Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…
Le peintre amiénois Daniel Grardel est décédé, au cours de la nuit du samedi 15 au dimanche 16 février ; son corps a été retrouvé par un promeneur, dimanche matin, sur une plage de Concarneau (Finistère). Il était mon ami. Daniel était un homme épatant, généreux, drôle, terriblement littéraire et rock’n’roll.
Toute sa carrière professionnelle avait été celle d’un instituteur (il aimait ce mot qui représentait une autre époque au cours de laquelle la République tenait encore un rôle primordial dans la société française) ; il avait enseigné à Aubigny, à Corbie, puis à Amiens. Mais la grande passion de sa vie, c’était la peinture. Il s’y adonnait avec une gourmandise et une volupté rares.
A l’instar d’un Clovis Trouille, ses toiles pouvaient être provocatrices ; on y voyait des filles peu vêtues, souvent en galantes compagnies et/ou en capiteuses positions. Il se moquait du puritanisme désolant et castrateur, de l’ultra-féminisme navrant et imbécile, du wokisme buté et intolérant. Il vénérait le vrai rock’n’roll, celui de sixties et seventies, la chanson française qui n’avait pas froid aux moustaches. Tout cela l’avait conduit à se lier d’une forte amitié au chanteur Lucky Blondo à qui il rendait souvent visite à Concarneau. (C’était le cas en ce funeste week-end.)
Toutes ces passions et ces valeurs, nous réunissaient également ; elles consolidaient notre vieille connivence. Lorsqu’en 2009, il avait fallu illustrer mon recueil de nouvelles assez épicées, Petite garce, Jean-Yves Reuzeau, éditeur du Castor astral, et moi-même, avions tout naturellement fait appel à son talent ; il nous avait peint une adorable brune en nuisette, posant de dos sous le regard émerveillé d’un homme qui ressemblait fort à Serge Gainsbourg.
C’est encore lui qui, fin 2023, avait adapté trois de mes nouvelles en bandes dessinées pour le recueil L’Hibernation (éditions des Soleils bleus). Ce fut l’occasion de rencontres rigolotes et festives. Il y avait aussi, entre nous, des coïncidences qui nous faisaient sourire : lorsque ma chronique Les Dessous chics quitta les colonnes du Courrier picard pour être hébergées par le site web de Causeur, le premier texte que je livrai lui était consacré.
Il avait eu la bonne idée de réunir à la galerie de La Dodane, dans le quartier Saint-Leu, à Amiens, quelques-unes de ses œuvres, et des écrivains qui, chaque jour, venaient signer leurs ouvrages et rencontrer les lecteurs. Je faisais bien sûr partie de l’événement qui connut un vif succès.
Or, en 2005, quand je lançais mon prône dominical dans le quotidien de Picardie, dans ce premier article j’évoquais mon Daniel et sa rencontre manquée, au cours de l’été 1998, avec l’une de ses idoles, Nino Ferrer, qui venait de choisir de passer à l’Orient éternel des bluesmen blancs. Aujourd’hui, c’est toi, l’ami, qui nous quitte. Ta peinture foraine, colorée et sensuelle reste avec nous, imparable, singulière et forte. Tu nous manques déjà. Je ne t’oublierai pas.
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