Attaché à une conception libérale des institutions, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot critique la sévérité de la peine prononcée contre Marine Le Pen et met en garde : face à l’effacement de la politique, la France risque de basculer d’une démocratie à une « nomocratie », le pouvoir des normes
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Causeur. Nous avons appris en cours de droit constitutionnel que la démocratie reposait sur un subtil équilibre des pouvoirs. Cette harmonie a-t-elle été rompue avec la condamnation de Marine Le Pen à une peine d’inéligibilité immédiatement exécutoire ?
Pierre-Henri Tavoillot. Une démocratie libérale fonctionne correctement quand elle arrive à maintenir l’équilibre entre trois logiques : celle du peuple, celle du pouvoir et celle du droit. Ce qui requiert de concilier d’une part la prise en compte de la volonté populaire (sans toutefois succomber au populisme, raison pour laquelle nous avons un système représentatif), d’autre part l’obéissance aux pouvoirs publics (mais sans aller jusqu’aux excès de l’autoritarisme, d’où notre indispensable séparation des pouvoirs), et enfin le respect des lois, mais en prenant soin de ne pas laisser celles-ci prendre le pas sur la décision politique. À ce sujet, je vous ferai remarquer que, récemment, le Conseil constitutionnel a justement eu des égards bienvenus pour le peuple, en indiquant que, dans les affaires judiciaires où des peines provisoires d’inéligibilité peuvent être prononcées, les juges doivent veiller à la « liberté du vote » et proportionner leurs décisions en conséquence.
Cela n’a pas empêché le tribunal judiciaire de Paris de prétendre interdire à Marine Le Pen de se présenter en 2027…
En toute rigueur, il n’a pas violé le droit. Mais les magistrats auraient dû avoir la main qui tremble et se dire : « Nous avons très envie de prendre cette décision sévère, mais nous n’allons pas le faire car cela constituerait un abus de contre-pouvoir. »
Cette hardiesse du jugement est-elle inquiétante pour notre justice en général ?
Je crois que la France a atteint aujourd’hui une situation de déséquilibre, avec d’un côté un État qui souffre d’une forme d’impuissance et de l’autre, un droit hypertrophié, de plus en plus bavard, complexe, et débordant de partout. Il est normal que nos lois limitent la liberté du vote. Ne serait-ce qu’en la conditionnant à des critères objectifs comme l’âge et la nationalité. Mais il est plus délicat de prétendre instaurer un cadre, beaucoup plus flou, reposant sur l’honorabilité. Si, par exemple, vous n’avez plus de points sur votre permis de conduire, est-ce suffisant pour vous interdire de briguer les suffrages ? À partir de quelle infraction, de quel crime, méritez-vous un bannissement électoral ? Aux États-Unis, même Donald Trump, qui a contesté
