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Affaire des assistants du FN: la plaidoirie de l’avocat de Marine Le Pen

Hier au tribunal judiciaire de Paris, la parole était à la défense


Affaire des assistants du FN: la plaidoirie de l’avocat de Marine Le Pen
Marine Le Pen et Me Bosselut sortent du tribunal, 27 novembre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Me Rodolphe Bosselut a notamment montré que sa cliente ne saurait encourir, malgré tous les arguments de l’accusation, une peine complémentaire d’inéligibilité automatique. Et il a estimé que dans le cas où cette peine serait prononcée avec exécution provisoire, on se retrouverait rien moins qu’en présence d’une « arme de destruction massive du jeu démocratique ». Sur le fond de l’affaire, il a, sans surprise, demandé la relaxe de la patronne du RN, « une justiciable comme les autres ».


Pour ce dernier jour d’audience du procès dit « des assistants parlementaires du FN », la salle Victor Hugo est comble. Journalistes, public, et cadres du premier parti de France ont répondu présent pour écouter la plaidoirie de plus de trois heures de Me Bosselut, le conseil de Marine Le Pen. Jean-Lin Lacapelle, Huguette Fatna, Steeve Briois, Bruno et Dominique Bilde, Edwige Diaz, Yoann Gillet, Kévin Pfeffer, Sébastien Chenu, Jean-Baptiste Marly ont pris place dans le public pour soutenir les prévenus, parmi lesquels Julien Odoul, Nicolas Bay, Marie-Christine Arnautu, Nicolas Crochet, Charles van Houtte, Louis Aliot, et Marine Le Pen, bien sûr, assis au premier rang. 

Avec énergie et fluidité, Rodolphe Bosselut commence par saluer ceux qui viennent de partager durant neuf semaines « une forme d’intimité judiciaire », terme qui sera repris par la présidente Bénédicte de Perthuis avant la levée d’audience. Une « sorte de phalanstère », poursuit-il, où « chaque membre de la communauté judiciaire a pour but de cheminer ensemble » sur la voie de la vérité, mais où s’affrontent, déplore-t-il, « deux visions parallèles qui peut-être peuvent apparaître irréconciliables ».

Pour déjouer l’ordalie politique qui s’est abattu sur tous les prévenus, au premier rang desquels sa cliente, l’avocat en appelle « par tous les moyens à en revenir au droit, seul outil qui permet au-delà de la passion, au-delà de la pression des enjeux, au-delà des biais d’interprétation, au-delà des idées préconçues, de replacer les faits dans leur exacte portée ». Me Bosselut assure que la pratique parlementaire reprochée au FN était, entre 2004 à 2016 « banale, anodine, car partagée par tous les partis européens équivalents ne pouvant prétendre à créer un groupe. » Divers cas attestent de cette évidence.

Marine Le Pen n’a jamais contesté les faits, rappelle ensuite son avocat, qui s’étonne du reste que le parquet se soit permis de lui reprocher de faire usage de ses droits judiciaires les plus élémentaires. « Y-a-t-il une quelconque arrogance à se défendre ? », lance-t-il. Et d’affirmer que sa cliente « est venue comme celles et ceux qui se savent innocents. C’est sa force, mais apparemment, c’est son tort aux yeux de l’accusation. » Contre un réquisitoire aux accents politiques (ainsi que l’a mis au jour une parole partisane, prononcée en pleine audience, par la procureur Louise Neyton, disparue du prétoire depuis lors), l’avocat va se pencher en particulier sur deux points : l’éventuelle automaticité de la peine d’inéligibilité puis sa potentielle application provisoire

Une attitude « poncepilatesque »

Tout d’abord, Me Bosselut demande que le caractère automatique de la peine d’inéligibilité encourue par sa cliente, soit exclu. Car, défend-il, les contrats reprochés à Marine Le Pen sont antérieurs à la loi Sapin 2, ce texte, voté en 2016, qui a introduit dans le Code pénal ledit caractère automatique. Pour l’avocat, l’accusation s’est autorisé un glissement temporel injustifié en rattachant les contrats en cause à des événements plus récents. Ils l’ont fait, déplore-t-il, à l’aide d’un tableau, la fameuse annexe 1, jamais mentionnée dans l’ordonnance de renvoi et qui mélange les contrats incriminés avec des contrats ayant obtenus des non-lieux explicites et même des contrats non visés par le renvoi.

Face à la volonté du parquet de charger la barque en élargissant la période de prévention, Me Bosselut rappelle que « l’application rétroactive d’une peine plus sévère est totalement contraire à la loi ». Certes, reconnaît-il clairement à l’adresse des trois juges du tribunal, si en application de la loi en vigueur au moment des faits, « la peine d’inéligibilité est possible, il faudrait que le tribunal correctionnel la motive pour la prononcer. Et ça change tout ! Cela supposerait une démarche positive de votre part, pas simplement une attitude poncepilatesque qui vous permettrait de dire, comme le souhaiterait le parquet : “Je suis désolé, cher Maître, mais dura lex, sed lex, cette peine d’inéligibilité que je prononce est automatique ; je n’ai pas le choix, je n’ai pas à en justifier et à démontrer sa nécessité”. »

«Une arme de destruction massive du jeu démocratique»

Me Bosselut ôte ensuite – symboliquement – sa robe d’avocat pour s’exprimer en simple citoyen. Il veut s’exprimer sur la demande des procureurs qu’une peine d’inéligibilité soit prononcée contre sa cliente avec exécution provisoire, c’est-à-dire sans qu’un appel soit suspensif.  Selon lui, une telle perspective, qui empêcherait Marine Le Pen de se présenter à la prochaine présidentielle, « ressemble à une arme de destruction massive du jeu démocratique. Injuste, disproportionnée, produisant des effets irréparables, elle porte atteinte au vote de plus de 13 millions d’électeurs et au corps électoral dans son entier.»

L’enjeu du verdict de ce procès est de taille pour la chef du premier parti de France et candidate naturelle de son camp à la magistrature suprême. Donnée en tête dans tous les sondages, celle qui pourrait devenir la première femme chef de l’Etat de l’histoire de France, la brillante avocate qui a donné sa vie à la politique, peut-elle être exclue du jeu démocratique par une décision judiciaire disproportionnée par rapport aux faits reprochés ? Cela aurait des conséquences irréparables pour Marine Le Pen elle-même, mais aussi pour la République. Pour Me Bosselut, « l’exécution provisoire viole la présomption d’innocence et a des conséquences irrémédiables » qui révèlerait « une rupture d’égalité devant la justice », « une situation discriminatoire » contraire à la Constitution.

« Une sérieuse inversion de la charge de la preuve »

Ensuite Me Bosselut rentre dans le fond de l’affaire. Parmi les milliers de documents aspirés par l’instruction, note-t-il, « il n’y a eu aucune investigation du travail qui aurait été fait pour le parti ». Et pour cause, « on n’a rien », lâche-t-il.  Ce qui n’empêche par le parquet d’opérer « une sérieuse inversion de la charge de la preuve» en demandant aux prévenus des preuves de leur travail, même des années après, et alors même que le Parlement lui-même écrase ses fichiers. Mais, faut-il le rappeler, « c’est à l’accusation de rapporter qu’un autre travail a été effectué.»

Autre fait baroque dans ce procès, et « c’est du jamais vu ! » de mémoire d’avocats, c’est « de voir le Parquet requérir en se référant à un autre procès », en l’occurrence celui du MoDem, victime collatérale et « hors d’œuvre » des affamés du Parquet contre un fantasmé « système » qui est en vérité plus « un système D » pratiqué par tous les partis n’ayant pas la possibilité de constituer de groupe et d’avoir un staff dédié. Tous les courriels entre les services du Parlement européen témoignent que tous les contrats ont été validés en parfaite application des réglementations alors en vigueur, à savoir les FID (Frais et Indemnité des Députés), Codex et MAS (Mesures d’Applications du Statut) et en étroite collaboration avec les fonctionnaires européens chargés de la délégation française. Mais M. Klethi, directeur financier du Parlement européen, a tenté par tous les moyens de réécrire la réglementation a posteriori. La réalité, c’est qu’ « il n’y a aucune volonté de détourner des fonds mais celle de faire de la politique », cingle l’avocat.

Avant de conclure, Me Bosselut salue la personnalité de Marine Le Pen, dont il fait la connaissance alors qu’ils plaidaient, à peine diplômés, tous les deux aux comparutions immédiates. « Nous nous sommes rencontrés par hasard, il y a 30 ans, sur les bancs de la 23e chambre correctionnelle. Nous étions deux jeunes avocats, et j’ai rencontré quelqu’un de très humain, drôle, intelligent, investi dans sa mission de défense, loin, très loin, du personnage manichéen que des années d’engagement politique ont construit. Nous avons sympathisé et j’ai découvert, en rentrant au cabinet, que mon patron était inquiet d’avoir appris, à la buvette du Palais, que j’avais fait la bise à Marine Le Pen. » Élégant et fidèle, Me Bosselut assume : « Je continue à lui faire la bise. On a les actes de résistance qu’on peut ! »

En point final de sa plaidoirie, Me Bosselut forme le souhait « que, dans ce dossier, Marine Le Pen ne soit pas jugée sur quelque chose qui la dépasse : une détestation, un réflexe quasi pavlovien de rejet de ce qu’elle représente. Je voudrais qu’elle soit une justiciable comme les autres, ne réclamant aucune faveur mais ne méritant aucune défaveur ». La justice et la démocratie sortiraient gagnantes de voir éclore de ces années d’instruction à charge une décision apaisée, juste et sereine s’élevant loin des fracas partisans et des réquisitions ubuesques. Et l’on serait tenté, au sortir de ce voyage de neuf semaines dans la salle Victor Hugo de la 11è chambre du Tribunal correctionnel de Paris, de rappeler que « tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité » (Victor Hugo).

Il est bientôt 17H30, l’audience est levée. Le jugement sera rendu le 31 mars 2025 à 10H.



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