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«Abuela», «shocker» gérontophile

La vieillesse comme renaissance


«Abuela», «shocker» gérontophile
© Wild Bunch

Le film d’horreur espagnol de Paco Plaza sort dans nos salles ce mercredi 6 avril


À rebours des thématiques politiquement correctes et hyper formatées de l’hédonisme et du jeunisme ambiants, largement véhiculées par un cinéma nord-américain mainstream trop souvent stéréotypé, le réalisateur ibère Paco Plaza, créateur de la terrifiante franchise « [REC] », a le mérite de poser des délicates questions sociétales dans son nouveau long-métrage. Des questions qui peuvent faire mal, en nous invitant à changer notre perspective sur l’appréhension de la vieillesse et de la dégénérescence des corps dans nos sociétés démocratiques… Au risque de provoquer quelques vertiges et de profondes interrogations au terme de sa brillante démonstration.

La pellicula para no dormir ?

A l’orée de la cinquantaine conquérante, synonyme de maturité artistique et scénaristique, voici sans conteste le film le plus abouti et maitrisé du cinéaste, dont la première déflagration avait enthousiasmé les festivals internationaux dans les années 2007-2008 (prix du Jury et Prix du Public à Gérardmer, notamment), consacrant l’émergence de la nouvelle vague horrifique espagnole (outre Plaza, citons les très talentueux Alex de la Iglesia, Jaume Balaguero, Juan Antonio Bayona ou encore Juan Carlos Fresnadillo).

Embarquant et incarcérant le spectateur dans un étouffant huis-clos en espace ultra resserré, celui d’un vieil appartement madrilène anxiogène au possible, Paco Plaza dissèque l’étrange relation passionnelle entre une grand-mère victime d’un AVC, sombrant progressivement dans la démence et sa petite-fille, aspirante mannequin qui se fixe un point d’honneur à ne pas l’abandonner. Son altruisme sera-t-il pour autant récompensé ?  

Dans le contexte pandémique du Covid, aggravé pour nous Français par le scandale des EHPAD et le traitement ignominieux réservé à nos aînés, ce terrifiant « Abuela » (« Grand-mère », dans la langue de Cervantès) devrait rencontrer une étrange résonance dans nos salles hexagonales.

Impossible d’autre part de ne pas faire le rapprochement avec des films récents, tels que « Relic » (Natalie Erika James), « The Amusement Park » (le grand film oublié de George Romero de 1973 ressorti par hasard des cartons grâce à sa veuve !) « Old » (M. Night Shyamalan) ou encore « Vortex » (Gaspar Noé) qui ont tous le mérite de poser les questions dérangeantes sur la place de nos seniors en fin de vie dans nos sociétés supposément éclairées, fraternelles et solidaires.

Rapport au corps décharné

Alors qu’elle tente de percer dans le milieu parisien très opaque et peu scrupuleux du mannequinat et des contrats publicitaires, avec son lot de coups bas, mesquineries, soirées branchées et coke à foison, la magnifique et douce Susana (admirablement interprétée par la bien-nommée Almundena Amor) doit brusquement rentrer à Madrid afin de prendre en charge Pilar, la grand-mère qui l’a élevée, victime d’une grave hémorragie cérébrale. Relevons immédiatement la performance exceptionnelle et le jeu hallucinant de véracité proposés par Vera Valdez, ancien mannequin brésilien ayant mené une brillante carrière en France pour Chanel, ex-égérie du « cinema novo » contestataire et libertaire brésilien et symbole de la liberté sexuelle des années 60 et 70.

Par une mise en scène réglée au cordeau, le rapport entre les deux femmes apparaît d’emblée symbiotique, voire carrément inextricable. Outre la répétition de la mention du jour identique de leur année de naissance (22 mars), la caméra de Plaza s’attarde plusieurs fois sur d’étranges détails de la demeure maudite tels ces poupées russes, photos, tableaux de famille ainsi que des horloges inexplicablement bloquées sur 20h, pour bien signifier cet étrange mimétisme familial et générationnel.

Initialement guidée par les meilleures intentions du monde envers sa chère grand-mère grabataire, la très volontaire Susana ne va cependant pas tarder à devoir affronter une série de phénomènes paranormaux dans le petit appartement madrilène visiblement sous l’emprise de forces occultes. Des forces qui se cristallisent dans le corps flétri de l’énigmatique Pilar, irrésistiblement attirée par l’énergie vitale dégagée par sa petite fille. On a rarement vu sur grand écran, le soin, la précision et la tendresse dont fait montre le réalisateur dans la « monstration » du corps en souffrance et en décrépitude, en témoigne cette longue scène de douche au cours de laquelle Susana s’attarde à savonner et masser sa grand-mère avant de l’aliter délicatement et lui souhaiter une douce nuit en lui baisant affectueusement le front.

Amour saphique pour l’éternité

L’autre tour de force du film est d’utiliser les codes classiques et référentiels du cinéma d’épouvante pour raconter une histoire tout à fait innovante et originale de « vampirisation » des corps et des cœurs (mais à rebours des schémas traditionnellement admis) afin que vive un amour éternel, de surcroît lesbien !

Le réalisateur Paco Plaza (C) Wild Bunch Distribution

L’intimité des deux femmes est très vite perturbée par l’immixtion d’une autre magnifique jeune fille, Eva (la sculpturale Karina Kolokolchykova), dont la proximité avec « l’Abuela » paraît suspecte puis de plus en plus ambigüe.

Nous ne dévoilerons évidemment rien de la clé de cette énigme mais, en l’absence quasi intégrale de rôles masculins d’envergure à l’écran, c’est bien ce trio féminin qui monopolise l’attention du réalisateur dont le film peut également se lire comme une déclaration d’amour enflammée et sincère à la figure iconique de la femme, que d’aucuns pourraient considérer comme « avenir de l’homme et de l’amour » dans nos sociétés post-modernes. « Rien de plus passionnant qu’une lumière sur le point de s’éteindre » annonce un directeur de casting au cours d’une soirée clubbing parisienne à laquelle participe Susana. Le cinéma, nous dit Plaza, permet au contraire à cette flamme de ne jamais s’étioler et de toujours renaître de ses cendres sur l’autel de la passion amoureuse et des désirs éternels.




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