Le film d’Alexandre Arcady, 24 jours, sur l’enlèvement, la séquestration et l’assassinat d’Ilan Halimi par Youssouf Fofana et sa bande, est tout à fait estimable même s’il n’est pas un chef-d’oeuvre.
Les éloges dont on gratifie l’oeuvre et le réalisateur sont d’autant plus appuyés qu’on craignait le pire sur le plan artistique et qu’en définitive, on a une bonne surprise !
Le parti pris choisi n’est pas absurde car en adaptant le livre de Ruth Halimi, la mère d’Ilan Halimi, il rend vaine la discussion sur l’objectivité de la relation, la fiabilité de l’analyse sur la police et, plus globalement, sur les ressorts de cette équipe criminelle. Sous l’autorité jamais contestée de Fofana sauf à la fin, quand celui-ci, confronté à l’échec et mis en cause, va seul tuer Ilan dans les conditions ignobles que l’on sait.
La manière dont le film a été promu a évidemment mis l’accent sur la sensibilité, le coeur, l’horreur, l’abjection de l’antisémitisme. Je ne suis pas persuadé que, sur ce plan pédagogique, qui aurait voulu constituer cette représentation comme un avertissement solennel, plus jamais ça !, l’effet soit atteint.
Non que le spectateur demeure étranger à ce qui se déroule et se commet sous ses yeux et qu’il ne s’abandonne pas à une émotion de tous les instants – précisément parce qu’il connaît déjà l’issue tragique -, mais l’humaniste n’apprendra rien, pour sa conscience, qu’il ne sache déjà et l’antisémite continuera à se réjouir. Quant à la masse indifférenciée du public, je ne crois pas que ce film, au-delà de l’indignation de ces 110 minutes, va la faire basculer systématiquement dans le camp de la morale.
Même avec les meilleures intentions du monde, le didactisme en art, en dépit de son caractère, en l’occurrence, techniquement et dramatiquement efficient, est voué sinon à l’échec, du moins à la déception de ceux qui en attendraient une régénération ou une alerte.
Paradoxalement, c’est la force du film qui va faire sa faiblesse, au regard de l’injonction éthique qu’il voudrait exclusivement formuler. Car le remarquable est que tout en restant fidèle à la trame des événements essentiels et à la perpétration des crimes, l’histoire, dès lors qu’elle reproduit le réel avec un traitement cinématographique rythmé et haletant, détresses, espoirs, révoltes et désespoirs, se dégrade en film d’action, en film policier : les séquences elles-mêmes suscitent l’intérêt, passionnent par leur intensité, attisent la curiosité, alors que tout est déjà tristement certain et inéluctable, et font du spectateur non pas un moraliste indigné mais un amateur conquis. La tragédie représentée devient moins tragédie que représentation.
Quand Claude Lanzmann critiquait le splendide film de Steven Spielberg, La liste de Schindler, en affirmant que la Shoah ne pouvait pas, ne devait pas être montrée, je n’avais pas approuvé cette opinion péremptoire. En regardant 24 jours, j’ai pourtant perçu la vérité qui ne m’avait pas frappé alors. La fiction même extraite d’un réel brûlant, étouffant, horrible, donne à la tragédie brute des couleurs forcément spectaculaires avec ce que ce concept implique de stimulant et à la fois de négatif.
Alexandre Arcady, tout de même, doit être salué pour cette oeuvre. Elle pouvait engendrer du larmoyant vulgaire ou de la thèse unilatérale. Il a échappé, avec sa scénariste, à ces écueils et j’ai en particulier apprécié le regard critique mais non malveillant porté sur la déconfiture policière. La police appliquait à un malade et à un délirant une stratégie classique qui avait certes fait ses preuves mais qui était en l’espèce inadaptée.
Avocat général lors du premier procès, exemplaire tant grâce à sa présidente et à son jury que par les peines et les exonérations prononcées, il me plaît, pour compléter l’information des spectateurs du film, de rendre hommage au livre de Gilles Antonowicz L’affaire Halimi (ed. Nicolas Eybalin, en vente à partir du 2 mai). Il répond à toutes les questions, démolit les idées fausses et, avec une parfaite honnêteté, scrute et analyse les noirceurs et les mystères de cette épouvantable affaire.
24 jours en 110 minutes, c’était possible.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !