Dans l’affaire Dieudonné, on voit se lever un peu partout des bonnes âmes pour prendre la défense de « la liberté d’expression » et même du « droit imprescriptible à l’humour » et s’indigner qu’on interdise les spectacles de Dieudonné. Cette indignation visant principalement à mettre Manuel Valls sur la sellette.
Tout d’abord de quel « droit à l’expression » s’agit-il ? De quel « humour » parle-t-on ? A l’occasion des différents reportages effectués en caméra ou micro caché au théâtre de la Main d’or, on a pu relever :
– « Moi, tu vois, quand je l’entends parler, Patrick Cohen, j’me dis, tu vois, les chambres à gaz… Dommage ».
– « Entre les juifs et les nazis, je ne prends pas parti… je ne sais pas qui a commencé… C’est passé ! Qui a provoqué qui ? Qui a volé qui ? J’ai ma petite idée… »
– « Je ne dis pas que je ne serai jamais antisémite. Je me laisse cette possibilité, mais pour l’instant non. »
Arrêtons-là cette retranscription. Chacun sait et peut vérifier que Dieudonné est clairement antisémite dans sa forme la plus brutale, clairement négationniste (en témoigne son soutien ostentatoire à Faurisson) et visiblement méprisant avec les victimes de la shoah (cf. sa chanson, « Shoahnanas »). Comment peut-on dans ce cas et au vu des idées répandues par ce type, prétendre qu’il s’agit du droit à l’expression ? Alors qu’il s’agit clairement de propagation d’idées clairement interdites par la loi, d’injures publiques répétées et récurrentes.
Prenons, l’hypothèse inverse : imaginons que le gouvernement ne prenne aucune mesure contre Dieudonné et que de jeunes juifs, légitimement ulcérés, décident d’administrer une bonne correction (« méritée » – j’assume…) à Dieudonné et/ou à ses spectateurs. Le Gouvernement serait immédiatement mis en accusation pour n’avoir rien fait. Et on aurait raison. Car les spectacles de Dieudonné sont par leur incitation à la haine raciale une menace permanente contre l’ordre public qui ne peuvent pousser que des groupes communautaires à se dresser les uns contre les autres et à se faire justice eux-mêmes.
Le rôle de tout gouvernement est de mobiliser la Justice (les procureurs peuvent s’auto-saisir à la demande du Garde des sceaux) et l’administration pour maintenir l’ordre et mettre hors-jeu tous ceux qui nuisent à la paix civile. Dieudonné s’est mis hors-jeu. Il est désormais un ennemi de la société : par son atteinte au bon goût, au droit à la justice, au vivre ensemble, au respect humain, il s’érige en héros d’une contre-société, d’une contre-culture (symbolisée par le geste de la quenelle) qui foule au pied tout ce que l’idéal républicain essaie vaille que vaille de maintenir. Dieudonné est un danger public, la société doit le mettre hors d’état de nuire.
Mais Dieudonné est aussi un révélateur. On savait déjà toute l’admiration qu’il suscite dans les milieux musulmans les plus engagés : Dieudonné fait progresser à grands pas l’antisémitisme dans les banlieues. Mais il est aussi révélateur de la perte de repères de certaines élites qui s’érigent en gardiens de l’ordre moral : n’a-t-on pas entendu Edwy Plenel comparer l’interdiction des spectacles de Dieudonné par Manuel Valls au Patriot act américain. Ainsi donc interdire les injures publiques et un spectacle dégradant serait comparable à des mesures de privation de liberté prise hors droit ou aux enfermements aberrants de Guantanamo… On a connu Plenel plus éclairé. Le plus triste, c’est que ces parangons de la liberté donnent du grain à moudre à tous les Français qui renouent avec certains de leurs vieux démons. Il est pour le moins affolant de voir que 70% des lecteurs du Figaro sont contre l’interdiction de Dieudonné : est-ce au nom de la liberté d’expression (ce n’est pas leur tasse de thé habituelle), ou parce que beaucoup d’entre eux aiment bien ce qu’il raconte ? La question mérite d’être posée.
Manuel Valls, est responsable de l’ordre public. En prenant des mesures d’interdiction contre Dieudonné, il a pris ses responsabilités. Toutes ses responsabilités. Il serait irresponsable de le lui reprocher.
*Photo : MEUNIER AURELIEN/SIPA. 00671407_000005.
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