A.D.G., le mouton noir


A.D.G., le mouton noir

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À chacun sa madeleine, son petit viatique personnel pour retrouver le temps perdu. Pour moi, ce sont, entre autres, ces trois lettres qui ne ressemblent à rien : A. D. G., imprimées en jaune d’or sur les vieilles couvertures de la Série noire. Il me suffit de les apercevoir, de les entendre ou d’y songer pour revoir un bout de rivière où l’on est venu pêcher le gardon dans le soleil du matin et sentir l’odeur de la menthe écrasée, avec dans un coin une fillette de montlouis retenue par une ficelle qui rafraîchit sous l’eau verte. Ou bien un été où je m’ennuie en famille près de Pontivy, la seule ville bretonne qui soit loin de la mer, jusqu’à ce que je découvre miraculeusement trois de ces petits volumes à la devanture poussiéreuse d’un bar-tabac.

Entre camarades royalistes, dans ces temps lointains qui remontent au premier septennat de Mitterrand, on échangeait avec gourmandise anecdotes et rumeurs sur notre écrivain culte. On racontait que ses parents, M. et Mme Fournier, lui avaient fait la très mauvaise blague de le prénommer Alain, ce qui lui donnait le même nom que l’auteur du Grand Meaulnes, d’où l’impérieuse nécessité, pour échapper au ridicule, de se dégotter un pseudo passable. Ce sera finalement A.D.G., les initiales d’Alain Dreux Gallou, du nom, précisaient les mieux informés, de ses grands-pères, des figures dont nous autres, fanatiques du succulent Pour venger pépère, connaissions l’importance dans son œuvre. Entre deux toasts portés à l’auteur de La Divine surprise et de Cradoque’s Band, on pointait en rigolant les innombrables clins d’œil et « privatejoques » dont cet ancien militant d’Action Française truffait ses livres, on s’enchantait de sa fidélité à la cause, laquelle ne l’empêchait pas d’avoir de jolis succès de librairie, d’être encensé par Bernard Pivot et, même, adapté pour le cinéma par Georges Lautner.[access capability= »lire_inedits »]
On chuchotait aussi qu’A.D.G., sans renier l’époque pas si lointaine où il se « mettait de sacrées peignées (…) avec les cocos de Saint-Pierre-des-Corps », était devenu copain comme cochon, au nom du roman noir et du vin blanc, avec des rouges aussi flamboyants que Frédéric Fajardie et Jean-Patrick Manchette. On affirmait qu’il possédait chez lui l’intégrale de la Série noire, et qu’au fond la littérature était le meilleur moyen d’enterrer la hache de guerre, à condition qu’elle soit bonne et que les intéressés aient le cœur pur. En somme, nous qui nous pensions dessalés, étions naïfs comme on doit l’être à cet âge et comme les romans d’A.D.G nous y inclinaient, où les salauds, qui en sont vraiment, n’ont que ce qu’ils méritent, où les héros boivent et cognent sec, et où la violence se met sans rechigner au service de la raison.

Ce que nous ignorions alors, c’est que « le poète du polar », dégoûté par l’air du temps, avait déjà mis la clé, et le stylo, sous la porte, et que, loin de ses terres berrichonnes, il s’était exilé en Nouvelle-Calédonie, où il resterait dix ans. Qu’il aurait tant de mal à sortir du silence, jusqu’au succès de Kangouroad Movie, un an avant sa mort, le jour de la Toussaint 2004. Nous ne savions pas qu’en 1995, les éditeurs de la Série noire ostraciseraient A.D.G., qui serait la seule de leurs « premières gâchettes » à ne pas être rééditée pour le cinquantenaire de la collection. En somme, nous ignorions encore que la vie n’est pas aussi fraîche, joyeuse, héroïque et gourmande qu’un roman de ce petit-fils de Rabelais.

Et qu’un jour ces trois lettres seraient pour nous un autre nom de la nostalgie.[/access]

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*Photo : IBO/SIPA. 00477557_000001.

Mars 2015 #22

Article extrait du Magazine Causeur



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