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Lettre à Pauline

Randall Schwerdorffer écrit à la compagne de Nicolas Bedos


Lettre à Pauline
Nicolas Bedos, au tribunal correctionnel de Paris, 26 septembre 2024 © CYRIL PECQUENARD/SIPA

Après la condamnation de Nicolas Bedos à un an de prison pour agression sexuelle (avec sursis probatoire de six mois), sa compagne Pauline Desmonts a dénoncé sur Instagram l’ « injustice » d’une décision « tyrannique ». L’avocat qui officie sur BFMTV lui répond.


Madame, je ne vous connais pas, je ne connais pas non plus votre compagnon, Nicolas Bedos, ni son avocate ni son dossier. Je ne me suis réellement intéressé à son affaire que le vendredi 25 octobre, après vous avoir lue. Il faut dire qu’il y a tellement d’affaires de ce « genre » aujourd’hui, mais oui, la justice doit être juste et une justice qui se contente de croire une parole plutôt qu’une autre ne peut être qu’injuste, quelle que soit cette parole. Je ne sais pas si votre mari est innocent ou coupable, et contrairement à tous ceux qui n’ont pas hésité à la piétiner depuis sa condamnation non définitive, je vais respecter sa présomption d’innocence, ce principe cardinal de notre droit démocratique ignoré et méprisé par des personnalités politiques de premier plan qui ne respectent pas la loi ou alors tout simplement, et ce serait préférable en soi, ne la connaissent pas. Je vais aussi naturellement respecter les droits des plaignantes – en l’état de la procédure pénale, elles ne sont pas des plaignantes, mais des victimes, les mots ont un sens.

Je n’ai pas le droit d’écrire ce que je vais écrire, mais en tant qu’homme de loi, j’en ai l’obligation. Je vais le faire en mon nom, uniquement, et je sais déjà que cela aura un prix, mais si je ne le faisais pas je serais comme tous les autres, alors tant pis, vous méritez qu’on vous réponde sans se cacher dans les ténèbres faciles de l’anonymat.

J’ai bien compris que vous aviez reçu des soutiens nombreux, mais je ne les ai pas trouvés dans mes recherches. Les femmes et les hommes auraient-ils peur de soutenir votre mari de façon publique et à visage découvert, sans risque social pour eux comme cela devrait être la règle dans une démocratie ? Non, madame, vous vous trompez, ils n’ont pas peur, ils sont terrifiés, et ils ont raison. Les courants de pensée dominants dans notre société tels que le wokisme, la cancel culture, le néoféminisme ne souffrent aucune contradiction, MeToo en est la preuve ultime. On a le choix entre être pour et être pour ! C’est la société de la terreur. Dès qu’un homme est dénoncé comme agresseur sexuel ou violeur potentiel, c’est la guillotine publique. S’agit-il d’un progrès, comme on le prétend, ou de la régression d’une société malade de sacrifier ses lois démocratiques à des principes obscurantistes ?

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Vous parlez d’inversion de la charge de la preuve. Je l’ai déjà vue s’appliquer à d’autres que votre mari, y compris à des inconnus. La présomption d’innocence implique que c’est au ministère public de prouver la culpabilité d’un prévenu. Le corollaire, c’est qu’il faut apporter la preuve (mot désormais désuet en matière d’infraction à caractère sexuel) de sa culpabilité et qu’en aucun cas ce n’est au prévenu d’apporter la preuve de son innocence. Dans de nombreux tribunaux, j’ai pu observer que cette règle s’était dangereusement inversée. On demande à la défense de prouver que le prévenu (ou l’accusé) n’a pas fait ce dont il est soupçonné. A-t-on interpellé votre mari à l’audience, lui a-t-on demandé : « Monsieur Bedos, pourquoi la plaignante dénoncerait-elle ces faits s’il ne s’est rien passé ? Pensez-vous qu’elle invente ? Pensez-vous qu’elle mente ? »

En réalité, la seule parole de l’accusatrice sert de fondement à un tribunal pour condamner un homme accusé de crime ou délit sexuel. Autrement dit, la parole de la plaignante est devenue aujourd’hui une preuve qui permet de condamner en l’absence de tout autre élément pour caractériser la culpabilité. Quand l’accusation vaut condamnation, quand la parole d’une femme qui accuse vaut plus, par principe, que celle d’un homme qui conteste l’accusation, il n’y a pas de procès équitable. Donc, il ne s’agit plus de justice, il s’agit de barbarie judiciaire. Si les juges sont payés pour croire alors ils ne servent à rien et ne sont plus des juges, ce sont devenus des voyants, et la voyance, ça ne s’apprend pas à l’ENM. Je ne sais pas, chère Pauline, si votre compagnon est coupable ou pas, mais je sais que personne n’a le droit de porter atteinte à sa présomption d’innocence.

Je souhaite, pour vous et votre famille que votre mari soit jugé en appel, dans le respect de la loi pénale, à l’abri de toute morale toxique. J’espère que ses juges respecteront son droit à un procès équitable qui interdit de faire prévaloir la parole de l’un au détriment ou au bénéfice de la parole de l’autre. Les juges ne sont pas là pour croire l’un ou l’autre, mais pour savoir, et quand ils ne savent pas, c’est la règle fondamentale du doute qui profite au mis en cause qui doit être relaxé ou acquitté. C’est la loi, notre loi à tous et en toutes circonstances, celle qui nous protège ou devrait nous protéger de l’arbitraire. Aujourd’hui, tous les hommes sont en danger face à ce lynchage permanent, à la violence des médias et parfois de la justice.

Chère Pauline, vous avez le courage qui manque aux hommes de mon époque. Ils devraient avoir honte de leur lâcheté, si la honte existe encore. Peut-être faut-il que ce soit une femme qui dénonce. Vous l’avez fait. Vous avez dénoncé la barbarie d’aujourd’hui, celle qui est entrée dans nos prétoires. Merci madame.

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Novembre 2024 - Causeur #128

Article extrait du Magazine Causeur




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Avocat pénaliste

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