Les biographies de comédiens, un genre sous-estimé
Après plus d’un mois de confinement, on se risque sur les bizarreries des bibliothèques. Les nouveautés en librairie ne pointeront pas leurs couvertures avant plusieurs semaines. Cette année, les Prix d’Automne risquent de passer leur tour. L’édition est au point mort. Alors, les critiques déploient des trésors d’imagination pour dénicher dans leurs rayonnages des romans forts et puissants, capables de saisir le chaos du présent et, en même temps, ouvrir des perspectives raisonnables d’avenir. Après le livre-médicament vendu par des coachs en spiritualité (ex-courtiers en bourse), nous allons avoir droit à une flopée d’essais sur le monde d’après par les mêmes qui ont bâti, pierre après pierre, ce système brinquebalant. La dignité n’étouffera jamais les auteurs à succès. Attendez-vous à des mea-culpa larmoyants, des « plus jamais ça » en chœur, des exercices de componction aussi remuants qu’un manège de la Foire du Trône. Ce sera le « Grand Huit » de la démagogie pour revenir à la case départ ! Le doute ne les atteint pas. Ils sont immunisés contre la décence. Mes confrères érudits, en manque de munitions hebdomadaires, cherchent désespérément des ouvrages de référence. En période de crise sanitaire, les plaisantins n’ont pas bonne presse. Un critique littéraire a des responsabilités sur l’élévation morale de ses lecteurs. Le sérieux est gage de sincérité.
Les beaux menteurs
Chacun y va donc de sa culture, il n’est pas question de passer pour un imbécile, on cuisine Camus à toutes les sauces, Cioran tient la corde auprès des réfractaires, Muray a ses fidèles réjouis, les futuristes italiens font une percée dans certains milieux inhospitaliers, les morales de La Fontaine et de Le Clézio rassurent les lanceurs d’alerte, amis de la Terre. Le corps enseignant fait bloc autour d’Érik Orsenna et Virginie Despentes. Et si les slameurs humanistes avaient la réponse à toutes nos questions existentielles ? La littérature, c’est comme le salon de l’Auto, il en faut pour tous les goûts. Comment expliquer cette attirance pour les gloutons SUV face au désintérêt idéologique pour les petits roadsters légers et frissonnants ? La police de la pensée veille à l’expansion du plaisir. Souffrons-ensemble est le mot d’ordre de nos élites actuelles ! Ce confinement ne me porte pas vers des livres exigeants ou accablants, mais plutôt vers ces étrangetés qui végètent dans les caisses des bouquinistes. Ces témoignages d’acteurs disparus en bordure de Seine, biographies de seconds rôles épatants à prix cassé, ces traces du passé ont tendance à calmer mes angoisses. Je me dis que le cinéma d’avant savait se tenir.
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Les comédiens n’étaient pas des quémandeurs en smoking, ils avaient une conscience professionnelle. On estime toujours les gens qui ont honoré leur métier. On se sent même redevable d’eux. Quand je relis les premières lignes de Profession : menteur de François Périer aux éditions Le Pré aux Clercs paru en 1990, je jubile : « Dès l’enfance, j’ai eu le goût du mensonge. Du beau mensonge. Vocation, appel du destin… ». Je repense à lui dans Mariage d’amour, Bobosse, L’Amant de cinq jours, Week-end à Zuydcoote, Le Samouraï, L’Attentat, La Guerre des polices, etc… Je reprends mon souffle en empoignant l’autobiographie de Peter Ustinov Cher moi parue chez Stock en 1978. Un livre à la démesure du bonhomme, vorace, explosant les coutures, magistral, génial quand cet adjectif n’était pas mis à la portée de n’importe quel « chien coiffé », expression préférée de mon père pour qualifier les emmerdeurs et prétentieux patentés. Ustinov se confiait sur son art : « Je suis habitué aux critiques, je m’y attends et je pense que je suis à présent assez sûr de mon goût pour en faire fi, même si elles me restent sur le cœur. Nul artiste ne peut plaire à tout le monde et tout le temps. Il y a des moments où il doit nager à contre-courant, afin de progresser, d’évoluer ». Contrairement aux garçons de mon âge, j’aime les actrices fanées des années 1960, je ne me lasse pas de compulser les photos présentes dans le cahier intérieur de Martine Carol ou la vie de Martine Chérie, biographie écrite par Georges Debot aux éditions France Empire en 1979, douze ans après la mort de l’actrice. Sur une double page, sourire de faïence et seins conquérants, Martine nous présentait ses quatre maris à la parade : Steve Crane, Christian-Jaque, le docteur Rouveix et Mike Eland. Pourquoi les filles tristes nous touchent-elles plus que les autres ? J’ai une affection particulière pour Dany Carrel qui s’était livrée dans L’Annamite chez Robert Laffont en 1991.
Je n’ai pas oublié Dany Carrel
On oublie trop souvent cette belle indochinoise, son jeu ample, émouvante aux larmes sans aucun artifice. La quatrième de couverture nous remettait les idées en place : « Comédienne de renom, Dany Carrel a joué avec les plus grands acteurs – Gérard Philippe, Jean Gabin, Pierre Brasseur, Romy Schneider… et metteurs en scène – René Clair, Julien Duvivier, Henri-Georges Clouzot ».
En fin de soirée, j’attaque les livres d’amateurs, les naufragés de l’édition, à manier avec précaution, ils sont sortis dans l’anonymat, on les découvre avec des prudences d’archéologues. La Châtaigne de l’immense Dominique Zardi, avec une préface de Paul-Loup Sulitzer chez Dualpha éditions en 2005. Tout concourt, l’auteur, le préfacier et la photo de couverture, à susciter notre curiosité, voire notre émerveillement devant un tel objet. Avec Zardi, on n’est jamais déçu : « Aujourd’hui tout m’enchante, mes coups durs, le fer chaud dans le corps, le froid des armes, la nostalgie du passé où mes ennemis deviennent des personnages nets et adorés personnels. L’armée, la geôle aussi, c’était beau, puisque c’était « mon passé ». La semaine prochaine, je vous parlerai de Russ Meyer !
Profession : menteur de François Perier – Le Pré aux Clercs
Cher moi de Peter Ustinov – Stock
Cher moi. Traduit de l'anglais. Editions Stock. 1978. (Th‚ƒtre, Autobiographie)
Price: 22,20 €
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Martine Carol ou la vie de Martine chérie de Georges Debot – éditions France-Empire
L’Annamite de Dany Carrel – Robert Laffont
La Châtaigne de Dominique Zardi – Dualpha éditions
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