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Affaire Ablyazov: Grande-Bretagne et France, deux pays, deux approches

L'homme d'affaires kazakh, réfugié en France, est poursuivi par son pays, le Royaume Uni et les Etats-Unis.


Affaire Ablyazov: Grande-Bretagne et France, deux pays, deux approches
Muktar Ablyazov, le 15/12/2016 / PHOTO: Alexander Turnbull/AP/SIPA / AP21989508_000006

Treize ans après la fuite du Kazakhstan de l’homme d’affaires Muktar Ablyazov, sa situation et son avenir sont encore incertains. Recherché par son pays d’origine et réclamé par trois autres Etats, dont la Grande-Bretagne, il réside actuellement sur le territoire français et sa situation légale est relativement floue à ce jour. Pourtant, il a bien failli être expulsé du territoire français en 2016, mais le Conseil d’Etat avait cassé l’ordre d’extradition. Revenons sur l’aventure hors du commun de ce millionnaire.


L’affaire Muktar Ablyazov trouvera-t-elle bientôt un terme ? C’est très certainement une des questions qui seront abordées fin novembre lors de la visite en France du président kazakh, Kassym-Jomart Tokayev. Elle s’annonce d’ores et déjà bien complexe, au vu des nombreux rebondissements de ce feuilleton judiciaire, qui dure depuis plus de quatorze ans. Muktar Ablyazov, fondateur en 2003 de la banque BTA Bank Joint-Stock Company, et ancien président de cette dernière – nationalisée depuis par l’ancien président du Kazakhstan, Noursoultan Nazarbayev, peu après la crise financière en 2009 -, est poursuivi, accusé d’avoir blanchi près de 6,5 milliards de dollars via des comptes offshore, notamment en Suisse, ainsi que des entreprises – environ 300 -, du temps où il était à la tête de la banque.

Ablyazov : financier…et homme politique

Mais pour bien comprendre le profil de l’homme d’affaires et ses rapports avec son pays d’origine, il convient de le situer sur l’échiquier politique kazakh. En plus d’être un homme d’affaires, Ablyazov est un activiste politique. Proche des sphères économique et financière du pays, il est nommé ministre de l’Énergie, du Commerce et de l’Industrie en 1998, dans le gouvernement de Nazarbaïev, mais démissionne un an plus tard, en dénonçant les pratiques, le népotisme et la corruption du gouvernement. En 2001, il fonde un parti d’opposition; le Choix démocratique du Kazakhstan, et appelle à des réformes au sein de l’Etat. Une opposition au président qui n’est pas sans conséquences, puisqu’il est poursuivi, dès 1999, pour détournement de fonds et évasion fiscale. Depuis, il ne cesse d’affirmer que tous les procès intentés à son encontre par le gouvernement et la banque BTA ont des motivations exclusivement politiques et n’ont aucun fondement juridique sérieux. Pour autant, nombre de tribunaux en doutent et pas des moindres, comme l’ont montré les condamnations ou les procès encore en cours dans quatre pays différents. Le cas le plus spectaculaire à ce jour est celui de la Grande-Bretagne où il est allé trouver refuge, en 2009, pour fuir le procès que voulait lui intenter BTA.

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Un périlleux séjour britannique

Entre janvier 2009 et février 2012, Ablyazov trouve refuge à Londres et s’installe à Carlton House, dans le quartier huppé de Bishops Avenue, où il se voit octroyer le statut de réfugié politique et où il paraît en sécurité, loin de son pays. Mais sa fuite n’a pas découragé le gouvernement kazakh ou la banque BTA, lesquels sont décidés à le poursuivre en justice partout où ce sera possible ; et à obtenir qu’il soit extradé vers le Kazakhstan. Dès 2009, BTA porte plainte contre l’homme d’affaires à la High Court (Haute Cour) de Londres, pour « fraude et détournements de fonds à une échelle inégalée ». Ablyazov a nié systématiquement les accusations – et les nie toujours -, fustigeant des poursuites politiques. Pour autant, le verdict du procès, donné en février 2012, reconnaît qu’Ablyazov commit des entraves graves et répétées au droit international, le condamne à verser 4,6 milliards de dollars de dommages et intérêts à la banque BTA et ordonne « de nouvelles ordonnances de gel des avoirs post-jugement […] dans une somme illimitée et de nouvelles ordonnances de gel des avoirs concernant certains autres défendeurs ». En plus de cette lourde condamnation, la High Court le condamne aussi à vingt-deux mois de prison pour outrage à magistrat, pour avoir dissimulé une partie de ses biens.

Petit problème : lorsque les cops arrivent chez lui pour l’arrêter, il a déjà fui…pour la France. Une nouvelle bien déplaisante pour la justice britannique, qui lance immédiatement un mandat d’arrêt international contre l’homme d’affaires. Les Britanniques se doutaient-ils que l’individu allait se voir rapidement octroyer le statut de réfugié par la France, pays où il réside toujours à l’heure actuelle ?

Un séjour français sans heurts ou presque

Il aura fallu un an pour retrouver Ablyazov, réfugié dans une confortable villa de Côte d’Azur, près de Cannes, parmi les nombreuses autres demeures de milliardaires. Le pistage, par le cabinet de renseignement privé, Diligence, d’une amie ukrainienne de l’homme d’affaires, Olena Tyshchenko, pendant un voyage qu’elle effectuait entre Londres et Nice, a permis de remettre la main dessus. Autant dire qu’il est permis de douter de la coopération entre les deux pays en matière judiciaire, qui ne paraît pas avoir été très active durant la période. Bien qu’il fût arrêté par la police française dès qu’il fut retrouvé, le ministère de l’Intérieur tarda à l’extrader, alors même qu’outre la Grande-Bretagne, il était aussi réclamé par l’Ukraine et la Russie. À la décharge du ministère, Ablyazov avait fait appel de la décision d’extradition et s’était même pourvu en cassation, sans succès. Mais lorsque Manuel Valls, alors Premier ministre, signe l’ordre d’extradition vers la Russie le 9 décembre 2015, son décret est cassé par le Conseil d’Etat. Un évènement rarissime pour un décret du Premier ministre, qui s’était produit pour la dernière fois en 1977. La plus haute instance administrative a jugé en effet que l’ordre d’extradition vers la Russie avait été établi pour des motifs politiques. Depuis lors, Ablyazov est resté en France et n’a vu que très récemment sa situation s’éclaircir. Il a quasiment obtenu gain de cause face à la BTA à la Cour d’appel de Paris, qui a considéré en janvier 2022 que les faits de détournement d’argent qui lui étaient reprochés étaient désormais prescrits et a donc décidé de l’abandon des poursuites. Le procureur général a immédiatement formulé un pourvoi en cassation, pour contester la décision de la Cour d’appel de Paris. Pour l’heure, nous ne savons pas quelle est la décision de la Cour de cassation à ce sujet. Une situation incertaine qui n’empêche pas que son maintien sur le territoire français soit de moins en moins garanti.

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Une situation encore incertaine

En décembre 2021, le Conseil d’Etat a privé Ablyazov de son statut de réfugié. Une situation qui pourrait poser à nouveau la question de son extradition en Grande-Bretagne, et peut-être aussi aux Etats-Unis. Il y est en effet poursuivi pour les mêmes faits qu’en Grande-Bretagne, depuis janvier 2021. Quant au Kazakhstan, il devra encore attendre quelques années avant de revoir celui qui est certainement un des individus les plus recherchés du pays. Astana n’est certainement pas disposée à lâcher l’affaire, alors qu’Ablyazov y est désormais inculpé, depuis 2018, pour avoir commandité en 2003 l’assassinat de son ancien associé à la banque BTA, Yerzhan Tatishev, afin de pouvoir en prendre seul la direction. Le fils de feu Yerzhan Tatishev, après avoir fait diligenter une autopsie par des experts indépendants, aurait réussi à prouver que sa mort par balle, à bord d’une Toyota en rase campagne, pendant une partie de chasse, ne serait pas le fait d’un tir accidentel, comme l’ancien homme d’affaires Muratkhan Tokmadi, accusé d’avoir assassiné Tatishev, l’aurait dit. L’affaire est donc loin d’être close et rien ne garantit qu’une solution sera trouvée sur son cas lors de la rencontre entre Emmanuel Macron et le président de la République du Kazaksthan, Kassym-Jomart Tokaïev. A l’heure actuelle, la Grande-Bretagne poursuit toujours Ablyazov et a renouvelé son mandat d’arrêt contre lui pour deux ans, le 25 juillet 2019, et il semble aller de soi que le Kazakhstan ne va pas le lâcher non-plus.

Un réseau européen bien entretenu

L’homme d’affaires bénéficie encore de nombreux soutiens en Europe et en-dehors, en particulier celui de l’Open Dialogue Foundation (ODF), dont Ablyazov est soupçonné d’être un financier occulte selon plusieurs sources bien informées, rapportées par le site d’actualités Atlantico. Parmi les proches de l’association, on trouve notamment Botagoz Jardemalie, une avocate et réfugiée kazakhe, qui a quitté le pays en 2013, pour trouver refuge en Belgique, où elle jouit du statut de réfugiée. Depuis, le Kazakhstan cherche par tous les moyens à mettre la main sur elle. Le 30 octobre 2019, son appartement de Bruxelles était perquisitionné par la police belge, accompagnée par deux policiers kazakhs, dont certaines pratiques ont été sérieusement mises en question, du fait de leur participation très active à la perquisition.

Le cas d’Ablyazov va sans doute alimenter l’actualité dans les prochains mois. Mais il faut rappeler ici que la volonté du gouvernement français, de la justice française et du gouvernement anglais, contribuera probablement à fixer son sort. Tout dépendra pour cela des liens qu’entretiendront les deux pays avec le Kazakhstan bien sûr, ainsi que de la détermination du président Tokaïev à ramener l’homme d’affaires dans le pays.  




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Journaliste franco-britannique

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