie à tout prix et celle de l’euthanasie – en délaissant l’inconfortable terrain de l’éthique. Triste que ces débats aient fait tant de mal à ce trésor vivant d’accompagnement et d’humanité que sont les soins palliatifs. Triste que des militants, sans le vouloir, aient donné tant et tant d’arguments, tant et tant de raisons supplémentaires aux partisans de l’euthanasie – qui en septembre, au Parlement, pourraient « tirer les conclusions » de cette affaire Lambert en instaurant un droit à l’euthanasie. Maitres Triomphe et Paillot resteront dans l’histoire (et avec eux ceux qui les ont financés) comme les meilleurs avocats des faiblesses de la loi et donc de… l’euthanasie.
Ils se vantaient à un moment d’une « remontada » ? On risque à présent la « descentada » sociétale. C’est triste à en pleurer.
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