La sanctification d’Assa Traoré – et de son récit – aura été une faillite du journalisme. Pure entreprise de désinformation, le comité Vérité pour Adama a bénéficié d’une sidérante complaisance politique et médiatique qui lui a permis, sept ans durant, d’imposer ses contre-vérités dans le débat public. Retour sur sept années de propagande.
Depuis sept ans, les militants radicaux qui affirment sans preuve et sans vergogne qu’Adama Traoré a été tué le 19 juillet 2016 par les forces de l’ordre, et qu’au surplus le mobile de ce crime serait la négrophobie, ont trouvé au sommet des médias et de la politique de nombreux compagnons de route pour faire écho à leur délire. De Mediapart au Parisien, de Jean-Luc Mélenchon à Christophe Castaner, nombreuses sont les belles âmes qui, prenant leurs désirs pour des réalités, ont participé, étape par étape, à cette vaste opération d’hallucination collective.
Étape 1 : La récupération politique
9 août 2016 : alors qu’Adama Traoré n’est pas encore enterré (il le sera le lendemain, à Kalabancoro, non loin de Bamako) et qu’aucune enquête d’aucune sorte n’a encore permis d’établir quoi que ce soit sur les causes de son décès, Jean-Luc Mélenchon se croit autorisé à jouer les accusateurs publics sur RTL : « Monsieur Adama Traoré n’est mort que du fait de son interpellation. Ni d’une infection comme diffusé au départ, ni d’un arrêt cardiaque inexplicable et ainsi de suite. Juste du fait de l’interpellation. Ce point est essentiel. » Le leader insoumis soutiendra par la suite diverses initiatives du comité Vérité pour Adama, constitué le 3 octobre 2016 avec d’anciens membres du Parti des indigènes de la République pour défendre la thèse d’un meurtre raciste.
Étape 2 : la bénédiction médiatique
31 décembre 2016 : à l’occasion de la Saint-Sylvestre, la sœur d’Adama Traoré, Assa, se voit attribuer le titre de « présidente de la République d’un soir » par la rédaction de Mediapart, qui met en ligne ses « vœux de fraternité » pour la nouvelle année. Dans son texte, la jeune femme affirme que son frère est « mort asphyxié par les représentants de l’ordre », « étouffé sous le poids de trois agents, dans le cadre d’un plaquage ventral », ajoutant : « Ces gendarmes ne l’ont pas aidé à vivre, mais l’ont aidé à mourir. » Face à tant d’allégations infondées, le site d’Edwy Plenel fait le service minimum. « Les circonstances [de la mort d’Adama Traoré] ne sont toujours pas éclaircies », se contente-t-il de nuancer.
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Étape 3 : l’extrapolation journalistique
18 mai 2017 : arrive fatalement le moment où, pour fortifier une fake news, le plus efficace est de la raccorder à une machination tout aussi imaginaire. Pour ce faire, Assa Traoré publie aux éditions du Seuil Lettre à Adama, qu’elle a rédigé avec l’aide d’Elsa Vigoureux, chroniqueuse judiciaire à L’Obs. Les deux auteurs prétendent y « déconstruire les mensonges » et dénoncer « les mécaniques judiciaires qui s’installent dans le cas des violences policières pour conduire les familles dans l’impasse et à un non-lieu quasi systématique ». Les mots du complotisme sont lâchés. Et qu’importe si rien ne démontre l’existence d’une conspiration du silence à l’intérieur de l’appareil judiciaire : rien, déjà, ne démontrait une quelconque culpabilité au sein de la gendarmerie. Mais qui s’en soucie si la cause est noble ?
Étape 4 : La caution académique
3 avril 2019 : deux ans après son premier ouvrage, Assa Traoré sort un nouveau livre, Le Combat Adama, aux éditions Stock. Il est co-écrit cette fois-ci non pas avec une vulgaire titulaire de la carte de presse, mais avec le sociologue vedette de l’extrême gauche, Geoffroy de Lagasnerie, normalien, agrégé, professeur des universités, bien connu des auditeurs de France Inter. Entre autres divagations, on peut y lire : « Nous, on se rend compte à ce moment-là que c’est le même procédé qu’ils utilisent pour chaque victime morte sous les coups de gendarmes ou des policiers. Et on découvre que c’est un procédé. La France a un manuel. » De mieux en mieux… Le racisme systémique français aurait donc son protocole caché ! Pour assurer la promotion du livre, l’équipe éditoriale des Inrocks demande à Assa Traoré d’être sa « rédactrice en chef invitée » du numéro qui paraît la semaine suivante. Nelly Kaprièlian, critique littéraire du magazine, s’y extasie : « Assa Traoré nous a éblouis.[…]Elle jette les bases d’une nouvelle façon de faire de la politique. » Elle n’a, hélas, pas tout à fait tort.
Étape 5 : la prosternation macronienne
2 juin 2020 : quelques jours après le décès George Floyd, 20 000 personnes se rassemblent à Paris à l’appel du collectif Vérité pour Adama, pour qui l’affaire Traoré s’apparente, contre toute évidence, au drame enduré par cet Afro-Américain de 46 ans, mort étouffé en pleine rue par un policier de Minneapolis. La manifestation avait pourtant été interdite par la préfecture de police pour cause de confinement lié au Covid. Elle s’achève sans surprise par des affrontements avec les forces de l’ordre devant le tribunal judiciaire. Six jours après, Emmanuel Macron, au mépris de la séparation des pouvoirs, demande à la garde des Sceaux Nicole Belloubet de se pencher sur le dossier Traoré. Le lendemain, sur BFM TV-RMC, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, viole à son tour les principes les plus élémentaires de l’État de droit en déclarant : « Je crois que l’émotion mondiale, qui est une émotion saine sur ce sujet, dépasse au fond les règles juridiques qui s’appliquent. » Pas étonnant de sa part, quand on sait qu’au même moment, celui qui est désormais président non exécutif du port de Marseille et du tunnel du Mont-Blanc a envisagé, selon Valeurs actuelles, d’organiser Place Beauvau une cérémonie officielle durant laquelle des policiers auraient mis genou en terre en hommage au mouvement Black Lives Matter.
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Étape 6 : la sanctification médiatique
19 et 27 juin 2020 : affaire George Floyd oblige, les deux quotidiens de référence français, Le Monde et Le Parisien, adoubent enfin Assa Traoré. Le premier en envoyant un photographe branché lui tirer le portrait pour son supplément en papier glacé, M, le magazine du Monde, et en regroupant, dans l’article qui accompagne les élogieuses images, une litanie de témoignages énamourés, recueillis exprès auprès de multiples compagnons de route du wokisme. Ainsi Pap Ndiaye (pas encore ministre) : « Son discours est rassembleur. » Mais aussi Rokhaya Diallo : « C’est une femme noire digne, courageuse et forte. » Ou encore la présidente de l’association Black Month History, Maboula Soumahoro : « Pour les filles, c’est un modèle : une femme française à qui elles peuvent s’identifier. » Sans oublier la chercheuse Mame-Fatou Niang (« Elle révèle quelque chose à la France qu’elle ne veut pas voir »), la rappeuse Mallaury (“C’est un modèle pour nous, la jeunesse noire. »), l’actrice Nadège Beausson-Diagne (« Assa Traoré nous a rassemblés »). Vous avez dit publireportage ?
Quant au Parisien, il nous gratifie d’un article de pure admiration, où l’on dépeint une Assa Traoré qui « rallie autour d’elle une armée », « bâtit des événements fédérateurs », « encourage les jeunes à agir par eux-mêmes », « ne montre jamais ses faiblesses », « n’apparaît jamais éplorée », « rend les coups » et a des « paroles directes [qui] électrisent ». Et si trois de ses frères sont poursuivis par la justice, c’est, objectent les auteurs, « la plupart du temps dans le cadre de conflits avec les autorités liés aux soubresauts qui ont suivi le décès de leur frère. D’où cette réputation de clan de délinquants propagée ici et là que l’examen des faits tempère. » Certes un quatrième frère a été condamné pour violences et extorsion de fonds (avant la mort d’Adama), mais il a simplement « dérapé », nous rassure le quotidien le plus lu de France. Naissance d’une sainte famille.
Étape 7 : La consécration américaine
11 décembre 2020 : à New York, l’hebdomadaire Time consacre sa une à Assa Traoré, et la nomme « gardienne de l’année ». Un titre prestigieux que l’activiste partage dans cette édition avec des sommités mondiales comme Joe Biden, Kamala Harris et le basketteur de légende LeBron James. Pour le magazine, la sœur d’Adama Traoré n’est rien de moins que « le visage français du mouvement contre les injustices raciales ». Interrogé dans l’article, Geoffroy de Lagasnerie, remarque à son sujet, émerveillé :« Elle a comme le pouvoir de soumettre l’institution à sa volonté. » Pas sûr qu’il tienne là l’illustration la plus éclatante du racisme structurel français… Notons qu’en juin 2020, l’intéressée avait déjà reçu aux États-Unis un BET Award, décerné chaque année par la chaîne Black Entertainment Television à des « personnalités publiques qui utilisent leur plateforme pour la responsabilité sociale et la bonté tout en démontrant un engagement pour le bien-être de la communauté noire mondiale ». Amen.
Étape 8 : l’immixtion onusienne
1er décembre 2022 : dans une note cinglante, le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale des Nations unies (CERD), présidé par la jamaïcaine Verene Shepherd, demande à la France « de conclure l’enquête [sur la mort d’Adama Traoré] afin que les responsables soient traduits en justice et sanctionnés de manière appropriée ». Parmi ses autres observations du jour, le comité enjoint aussi notre pays de « s’attaquer de manière prioritaire aux causes structurelles et systémiques de la discrimination raciale,[…] de prendre des mesures pour que les agents de police n’imposent plus, de manière discriminatoire à l’égard de certains groupes minoritaires, le paiement d’amendes forfaitaires délictuelles,[…] de veiller à ce que des agents de police appartenant aux groupes minoritaires ciblés puissent travailler en première ligne afin de gagner en visibilité et de contribuer à réduire les pratiques potentielles de profilage racial ou ethnique ». Oui, vous avez bien lu : ces « observateurs internationaux », qui croient sérieusement « éliminer la discrimination raciale » en distinguant les policiers noirs des policiers blancs, nous donnent des leçons de morale et de justice.
Étape 9 : La gesticulation de dernière minute
27 juin 2023 : la Défenseure des droits, Claire Hédon, rend une « décision » concernant le décès d’Adama Traoré, dans laquelle elle demande « des poursuites disciplinaires à l’encontre des quatre militaires de la gendarmerie ». Célèbre pour avoir proposé en 2021, alors qu’elle était déjà en poste, d’expérimenter en France « des zones sans contrôle d’identité », car à l’en croire « dans certains quartiers, pour certains jeunes, cela devient insupportable », l’ancienne journaliste santé de RFI dispose en réalité de prérogatives très limitées. Même rédigés sur papier à en-tête officiel de la Place de Fontenoy, ses écrits n’ont pas le pouvoir d’interférer, du moins en droit, sur les enquêtes de justice. Ils n’empêchent donc pas les magistrats chargés de l’affaire, crédités d’une connaissance du dossier infiniment supérieure, de prononcer un non-lieu deux mois plus tard, le 1er septembre dernier. Heureusement, il n’existe pas en France de zones sans juges d’instruction.