« Adieu, monsieur le professeur ! » chantait il y a déjà longtemps Hugues Aufray qui ne croyait alors pas si bien dire.
Cette fois, il n’est même plus seulement question des réductions d’effectifs à l’arme lourde qui, durant le quinquennat, auront abouti à la suppression, en moyenne annuelle, de 15 000 postes d’enseignants au nom du dogme de la Foi et de la RGPP réunies, dogme qui consiste à ne plus remplacer qu’un poste sur deux lors des départs en retraite. En chiffres sonnants et trébuchants, cela donne près de 80 000 profs en moins entre 2007 et 2012. Dans quelle entreprise privée cela serait-il supportable ou même viable économiquement ? A moins de délocaliser. Mais envoyer une classe de 3ème faire du latin en Chine n’est pas encore à l’ordre du jour.
Comme d’habitude, les bonnes âmes compareront ce qui n’est pas comparable, et trouveront le moyen de prouver que le taux d’encadrement des élèves reste l’un des meilleurs du monde civilisé. Or, ce qu’on appelle « civilisé » du côté de l’OCDE ou du classement Pisa, n’est pas ce qui est transmis mais plutôt le coût de cette transmission. In fine, cette logique évalue le juste et le bien collectifs à l’aune de l’équilibre des comptes. Le reste n’est que littérature, ou philosophie. C’est à dire pas grand-chose lorsque l’horizon radieux et le destin historique des nations se résument à la réduction de leurs déficits.
Tenez, puisqu’on parle de philo, cette spécificité française qui consiste à ce que tous les bacheliers français, y compris ceux des filières professionnelles aient au moins quelques mois dans leur vie réfléchi à la mort, à la liberté, au temps et à la passion avant de sombrer dans l’aliénation définitive du salariat et/ou de la précarité, eh bien, elle est en voie de disparition. Pure et simple.
On s’en est aperçu, par l’absurde, lors d’un des multiples incidents qui ont émaillé le déroulement des épreuves du bac 2011. Figurez-vous que dans les académies de Paris, de Versailles et de Créteil, trois mille copies de philo n’ont pas trouvé de correcteurs à l’issue des épreuves. Problèmes d’organisation de l’examen ? Même pas. Chaque professeur avait bien son quota prévu.
Mais on a eu beau faire, il en restait trois mille, comme un remords. On a donc décidé de faire appelle à la « réserve », ces professeurs non désignés dans un premier temps mais qui peuvent venir suppléer les absences de dernière minute chez leurs collègues. Seulement, voilà, de « réserve », il n’y en avait plus ! Comme dans ces films de guerre où un général annonce le visage crispé à un capitaine qu’il n’y aura pas de renforts et qu’il faudra faire face à l’assaut ennemi avec ce qu’il lui reste de soldats : « Fermez les yeux, mon vieux, pensez à la France et arrangez vous pour répartir les copies surnuméraires sur les correcteurs présents déjà surchargés. »
Et si un insolent ose demander pourquoi il n’y a plus de « réserve », le général, en l’occurrence monsieur Vincent Goudet, directeur du SIEC (Service Interacadémique des Examens et des Concours), après avoir tenté d’expliquer que les profs de philo, comme tous les autres, sont des feignasses absentéistes au moment du bac, est bien obligé d’admettre que les feignasses en question, qui ont tout de même accepté de corriger trois mille copies supplémentaires, ne sont peut-être pas les seuls responsables du problème. Il a même été forcé d’avouer au Figaro, ce qui a dû lui écorcher la bouche de manière insoutenable : « La raison majeure tient à la suppression de 55 postes par rapport à l’année dernière. Je suis face à un vivier de correcteurs réduit ».
On appréciera d’autant mieux la métaphore piscicole de monsieur Goudet, qu’il y a de moins en moins de monde à vouloir jouer la truite d’élevage pour l’Education Nationale. Malgré la campagne de recrutement à plusieurs millions d’euros, les concours pour devenir enseignant ont fait un four cette année. Quelques chiffres : près de 1000 postes n’ont pas été pourvus aux différents CAPES externes. C’est le cas en anglais avec 658 admis pour 790 postes, en lettres classiques, avec 77 admis pour 185 postes ou en musique avec 72 admis pour 120 postes.
Le record revient aux maths : 574 admis pour 950 postes offerts en mathématiques ce qui signifie qu’il va manquer 376 hussards de la République pour apprendre les identités remarquables dans les ZEP où par les temps qui courent, mais c’est un autre problème, les identités sont de plus en plus remarquées.
Alors que se passe-t-il pour que de beaux jeunes gens diplômés n’aient plus envie d’un poste pépère de fonctionnaire surmutualisé, avec des vacances qui n’en finissent plus ? Le métier aurait-il changé ? La formation ? Ah, la formation évidemment, il n’y en a plus… Trop cher. On est passé de la décérébration pédagogiste par les IUFM à l’envoi direct des troupes fraîches sur le terrain. C’est bien pour cela que le chiffre des démissionnaires dès la première année d’enseignement est désormais l’un des secrets les mieux gardés de la rue de Grenelle.
Ce n’est pas grave. Bientôt nous n’aurons tout simplement plus d’Education Nationale. Le privé, Acadomia et compagnie pourront très bien s’en occuper. Pour les riches, bien sûr. Les pauvres eux, pourront être fiers. Ils seront incultes, on ne leur aura rien transmis de ce qui peut donner le sentiment d’appartenir à une nation et à une histoire mais, au moins, ils vivront dans un pays qui aura fait de gros efforts budgétaires, ce qui provoquera des roseurs de plaisir du côté des agences de notation.
Finalement, c’est tout ce qui compte, non ?
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