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Affaire Depardieu, la revanche des minables

Ce n’est pas lui qui a changé, c’est le monde...


Affaire Depardieu, la revanche des minables
Gérard Depardieu dans Danton d’Andrzej Wajda, 1983 D.R.

Gérard Depardieu est devenu l’ennemi public numéro un du milieu artistique. Retiré du musée Grévin, insulté par la ministre de la Culture, black-listé de l’audiovisuel public… il n’a pourtant été condamné par aucun tribunal (judiciaire). Peu de voix s’élèvent pour le soutenir. Yannis Ezziadi dit tout haut ce que beaucoup d’acteurs pensent tout bas.


C’est au tour de Gérard Depardieu. Le plus grand des acteurs ! Ils ont réussi à précipiter sa chute. Une statue déboulonnée de plus. Ils étaient nombreux sur le coup, à en rêver. Miam ! Quelle jouissance ça doit être pour les petits, pour les minables, de voir tomber le dernier monstre sacré. Quelle revanche pour eux ! Eux à qui on ne pardonne rien. Lui à qui on passait beaucoup. C’est vrai qu’on lui avait presque tout passé jusque-là ! Les pets, Castro, Poutine, l’exil fiscal. Mais « la moule », elle, ne passe pas ! Surtout lorsqu’elle est « touffue ».Elle reste coincée en travers de la gorge de la bien-pensance. « Chatte », « moule », « clito »… c’en est trop ! Oui, c’est vrai qu’il y avait déjà cette plainte pour viol qui traînait. Mais pour le moment, pas de preuves ! Pas de condamnation de la justice.

Heureusement, les poubelles ont parlé. Les chutes du film de Yann Moix nous ont montré une vérité indiscutable. Nous tenions enfin la preuve irréfutable de la grivoiserie, de la gauloiserie de Depardieu ! « J’ai une poutre dans le caleçon ! » Oh que c’est offensant, oh que c’est violent. « Petite chatte poilue »… oh que ça fait mal. Quel traumatisme. Non mais quelle blague ! Et quelle malhonnêteté ! Se servir des saillies scabreuses de l’acteur pour venir appuyer la thèse du viol… quelle honte. « Moule », « chatte », « clito » dans la bouche de Depardieu, ça vous surprend ? Ça vous choque ? Ce genre de propos faisait pourtant bien marrer tout le monde il y a peu encore.

Souvenez-vous, il y a une dizaine d’années, sur le plateau du « Petit journal ». Yann Barthès présentait une séquence dans laquelle ses équipes tentaient de filmer Depardieu lors du tournage d’un film. L’acteur se cachait et sortait sa tête de temps en temps pour crier aux équipes de l’émission « Petit journal… le sexe ! », « La chatte ! Petit journal… la chatte ! » Rire général sur le plateau. Personne ne semblait heurté. Allez, je vais oser le dire : moi, rien ne me choque dans les images du film de Moix. J’ai même beaucoup ri ! Y compris lors de la séquence avec la petite fille. Vous trouvez ça grave ? Il l’a touchée cette petite ? Il lui a dit des choses pouvant la traumatiser ? Non ! Il parle loin d’elle, dans une langue qu’elle ne comprend pas. Rappelons-le d’ailleurs : la famille Depardieu, dans une tribune publiée par le JDD, explique que l’acteur n’aurait pas fait cette blague au sujet de la jeune fille, que c’est le montage malhonnête des images qui laissait penser cela. Mais quand bien même ! Hier, on louait Gérard Depardieu « le monstre », « le voyou », « le provocateur ».Aujourd’hui, on le voudrait sage, tel un petit-bourgeois comme un autre. N’est-ce pas cette liberté dans les paroles qui, chez lui, plaisait tellement ? Cette liberté poussée parfois à l’extrême ? Contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, il est faux d’affirmer qu’aujourd’hui« la moule » ne fait plus rire personne et que « la chatte » choque ! Je vous assure que ça plaît toujours et que le succès reste au rendez-vous dans la France « normale ».

Nous voilà privés de l’ogre magnifique, du monstre sacré

Beaucoup de gens du cinéma trouvent le traitement réservé à Depardieu tout à fait disproportionné, malhonnête et franchement dégueulasse. Mais problème ! Personne n’ose le dire publiquement. Je connais des acteurs célèbres qui voudraient le soutenir. Je sais que certaines stars du cinéma ont contacté l’acteur et sa famille par de gentils SMS de soutien. Mais ces hommes savent que s’ils parlent publiquement, s’ils osent aller à l’encontre de l’époque MeeToo, ce sera à leur tour de tomber. Ils savent qu’on ira possiblement leur trouver, bien caché derrière les fagots, un petit SMS lourdingue envoyé tard dans la nuit à une belle, qui deviendra la preuve absolue d’une accusation de viol qui sortira par surprise. Aujourd’hui, au-dessus de la tête de chaque homme célèbre plane une lourde épée de Damoclès, qu’il soit irréprochable ou non. Et même si la justice acquitte, relaxe ou classe sans suite l’enquête, c’en sera terminé de son image respectable et de sa carrière.

Combien de fois est-ce déjà arrivé ? Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Tout le monde se tait ! C’est la terreur. C’est l’inquisition. Mais revenons-en au cas Depardieu.C’est un double crime ! Crime contre la liberté de blaguer, même lourdement. Et crime contre l’art. D’ailleurs, n’est-ce pas un peu cela que l’on attaque à travers Depardieu ? Le grand art ! Le grand art inégalitaire. Oui, Gérard Depardieu écrase les autres. Il les écrase par la supériorité de son génie. Et ça fait chier les mauvais. Depardieu est insupportable pour certains, car il les dépasse de trop loin et qu’ils n’arriveront jamais à le rattraper. Et puis, il est trop libre pour eux. Cette liberté – insupportable à ceux qui ne l’ont pas –, c’est parce que tout le monde l’acceptait sans broncher qu’il a pu se la permettre. Et pourquoi ? Parce qu’il est irremplaçable ! Parce qu’il est le roi des acteurs. Parce qu’avoir Depardieu dans son film est un honneur. Et ça coûte cher ! Ça se paye. Pas que financièrement. Ça coûte cher parce qu’un génie, il faut se le farcir. Lui et son lourd cortège d’angoisses, d’impatiences, de caprices et de provocations. Lui et sa fragilité, son besoin d’attention et d’amour. Lui et ses blessures, son désespoir. Lui et sa sensibilité à fleur de peau. Mais comment faire autrement ? C’est ainsi. Pagnol en a souvent bavé avec Raimu. Coppola en a bavé avec Brando. Et que dire de Michel Simon ? La liste est longue. Et ça, ceux à qui l’on ne pardonne rien, ceux qui ne peuvent rien se permettre parce qu’ils sont remplaçables, ne le supportent pas. La jalousie ! Les ennemis de l’art me répondront « Ah mais pour vous, parce que c’est un grand un acteur, il peut tout se permettre ? »et je répondrai très honnêtement que oui. Qu’il peut au moins se permettre beaucoup ! Quand je parle d’art, je ne parle pas de morale. Si Depardieu a fait chier une partie des gens avec qui il bossait, dans la balance, cela pèse moins lourd que le bien qu’il a fait par son art, que sa contribution géniale et unique à la longue liste des chefs-d’œuvre auxquels il a participé.

Maria Laura Antonelli/AGF/SIPA

Et puis, si je défends ici Depardieu, c’est que de toute façon, je ne suis pas bien convaincu par cette histoire de viol. C’est comme ça. Que voulez-vous ? Il y a des gens qui ne se cachent pas pour dire que « Depardieu violeur », ils y croient et qu’avec tout ce que l’on sait, ça leur semble probable. Anouk Grinberg ne se cache pas pour dire que Depardieu a violé Charlotte Arnould, qu’il ment quand il nie. Comme si elle y était, dans cette chambre ! « Cette espèce de salaud l’a violée avec son gros doigt de pute », dit-elle au micro de France Inter sans que Sonia Devillers juge bon de rappeler la présomption d’innocence. D’ailleurs, Grinberg traite aussi Josée Dayan de camionneuse sans que Devillers lui rappelle que son propos est homophobe. En parlant de Charlotte Arnould, elle dit aussi« Une jeune femme de son âge, frêle comme elle, vierge comme elle l’était, vous pensez qu’elle voudrait se faire dépuceler par un cachalot ?», sans que la journaliste de France Inter épingle la grossophobie de ses propos. Maiscomment le sait-elle que Depardieu a vraiment violé ? Pas parce qu’elle en a été témoin mais parce que Charlotte Arnould, c’est sa copine !Alors moi, je ne m’empêcherai pasde dire que « Depardieuvioleur », a priori, je n’y crois pas. Moi aussi je donne mon petit avis, comme tout le monde.

Il faut dire qu’elle va être difficile à tenir la crédibilité des femmes après toutes ses accusations à tort et à travers. Quand j’ai vu, moi, la manière dont on a traité mon ami Philippe Caubère qui (ouf !)a été blanchi par la justice… j’avoue que, maintenant, je me méfie. Je ne suis pas comme Yann Moix qui avait dit dans l’émission d’Hanouna « Gérard a peut-être violé, peut-être pas, la justice n’a pas encore tranché. Et moi je prends toujours la défense des femmes et je ne pense pas qu’il y ait des mythomanes chez les femmes. » Eh bien, moi, c’est le contraire. Sans parler de mythomanie, je sais que la plainte pour agression sexuelle est devenue un outil de chantage, de menace, de pouvoir et de vengeance. Mais, comme on dit, la justice tranchera.

Ce n’est pas lui qui a changé, c’est le monde

En attendant, nous voilà privés de l’ogre magnifique, du monstre sacré. Le courage, c’est lui qui l’a eu. Le courage de ne reculer devant aucune provocation. Le courage de se glisser dans les situations les plus indélicates afin d’affirmer sa liberté, quitte à se tromper. Afin de rester dans l’inconfort. Sa liberté et son insoumission, il les paye aujourd’hui. Cher. Très cher.Mais après tout, est-ce si grave que cela ? Grave pour l’art, oui. Mais grave pour lui, pas certain. Il a tourné avec les plus grands réalisateurs, joué les plus beaux rôles. Qu’offre le cinéma contemporain de grandiose ? Pas grand-chose ! Quels grands films va-t-il rater ? Probablement aucun ! Et si, par ses dernières provocations, c’était lui-même qui avait amorcé sa fuite ? Si ces derniers pieds-de-nez au conformisme wokisto-bourgeois signalaient son refus de participer à ce monde de la « culture » qui n’est plus celui de l’art. Lui ne perd rien. C’est nous qui perdons. Enfin, pas vraiment. Car Depardieu laisse derrière lui tant de beauté, tant de grandeur. Et puis, le destin d’un grand artiste n’est-il pas de finir ainsi, répudié par ceux qui pensent comme il faut ! L’excommunication des acteurs, des vrais, serait-elle de retour ? Nous en sommes si proches. Un grand acteur est une chose bizarre, incompréhensible, un sorcier, un voyou. Un grand acteur dérange, effraie, gêne. Au diable ! Lorsqu’il mourra, Depardieu sera-t-il enterré discrètement, sans un seul minable petit représentant du ministère de la Culture ? Tout comme Molière fut enterré de nuit et sans messe à Saint-Eustache ? Ce sera tout à son honneur ! Libre jusqu’à la fin. C’est une manière de se consoler.Mais beaucoup d’entre nous auraient tellement aimé en profiter encore un peu. Quelques concerts. Un film par-ci, par-là, même mauvais. Mais pouvoir encore entendre quelques phrases inédites être prononcées par lui. Entendre sa voix unique emplir les mots et les charger de sens. Entendre un peu de son lyrisme, encore.

Car Depardieu, aujourd’hui, reste toujours le grand acteur lyrique et poétique qu’il était hier. Son génie n’a pas bougé. Lui non plus. Ce n’est pas lui qui a changé, c’est le monde. Nous n’assistons pas à sa chute. Lui reste debout, droit. C’est le monde qui s’effrite et s’effondre autour de lui. Depardieu fou ? Oui ! Mais le monde devient encore plus fou que lui. Le voilà rattrapé ! Et ce monde fou, hystérique, tyrannique réclame des artistes sages. Autant dire que l’art, c’est terminé. Rideau. Torreton a gagné ! Les hautes instances de l’« art » et de la « culture » ne pardonneront plus à Depardieu. Tout ça, c’est de l’histoire ancienne. L’histoire ancienne, regardons-la d’ailleurs. Sarah Bernhardt, par exemple, à qui l’on passait aussi beaucoup de choses. L’immense tragédien Édouard de Max, partenaire de scène de la grande Sarah, avait écrit un texte bouleversant sur l’actrice dont voici quelques extraits, qui me laissent rêveur…

« […] Il y a deux Sarah – au moins. Il y a celle qu’on voit de la salle. Et il y a celle qu’on voit des coulisses. Le malheur est que, des coulisses, on voit quelques fois la même que dans la salle, la plus belle. C’est un malheur, parce que, ces jours-là, on n’est plus maître de soi ; on arrive avec de la haine, de la fureur, on veut se venger d’elle, et puis on devient spectateur en jouant et, quand le rideau se ferme, on lui baise les mains, avec des larmes. […] Sarah, c’est l’actrice Sarah. Ce qui se passe derrière la toile, c’est pour les acteurs. Ils peuvent voir, ils peuvent être déçus. Ça n’a aucune espèce d’importance, puisque leurs piresdéceptions ne les ont menés qu’à tant d’extases et d’éblouissement. […] C’est toujours une petite fille, une insupportable petite fille, qui a des caprices, des cris, des crises. […] On a à tout moment une envie ardente de l’étrangler. Logiquement, elle devrait avoir été étranglée depuis longtemps. Mais ses victimes ont toujours différé de devenir ses bourreaux et le différeront toujours, parce que, je pense, nous avons cette curiosité, devant l’acte d’un fou ou d’un enfant, ou d’un enfant fou, de savoir s’il arrivera à trouver pire la prochaine fois. »

Janvier 2024 – Causeur #119

Article extrait du Magazine Causeur




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est comédien.

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