Ça y est, ils ont (res)sorti leur matraque. « Ils », ce sont les antiracistes autoproclamés, dirigeants d’associations qui prospèrent sur le lit des discriminations, de la xénophobie et autres pestes noires dont l’impossible éradication signerait la fin de leur fructueux fonds de commerce. Cette fois, nul « néo-réac » n’est mis à l’index, nul « néo-facho » imaginaire cloué au pilori pour avoir « dérapé » au-delà des bornes étroites du pluralisme autorisé. Non, l’association CollectifDom porte plainte pour injures raciales contre le degauche Nicolas Bedos, coupable de chroniques acides, complaisamment publiées sur le site de Marianne, publication qu’il faut désormais ajouter à la liste des « blanchisseurs » d’idées nauséabondes. Qu’est-il donc arrivé au dramaturge tombé dans la marmite cathodique dès l’âge de la puberté ? Aurait-il abusé de lectures interdites, adhéré à on-ne-sait quelle doctrine racialiste pour tuer le père ? Bedos-Günther-Chamberlain même combat ?
Que nenni, l’humoriste a simplement fait son travail et commis le crime impardonnable de vouloir… faire rire. Deux textes sont en cause. Le premier, « Indolence insulaire », met en scène une famille d’odieux beaufs normands électeurs de l’UMP qui croise le chemin du chroniqueur en vacances aux Antilles. Le seul personnage positif de l’histoire s’appelle Gilles, guadeloupéen guide de son état qui exaspère le narrateur par son éloquence par trop ostentatoire. Ce dernier, amer, achève son récit en s’exclamant : « Enculé de Nègre », rehaussant ainsi le prestige de sa victime. Nicolas Bedos n’aime rien tant que de s’en prendre à lui-même, son masochisme textuel dépassant même son anticopéisme viscéral qui lui fait dépeindre la clientèle de l’UMP comme une clique de beaufs avachis dans leur suffisance cocardière. À ce jour, aucune fédération UMP normande n’a assigné Bedos en justice pour protester contre sa déplaisante caricature : mauvais perdant, mauvais public, les Dupont Lajoie sortent laminés de l’apologue, loin derrière le portrait flatteur du régional de l’étape. Il n’empêche, l’ « indolence insulaire » de Gilles, expression qui nourrit nombre de blagues corses, ne passe pas davantage aux yeux de CollectifDom.
Passons au second objet du scandale. Un récit autofictionnel intitulé « Un voyage en Chirac ». Avant que le narrateur ne se métamorphose en un ancien président gâteux et incontinent, il dresse le bilan de ses vacances antillaises, non sans écorner sa chère et tendre au passage : « ma tendre fiancée qui, la veille, déguisée en nudiste, fredonnait du Jean Ferrat sur une plage d’autochtones oisifs, enfonçait désormais ses ongles sur l’application Bourse.com de son iPhone 5 ». « Autochtones oisifs » : les dés sont jetés pour CollectifDom, dont les porte-paroles « ne nie(nt) pas que ce soit de l’humour, mais parle(nt) d’humour néfaste ». Traduisez : on peut rire de tout sauf des Antillais, des Maghrébins, des Syriens en guerre, des Mayas mauvais augures, etc.
C’est donc l’usage « nauséabond » – un adjectif à inscrire en lettres d’or dans les futures annales de la répression médiatique – de clichés « racistes » qui est reproché à Bedos fils. Après un mauvais procès en antisémitisme dénoncé ici même par Elisabeth Lévy, l’impétueux chansonnier est accusé de faire le lit de la DOMophobie, sinon de la négrophobie. À tout saigneur, tout honneur…
J’ignore quel est l’âge moyen des animateurs du CollectifDom, mais mon petit doigt me dit qu’à la différence de votre serviteur, ils ont dépassé le quart de siècle. En ce cas, ils peuvent se rafraîchir la mémoire sans passer par Youtube : dans les années 70, Sophie Daumier et un certain Guy Bedos moquaient des franchouillards en vacances au Maroc, ce pays « plein d’Arabes » ! Sans aller jusqu’à invoquer les mânes du regretté Desproges, dont un sketch devenu culte commençait par ces mots : « On me dit que des Juifs se sont cachés dans la salle… » , on peut citer le précédent Timsit. Au début de la décennie 1990, alors qu’il incarnait un odieux garagiste, sa saillie « Les trisomiques, c’est comme les crevettes, tout est bon sauf la tête ! » lui valut l’opprobre des associations de défense des handicapés mentaux. Après des excuses répétées, Patrick Timsit se rendit au Canossa de l’humour en accumulant les comédies insipides.
Couardise ? Réalisme, répondront certains. Le courageux mais pas téméraire Stéphane Guillon a même théorisé le deux poids deux mesures qui a cours dans l’humour : pour ne pas subir de menaces judiciaires ou physiques, n’injurions personne, sinon l’homme blanc, octogénaire et catholique, a fortiori s’il loge au Vatican et tend l’autre joue.
À la conjuration de ceux qui l’accusent de « banaliser » le racisme en s’en gaussant, Nicolas Bedos a vaillamment répondu : « Il est temps, une bonne fois pour toute, que l’on fasse le procès de ces associations qui n’ont rien d’autre à foutre que d’emmerder des comiques, des rigoleurs, des amuseurs et des petits Molières de supérette. »
On pourrait ajouter qu’à voir des racistes là où il n’y en a pas, ce sont les vrais racistes qu’on banalise. L’humour noir- qu’on devrait derechef rebaptiser humour de couleur– en a vu d’autres. D’outre-tombe, ce n’est pas André Breton qui nous dira le contraire. Si la plainte du CollectifDom n’était pas classée sans suite, la jurisprudence Guillon ferait florès. Bien plus qu’une atteinte à la liberté d’expression, ce serait un crime contre l’humour. Messieurs les censeurs, nos zygomatiques ne vous le pardonneraient pas !
*Photo : Semaine critique.
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