L’importance historique de l’impôt tient tout en entier dans l’absolue incapacité des hommes politiques à en déterminer le juste montant. On ne compte plus les frondes nobiliaires et les révolutions bourgeoises qu’une telle incapacité a suscitées. L’impôt est, bien davantage que la lutte des classes, le fil rouge de l’Histoire. Cette incapacité n’est pas le résultat d’une défaite de l’intelligence, pas même d’un cafouillage administratif. Elle est consubstantielle à son objet : l’argent. Ou pour mieux dire, l’argent que l’on garde pour soi. Ou pour mieux dire : l’argent que l’on garde pour soi afin d’en jouir – que Gérard Depardieu me pardonne cette expression – de tout son saoul.
Nous nous donnons beaucoup de mal pour faire entrer cette jouissance dans le language apparemment rationnel du calcul. Voyez comme la notion de « juste répartition » semble accréditer l’hypothèse qu’une sorte de symétrie naturelle donnerait au Président de savoir qui doit payer quoi. N’est-ce pas ainsi qu’un homme de gauche se fait élire ? N’est-ce pas en contestant cette répertation qu’un homme de droite gagne en popularité ? Et chacun de sortir sa calculette, sûr de son bon droit.
Il est étrange de se dire que l’Histoire repose sur une comptabilité impossible. Nous pouvons nous indigner moralement contre les exilés fiscaux, et nous aurons probablement raison de le faire. Mais le langage de la vertu n’effacera jamais le caractère irrationnel de notre société. Mathématiciens obsessionnels d’un calcul imaginaire, nous avons inventé le compte qui n’est jamais bon, le calcul qui ne satisfait personne.
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