Marcel Gauchet à propose de Le Pen, une histoire française
« Ce livre éclaire bien l’écosystème grâce auquel le phénomène de l’ancrage et de la durée de l’implantation du Front national a pu se produire. En cela, il s’agit d’une contribution indispensable à ce qu’est le Front national. Jean-Marie Le Pen est un rejeton du système, un insider. Sa connivence avec le reste de la classe politique française est le sujet du livre. Voilà le scandale qu’il soulève. Or il provoque un silence général ».
Sud-Ouest, « Pourquoi Péan et Cohen sont inaudible sur Le Pen », 17/02/2013
Jérôme Guedj, député, président du Conseil général de l’Essonne
J’entends encore les mots justes et douloureusement ciselés de Sandrine, prononcés dans cette Rotonde du Père-Lachaise bien trop petite pour accueillir tous ceux que Philippe Cohen a marqués d’une manière ou d’une autre, par son intelligence vive, sa bienveillance mais aussi sa capacité déconcertante à vous cerner et à vous mettre à nu en deux questions brusquement très personnelles enrobées d’un sourire tendre. Ces mots qui nous rappellent pour toujours l’exigence permanente de Philippe, une certaine idée de la gauche qui refuse à la fois, je cite encore Sandrine, la facilité « du catéchisme républicain » et celle des « grosses ficelles anti-libérales ». C’est cela qui nous a fait nous trouver et nous retrouver au fil des ans, depuis notre attelage baroque de la fondation Marc-Bloch jusqu’à nos derniers échanges sur l’état du pays et de ses dirigeants. C’est ce qui me manquera le plus, d’autant qu’à l’absence s’ajoutent le regret de ne pas avoir assez goûté ses promesses d’amitié.
Alain Finkielkraut
J’avais de nombreux désaccords avec Philippe Cohen. Lors de la guerre en ex-Yougoslavie, il était pro-serbe ; le moins qu’on puisse dire, c’est que je ne l’étais pas. Dans la biographie de Jean-Marie Le Pen qu’il a écrite avec Pierre Péan, il a voulu montrer que le fondateur du Front national n’était antisémite que par intermittences. Cette démonstration ne m’a pas convaincu. Mais j’ajoute que Philippe Cohen n’a omis aucun des propos que Le Pen a tenus sur et contre les juifs tout au long de sa carrière. Et cette biographie est remplie de révélations passionnantes comme celle du tandem formé par Alain Soral et Marine Le Pen lors de la campagne présidentielle de 2007. Ces deux-là ont écrit ensemble certains discours du candidat et ils prônaient un rapprochement avec les immigrés au nom de la lutte contre la mondialisation financière. Le procès qui a été fait à Philippe Cohen et qui a assombri la dernière année de sa vie est donc injuste et stupide. Mais, décidément, certains en France ont besoin d’un diable pour agir et pour penser. Le Pen était ce diable. Et si Philippe Cohen en offrait une autre image, c’est qu’il était son suppôt. Face à ce simplisme, nous nous sentons aujourd’hui un peu plus seuls.[access capability= »lire_inedits »]
Philippe Bilger
Quelques rencontres. Deux dîners. Un déjeuner pour me questionner sur les deux procès où j’ai été ministère public, à la 17e chambre correctionnelle, avec Jean-Marie Le Pen comme partie civile. Sa remarquable biographie de celui-ci, coécrite avec Pierre Péan avec le remords de ne l’avoir pas assez défendu contre l’attaque injuste et déloyale de Maurice Szafran qui aurait dû au contraire être fier d’un tel compagnonnage. Son exemplaire gestion du site de Marianne et la cordialité de ses rapports avec le blogueur que j’étais. C’est tout.
Ce n’est presque rien. Tant il faudrait aborder l’essentiel qui était précisément Philippe Cohen. Une personnalité à la fois chaleureuse et distante, un air apparemment lunaire mais, à l’expérience, si profondément concentré et attentif. Une rectitude professionnelle rare en ces temps de journalisme débridé et narcissique. Une lucidité sur les pratiques et les comportements, mais jamais l’aigreur ne prenait le dessus. Toujours l’intelligence tempérée par l’ironie. Le refus des illusions mais sans cynisme. De l’humanisme sans grandiloquence. De l’amitié avec des preuves. Des mots mais avec du sens.Je me souviens de son regard. De sa sérieuse légèreté. Je me souviens de lui.
À son enterrement, nous étions tellement nombreux à nous le rappeler, à le regretter.
Jean-Luc Gréau
Philippe Cohen disparaît dans des circonstances que ni lui ni nous n’avions pu prévoir. Des dirigeants cyniques président à la plus grave crise matérielle et morale qu’ait subie la France depuis la guerre. Même l’épisode si douloureux de la fin de la présence française en Algérie ne peut être comparé à ce que nous vivons : falsification et manipulation sur tous les sujets décisifs pour l’avenir ; exhibitionnisme médiatique de politiques inconscients du drame qui se joue ; désorientation, résignation ou révolte des Français qui découvrent la vraie nature de ceux qu’ils ont portés au pouvoir ; fuite discrète vers d’autres cieux de nos jeunes compatriotes qualifiés et entreprenants.
Je ne ferai pas le bilan de tous les justes combats que Philippe Cohen avait menés : contre le dogme de la mondialisation heureuse, contre l’illusion de la monnaie européenne et, par-dessus tout, contre l’impuissance proclamée de nos élites.
Il sera encore plus difficile d’agir maintenant qu’il s’est retiré de ce monde chaotique. Faisons cependant comme il a toujours fait : travaillons.
Luc Richard[1. Luc Richard a fondé la revue Immédiatement, à laquelle participa Philippe Cohen. Il est membre fondateur de la Fondation du 2-Mars, a coécrit plusieurs livres avec Philippe Cohen (La Chine sera-t-elle notre cauchemar ? Mille et Une Nuits, 2005 ; Le Vampire du Milieu, Mille et Une Nuits, 2010.) et a réalisé avec lui, dans Marianne, plusieurs dossiers sur la Chine.]. Salut à Philippe Cohen, notre capitaine
L’intégrité : c’est le premier mot qui me vient à l’esprit lorsque je pense à toi, Philippe. Dans une profession aux réflexes moutonniers et aux comportements mafieux, elle était une sorte de supercarburant, qui t’amenait à heurter de front la dictature médiatique, à bousculer jusqu’aux positions de tes propres amis. Et cela avec un courage sidérant. Savais-tu les risques que tu prenais ?
Il y avait chez toi un sens de l’honneur bernanosien, avec un côté très flegmatique, et une indépendance d’esprit qui fait penser au George Orwell de Hommage à la Catalogne. Je sais, tu désapprouverais ces comparaisons. Mais songe que tu n’as jamais recherché les honneurs, ni flatté les puissants. Tu étais souvent seul à mener la charge, à faire feu sur le quartier général. Mais tu aimais ça, la bagarre. Et tu n’avais pas peur.
Pour moi, Philippe, tu étais avant tout un ami. Le seul avec qui je savais que je pouvais exprimer sans détour mes pires crimepensées. En cas de désaccord, aucun jugement moral, aucun risque que tu me retires ton amitié. Combien de fois avec d’autres « amis », journalistes ou écrivains, ai-je essuyé de noirs regards suivis d’une mise à l’écart, feutrée ou brutale…
Alors que j’étais un jeune journaliste, combien de fois t’ai-je demandé un conseil, un contact, un appui, un service que tu ne m’a jamais refusés, faisant preuve là encore d’une générosité hors norme, sans arrière-pensée. En cela, tu as toujours été un repère, un point d’ancrage. Un mentor même. Tu étais l’une des très rares personnes en qui j’avais une entière confiance.
Aujourd’hui, nous sommes quelques chevau-légers à éprouver une infinie tristesse et à se sentir perdus sans leur capitaine. Et pourtant, même si tu n’es plus là, c’est toujours en pensant à toi que nous allons trouver le courage de poursuivre ce que tu as commencé.[/access]
*Photo : BALTEL/SIPA. 00606523_000031.
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