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Allemagne: Berlin défie Merkel


Allemagne: Berlin défie Merkel
Frauke Petry, dirigeante de l'AfD. Sipa. Feature Reference: AP21952450_000014.
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Frauke Petry, dirigeante de l'AfD. Sipa. Feature Reference: AP21952450_000014.

Pour une fois, saluons les instituts de sondage : à Berlin, leurs prévisions se sont révélées fiables, à un niveau de précision rarement égalée dans des élections locales, plus difficiles naguère à cerner que les grands scrutins nationaux, en raison de la faible taille de la population concernée (14,4 millions d’habitants et 2,5 millions d’électeurs). À moins de deux points près, le résultat final[1. Résultats définitifs (entre parenthèses, chiffres de 2013) : SPD : 21,6% (28,3) ; CDU : 17,6% (23,3) ; Verts :15,2% (17,6) ; Die Linke 15,6% (11,7) ; AfD 14,2% (0)] coïncide avec les chiffres des instituts de sondage, une performance remarquable, surtout si l’on considère que l’AfD, (Allianz für Deutschland), le parti dit populiste, participait pour la première fois à ce renouvellement du Sénat de Berlin, parlement du Land englobant le territoire et la population de la capitale de l’Allemagne réunifiée.

Un referendum local anti-Merkel

Pas de surprise, donc, mais une confirmation de la tendance observée lors de toutes les élections régionales et locales qui se sont tenues dans le pays depuis l’été 2015 : les partis de gouvernement, la CDU/CSU et le SPD chutent lourdement, perdant chacun près de entre 6 et 7%de leurs électeurs de 2013, alors que les formations d’opposition de gauche comme de droite, soit se maintiennent à peu près, comme les Verts (- 2,4%), soit progressent, comme Die Linke (+ 3,4%), les libéraux du FDP (+4%) ce qui leur permet de revenir au Sénat, et surtout l’AfD, qui effectue une percée en engrangeant 14,2% des suffrages dès sa première entrée en lice.

Tous les analystes politiques d’outre-Rhin s’accordent pour constater que les considérations locales ont joué un rôle mineur dans ce résultat, et que les électeurs berlinois se sont prononcés en fonction de leur appréciation de la politique menée par la chancelière Angela Merkel et son gouvernement de coalition CDU/SPD au cours de la dernière année, notamment sa politique d’ouverture face à l’afflux de migrants.

Qui aurait pu, en effet, prédire que Berlin, cette métropole du « multi-culti », de la tolérance affichée et revendiquée de toutes les différences, des quartiers branchés où se déploie la « movida » made in Germany, allait prêter une oreille complaisante au discours l’AfD ? Cette anxiété à propos du choc culturel provoqué par l’afflux massif de migrants issus de traditions étrangères à la «  Kultur », ne concernait, disait-on, que les ploucs de la Prusse et de la Saxe profonde, voire des périphéries des métropoles de l’Ouest, mais devait épargner la ville-monde ressuscitée des ses ruines de 1945 et de quatre décennies de mur infranchissable en son sein pour cause de guerre froide.

Et bien non, car on avait oublié, ou pas voulu voir que Berlin n’était pas seulement la métropole hype décrite par ceux qui la fréquentent superficiellement, comme ces jeunes français modèle Erasmus qui font la navette entre la fac et les boites branchées, ou les écrivains à la mode qui y ont établi leur résidence, ou bénéficient réguilèrement de prestations bien payées par les médias et les institutions culturelles d’outre-Rhin…

Insécurité culturelle à Berlin

Il existe aussi encore à Berlin – comme à Paris d’ailleurs – des habitants qui ont le sentiment que leur ville leur échappe, que leurs codes culturels sont malmenés par de nouveaux arrivants qui privatisent au nom des leurs des secteurs entiers de la ville,  ou d’autres qui gentryfient, version bobo, des ancien quartiers populaires, notamment dans l’ancien Berlin-est.

Ceux-là ont été sensibles aux sirènes de l’AfD, et pour certains de Die Linke, dont le bon score, y compris dans la partie ouest de la ville, démontre que ce parti n’est plus seulement le réceptacle des nostalgiques de l’ex RDA, mais séduit une fraction de la jeunesse née après la chute du Mur, donc dépourvue d’une mémoire charnelle des méfaits du socialisme réellement existant.  Pour résumer, le bobo se gauchise, et le populo se droitise. Les partis de gouvernement se maintiennent chez les vieux, les fonctionnaires, les retraités aisés, alors que les partis de contestation progressent chez les jeunes, les professions intellectuelles, les geeks : à Berlin, les Verts sont gauchistes, alors que dans le reste du pays, il ne se gênent pas à s’allier avec la droite.

La principale conséquence pratique de cette élection est la perte de majorité absolue par la coalition sortante, dirigée par le SPD en alliance avec la CDU. Arrivé en tête, le bourgmestre sortant Michael Müller (SPD), doit donc constituer une nouvelle majorité, et a fait savoir qu’il ne souhaitait pas poursuivre sa collaboration avec les chrétiens-démocrates. Cela ne lui laisse comme issue que d’inclure Die Linke dans son gouvernement (ce qui avait déjà été le cas pour son prédécesseur Klaus Wowereit). Le modèle berlinois rose-rouge-vert est-il pour autant la préfiguration d’une alternative de gauche à la coalition actuelle dans la perspective des élections au Bundestag de 2017 ? En aucune façon. Le SPD, jusque là s’est toujours refusé à transplanter sur le plan fédéral des alliances qu’il a noué, pour des raisons pragmatiques, dans les Länder de l’ex-RDA, où die Linke est encore puissant…Cela va obliger son actuel leader, Sigmar Gabriel, à peaufiner une rhétorique acrobatique lors de la prochaine campagne législative, et risque de provoquer des remous internes au SPD à l’image de ce qui se passe au sein du PS français. Il va falloir trouver un équivalent allemands au mot » frondeur »…

Merkel, certes, sort encore un peu plus affaiblie du scrutin berlinois, surtout en raison du caractère symbolique de la situation politique dans la capitale du pays, où sont concentrés la plupart des représentants des médias nationaux et étrangers. Mais n’en est-il pas de même à Paris ou à Londres, où la gauche est aux manettes ?

Alors, elle manœuvre, non sans habileté d’ailleurs. Elle a réussi à calmer la CSU bavaroise en promettant de ne plus employer, à propos de l’intégration des migrants, son slogan «  Wir schaffen das ! » (Nous y arriverons !), en espérant que les incidents de Cologne, ou pire que des attentats djihadistes ne se produiront pas avant les élections législatives. Elle a pris son parti de l’installation de l’AfD à un haut niveau dans le paysage politique allemand. Elle campe donc résolument au centre de l’échiquier politique national, prête à accueillir les Verts, et/ou le FDP au cas ou le SPD lui ferait défaut.  Elle se prépare à mener une lutte sans merci au sein de l’UE pour préserver les intérêts des épargnants allemands, gravement touchés par la politique des taux ridiculement bas imposés à la zone euro par la BCE de Mario Draghi.  Tant pis si cela met ses collègues et partenaires européens, comme Hollande et Renzi dans l’embarras, en torpillant un élément moteur de la croissance au sein de l’UE : l’Allemagne peut surmonter facilement une hausse des taux de crédits, elle a des réserves pour rembourser sa dette souveraine. Si dans les élections régionales, les électeurs allemands peuvent se laisser aller au romantisme (version Herder), la raison du portefeuille devrait faire la différence lorsque le pouvoir fédéral sera en jeu.



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