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Adoptons les Wallons et les Bruxellois


Adoptons les Wallons et les Bruxellois

Madame la Belgique se meurt, Madame la Belgique est presque morte, et nous restons là comme des benêts à contempler cette agonie comme s’il s’agissait d’un épisode du feuilleton débile de l’été sur France 2.

Comme les petits enfants belges ne présentent aucun symptôme de dénutrition (ventre ballonné, côtes saillantes, grands yeux couverts de mouches), et que l’abandon de la compétition par Justine Hénin ne suscite aucune mobilisation populaire demandant son retour immédiat sur les courts, l’opinion reste indifférente aux râles d’une nation en phase terminale. Elle a bien tort, car la France, volens nolens, va devoir réaménager ses relations avec son plus proche voisin, situé à 1 h 20 de Paris en chemin de fer.

L’actuel Premier ministre du Royaume de Belgique s’appelle Yves Leterme, que son nom prédestinait à éteindre la lumière avant de fermer pour toujours la maison belge unitaire. Ce fils de Wallons émigrés en Flandre avait défrayé la chronique en entonnant La Marseillaise, alors qu’un journaliste facétieux l’invitait à démontrer qu’il connaissait la version francophone de l’hymne national belge, La Brabançonne.

Ce lapsus en dit long sur l’insconscient collectif des habitants du plat pays, qui ont fait depuis bien longtemps leur deuil de cette Belgique de papa, chantée par Brel, Flamand francisé de Bruxelles…

La « question belge », celle des modalités de cohabitation de deux communautés et de trois régions (Flandre, Wallonie et Bruxelles) traverse l’histoire du royaume depuis sa création en 1830. Entre 1945 et 2008, ce pays est allé dans un seul sens : celui d’un éloignement croissant des deux principales composantes de cette nation, les néerlandophones et les francophones[1. On a coutume de rassembler ces derniers sous la dénomination de Wallons, ce qui n’est pas exact, car les Bruxellois d’expression française ne se reconnaissent pas comme tels.].

Parfois violent, comme lors de la séparation de l’Université de Louvain dans les années 1960, mais le plus souvent pacifique, ce détricotage de la Belgique unitaire a peu a peu vidé de l’essentiel de son contenu l’Etat central, pour renforcer le pouvoir des régions. Le moteur de cette évolution a été le mouvement national flamand : les francophones s’arrangeaient fort bien d’une Belgique dont ils furent longtemps les dominants, sur le plan économique, politique et culturel. La situation s’est inversée au cours du dernier demi-siècle : aujourd’hui les Flamands ont rattrapé, puis dépassé une Wallonie en déclin, dans le domaine démographique et économique. Jusqu’aux années 1980, l’élite politique flamande, dominée par les démocrates-chrétiens, avait réussi a endiguer la poussée indépendantiste et à satisfaire les revendications autonomistes de la population dans le cadre de ces fameux compromis à la Belge, où la Flandre « achetait » des éléments de souveraineté pour ses institutions provinciales contre des subsides versés à une économie wallonne en déconfiture.

Les dirigeants flamands comme Marc Eyskens ou Jean-Luc Dehaene faisaient d’autre part valoir aux impatients que la construction européenne allait régler une fois pour toutes la question belge : l’Etat-nation était promis au dépérissement au profit d’une Europe, fédérale d’un côté, multirégionale de l’autre.

Ces paroles apaisantes ont été balayées par deux événements majeurs : la chute du Mur de Berlin et le surgissement, puis l’enracinement, en Flandre d’un parti populiste xénophobe et séparatiste, le Vlaams Blok, rebaptisé aujourd’hui Vlaams Belang.

La libération des peuples d’Europe centrale et orientale a eu pour conséquence l’éclatement de deux pays : la Yougoslavie et la Tchécoslovaquie, et la création, sous les ovations de l’Occident, de nouvelles nations souveraines, dont les peuples ne se sentaient plus à l’aise dans les structures étatiques établies après la première guerre mondiale. Les Belges francophones prétendent que leurs concitoyens flamands sont parfois lents de la comprenette, mais cette fois-ci ils n’ont pas tardé à se mettre en tête que, pour peu qu’ils le demandent avec un peu d’insistance, il serait difficile de leur refuser ce que l’on venait d’accorder à la Slovénie, la Slovaquie ou le Kosovo.

L’abandon de l’utopie fédéraliste européenne après l’élargissement à l’Est et l’échec du référendum constitutionnel réduisait à néant l’hypothèse d’une Belgique soluble dans l’Europe. Sous la pression du Vlaams Belang dont le slogan est « België barst ! » (crève Belgique!) l’ensemble des partis flamands, à l’exception des Verts, ont mis en avant des revendications qui reviennent à faire de l’Etat belge une coquille vide. L’exigence d’une régionalisation de la sécurité sociale, fin de la solidarité interpersonnelle de tous les Belges, est considérée comme un casus belli par tous les partis francophones. Ces derniers vivent également très mal les vexations imposées aux habitants francophones des communes de la périphérie bruxelloise.

Nous en sommes là : le 14 juillet, Yves Leterme jette l’éponge après quelques mois de gouvernement, se trouvant dans l’incapacité de conclure un accord avec les francophones sur la réforme de l’Etat. Le roi Albert II, dont le job et l’avenir de la dynastie dépendent de la pérennité de la Belgique, a beau refuser la démission de Leterme pour forcer le destin, les dés semblent jetés : jamais on n’a été si près de l’éclatement du pays.

Fin juillet, un sondage publié par Le Soir, principal quotidien francophone, indique que 49 % des Wallons et Bruxellois francophones sont favorables à un rattachement à la France en cas de départ de la Flandre. Le reste se partage également entre les « contre » et les sans-opinion.

La publication de ce sondage a provoqué un léger intérêt dans les médias français, qui n’ont cependant pas pris la juste mesure de la révolution mentale qu’il révèle. Alors que jusque-là le mouvement « rattachiste », favorable à l’intégration dans la France de Wallonie-Bruxelles, restait groupusculaire et ne réalisait que des scores infimes aux élections (1,28 % aux législatives de 2007), la percée de ses idées dans l’opinion constitue un événement historique. Il montre tout d’abord le désarroi des francophones devant le refus, catégorique cette fois-ci, des dirigeants flamands « d’arranger les bidons », savoureuse expression belge signifiant bricoler un accord.

Comme le dit un politicien wallon : « Maintenant, il n’ y a plus de gras à se partager, on est à l’os… » La Wallonie est un pays de cités. Chacune d’entre elles veille jalousement sur ses privilèges, et aucune ne supporterait la prééminence d’une autre: pour ne pas trancher entre Liège et Charleroi, villes d’importance équivalente, c’est la modeste Namur qui devint capitale régionale. Quant à Bruxelles, son éclatement en dix-neuf communes de plein exercice rabattrait son caquet de capitale, si toutefois il lui prenait la lubie de se hausser du col. Vingt ans de pouvoir français, révolutionnaire, puis impérial entre 1795 et 1815, ont vacciné les Belges contre le jacobinisme centralisateur et inquisiteur pour ce qui est de l’usage des deniers publics. Faut-il alors qu’ils soient dans la panade pour se retourner vers une France, certes adorée pour les vacances et la culture, mais dont on se passe fort bien dans l’organisation de la cité !

Ce sondage révèle également la défiance que le peuple francophone éprouve envers sa classe politique : ce n’est pas à ces gens-là, gangrenés par le clientélisme et la corruption, que l’on pourrait confier la construction d’un Etat, si la Belgique éclate.

Dans ce domaine, l’affaire Dutroux en 1997 a été le symptôme annonciateur d’une désagrégation de l’Etat belge, de la même manière que Tchernobyl en 1986 avait été celui de l’écroulement du communisme soviétique. Un Etat dont les dysfonctionnements provoquent la mort d’enfants perd sa légitimité.

Dans un mois, dans un an, les dirigeants français auront à répondre à une interpellation venue d’outre-Quiévrain : « Est-ce que vous voulez bien de nous, avec nos chômeurs, nos politiciens corrompus et alcooliques, certes, mais aussi avec nos universités, nos théâtres et nos opéras, et un peuple qui ne demande qu’à se relever pour peu qu’on lui tende la main ? »

Les Chtis sont déjà 60 % à dire « bienvenue chez nous » à leurs voisins, comme le révèle un sondage récent de La Voix du Nord. Cette fois-ci, la réunion des Français et des Belges n’aurait rien d’une annexion, ce serait plutôt une adoption. Avec ce qu’il faut de rééducation de part et d’autre : un peu plus de souplesse décentralisatrice du côté français, et une sérieuse rectification des mœurs politico-administratives du côté belge. Puisque le multiculturalisme est à la mode…



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