En ces temps agités où d’aucuns rêveraient d’un gouvernement de coalition pour contrecarrer les ambitions bleues de Marine, il ne fait pas bon être transversal. Les électeurs pardonneront-ils un jour à Bayrou d’avoir étendu sa vision du centrisme jusqu’aux confins du socialisme ? Plus brûlant d’actualité, Jean-Pierre Jouyet se sortira-t-il indemne d’avoir « mangé » à tous les râteliers ?
Au cœur d’un scandale qui agite ces jours-ci toute la classe politique, le secrétaire général de l’Elysée, un temps secrétaire d’Etat aux Affaires européennes de l’administration précédente, voit sa tête mise à prix… pas seulement par l’actuelle opposition1.
C’est encore une fois une affaire d’amateurisme qui met le feu aux poudres. Où l’amnésie le dispute au grotesque. Et qui mêle dans la même confusion, les maigres reliefs d’une gauche à l’agonie et d’une droite pulvérisée…
Dans leur dernier ouvrage intitulé Sarkozy s’est tuer, Fabrice Lhomme et Gérard Davet (Le Monde) veulent démontrer comment l’omnipotence et l’interventionnisme de la galaxie sarkozyste ont eu raison des projets d’avenir de l’ancien chef de l’état. En particulier dans le domaine de la justice, sanctuarisé depuis, comme chacun sait, par François Hollande et son intègre Ministre Christiane Taubira. Parmi les anecdotes qu’ils délivrent figure un déjeuner le 24 juin 2014 qui réunit François Fillon, alors en campagne pour la présidence de l’UMP, son ancien directeur adjoint à Matignon et Jean-Pierre Jouyet, secrétaire général de l’Elysée fraichement nommé.
Etant donné la succession de démentis, revirements et réminiscences soudaines, il est compliqué de donner un récit cohérent de l’affaire. Toujours est-il que le secrétaire général de la Présidence a raconté aux deux journalistes (lors d’une conversation enregistrée, communiquée à trois médias aujourd’hui) que Fillon, lors de ce déjeuner s’était ému de l’affaire Bygmalion –on le serait à moins- et du fait que Sarkozy ait fait régler le dépassement de ses dépenses de campagne par l’UMP. Jusqu’ici, rien que de très normal… Le dossier se corse lorsque Jean Pierre Jouyet affirme que Fillon lui aurait demandé, ce qu’a Dieu ne plaise, pas plus qu’au chef de l’Etat !- de taper vite pour empêcher le retour de l’ancien Président.
Malheureusement, des bonnes feuilles de l’ouvrage publiées par la presse le 6 novembre, ce sont celles-ci qui attirent l’attention. Effet garanti, premier démenti de François Fillon. Il y a le feu au palais, la prestation télévisée de François Hollande programmée pour le soir-même ne doit pas pâtir de cette affaire : Jean-Pierre Jouyet commence par démentir la séquence, oubliant -peut-être?- que l’interview qu’il a donnée en septembre était enregistrée -officiellement -. Ce détail lui est rappelé le 7 novembre, avant que ne soient publiés dans l’édition du Monde datée du 8 novembre de larges extraits de son récit. Fillon annonce alors qu’il va porter plainte en diffamation contre le journal et ses deux journalistes. Le 9 novembre, Jean-Pierre Jouyet retrouve la mémoire et se souvient qu’effectivement, Fillon avait sollicité ce déjeuner –l’initiateur de la rencontre est lui-même sujet à controverse-et y avait abordé les questions de Bygmalion et du règlement des pénalités par l’UMP.
À toutes fins utiles, le secrétaire général de l’Elysée précise qu’il ne pouvait de toute façon y avoir collusion entre le pouvoir et la justice. « J’ai également rappelé que depuis juillet 2012, il n’y a plus aucune intervention de la Présidence de la République dans une procédure judiciaire.»
Rappelons que l’enregistrement n’est nullement celui du déjeuner mais celui de la narration du secrétaire général. On y trouve donc la preuve qu’il a raconté cette histoire… mais pas celle que l’histoire est vraie. Le saurons-nous un jour ?
Les problèmes d’amnésie et de gaffes ne condamnent pas toujours ceux qui en sont victimes. Citons le cas de l’indéboulonnable Christiane Taubira dont les mensonges cimentent la carrière, gouvernement après gouvernement. Mais Madame le ministre, à contrario de Jean-Pierre Jouyet a pour elle d’être une authentique femme de gauche, que jamais n’ont tentée les sirènes de l’ouverture. Si l’on évoque, y compris dans les rangs de la majorité -à mots feutrés-, l’inévitable départ de Monsieur Jouyet, c’est aussi que celui-ci s’est rendu coupable, un temps, de frayer avec l’ennemi.
*Photo : HALEY/SIPA. 00548386_000014.
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