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Paris vaut bien un mess

Edouard Bear réunit Benoît Poelvoorde, François Damiens, Pierre Arditi, Isabelle Nanty, Gérard Depardieu, Léa Drucker, Bernard Le Coq, Bernard Murat, Daniel Prévost et Jean-François Stévenin à l'écran


Paris vaut bien un mess
© Cinéfrance / Le Pacte

« Adieu Paris », le dernier film crépusculaire d’Édouard Baer est encore dans les salles


Chez Édouard, l’amertume à livre ouvert n’en finit plus de se propager sur l’écran. Ne vous trompez pas sur les intentions de ce garçon de bonne famille. Elles ne sont pas pacifiques ! Cet atrabilaire dilettante a bien du mal à masquer sa détestation de notre époque. On le comprend aisément. Elle est si laide et, si prompte à donner la becquée. Chez lui, le rire est une arme dissuasive ; l’humour, un nécessaire camouflage pour ne pas sombrer. En promotion, sur les plateaux de télévision, durant une quinzaine de jours, comme à son habitude, il en aura fait un peu trop, pour amuser la galerie, pour prendre les commandes d’un animateur complice, pour les annales du Zapping et surtout, par peur d’être instrumentalisé par le système. Enseveli sous la mitraille du formatage, voilà sa grande crainte existentielle depuis ses débuts professionnels. Il connaît mieux que quiconque la vulnérabilité de l’acteur en campagne publicitaire et sait pertinemment que la liberté dans ce métier-là s’exerce sous caution. Sous mandat de dépôt, même. Nous connaissons désormais bien Édouard, sa personnalité dissidente et son maintien bourgeois. Des profondeurs de Nova au Centre de visionnage, son visage ne nous ment plus. Son malaise nous est familier. Ses divagations oisives et sa rhétorique carnavalesque auront accompagné toute notre jeunesse. Nous admirons sa régularité dans l’effort du contrepied et de la phrase suspensive. Pour nous arracher à la monotonie du divertissement calibré, inlassablement, il continue de plastronner goulument, de combler le vide des conversations par le mot aérien, d’articuler une geste dérisoire et aimable dans un monde fou de rentabilité immédiate. Il esquive encore et toujours l’obstacle, tentant d’imposer sa propre chorégraphie, son propre lexique, sa propre histoire. Juste pour cette tentative désespérée, ces modestes pas de côté, nous lui en savons gré. Édouard déteste cette profession où la retape et l’obsession de la gaieté commandent à la réussite d’un film. Derrière la palabre nostalgique et le ratage de façade, cette forme d’art cabossé dont il s’est fait le dépositaire français, son film “Adieu Paris” sonne comme un inventaire avant liquidation générale. Il était temps de régler son compte à cette vieille capitale phraseuse et paresseuse, exempte de toute malice et féérie. Après ça, on peut tirer le rideau. Et partir ailleurs. Loin des boulevards. Chez Édouard décidément inguérissable, même le passé ne parvient pas à panser les plaies. Chez cet anar à cravate en tricot, il n’y a aucune rédemption possible, aucune planche de salut. Une noirceur nous assaille plusieurs heures après avoir vu ce « drôle » de film. Le champagne s’est émoussé et a laissé place à un profond désarroi. Que retiendra-t-on de ces légendes faisandées, réunies à la Closerie des lilas pour un déjeuner rituel et pathétique ? Quelques saillies bien balancées, une jolie partition pour des acteurs en roue libre, un duo de Belges qui cabotine avec un talent certain, un Arditi expansivement perdu, un Stévenin tendre et poétique, un Prévost persifleur et lugubre, un Le Coq titubant de maladresses, tout ce déroulé bancal et un peu loupé pourrait agacer, il finit par séduire par ses trous d’air et sa tristesse infinie.

Édouard, désordonné et sombre, se fout de la dramaturgie, se moque des scénarii bétonnés et du suspense haletant. On peut sortir de la salle, passablement énervé, par cette longue scène d’intérieur en moleskine et ces joutes oratoires entre comédiens à la retraite. On a ri un peu, on s’est ennuyé un peu aussi. Et puis, bien plus tard, comme si cette « comédie » demandait de la maturation, on la trouve incroyablement culottée. Car, elle est raide, sans chair, sans affect. Un témoignage brusque sur les gloires d’antan dans un Paris disparu qui ne laisse filtrer aucun espoir. C’est osé ! Les femmes ne sont que des ombres. Cette réunion bavarde des solitudes masculines ne distille aucun message politique. Le volubile Édouard est cependant passé maître dans les silences, ceux de Gérard Depardieu et de Jackie Berroyer valent à eux seuls, le prix du ticket d’entrée.  


Adieu Paris, film d’Édouard Baer – Dans les salles actuellement



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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