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Alcoolisme: faut-il prescrire moins de Baclofène?


Alcoolisme: faut-il prescrire moins de Baclofène?

Entretien initialement publié le 2 octobre 2013

Les autorités sanitaires sont très réticentes vis-à-vis des médicaments issus d’avancées scientifiques récentes, qui permettent de fortement diminuer voire faire disparaitre le potentiel addictif ou nocif de produits comme le tabac l’alcool. Pour le premier on connaît l’embarras crée par la cigarette électronique, mais il y a un autre exemple, celui du Baclofène dans le traitement de l’alcoolo-dépendance. Pour ceux qui n’en ont jamais entendu parler, qu’est-ce que ce produit ?  

Lion Murard et Patrick Zylberman[tooltips content=’Lion Murard (directeur de recherches au centre de recherche médecine, sciences, santé mentale, sociétés (CERMES) du campus de Villejuif) et Patrick Zylberman (titulaire de la chaire de santé publique à l’Ecole des Hautes études en santé publique) sont historiens des questions de santé publique.’]1[/tooltips] : Prescrit à l’origine dès les années 1990 comme décontractant musculaire, on a découvert que le Baclofène aide les patients alcoolo-dépendants à maintenir une sorte d’indifférence vis-à-vis du produit. Selon Jean-Yves Nau, on estimait en 2012 à 50 000 le nombre de personnes alcoolo-dépendantes sous Baclofène en France, alors que ce médicament était encore déconseillé dans cette indication.

Que voulez-vous dire par « indifférence » à l’alcool ?

Le Baclofène permet de ne plus être prisonnier du sentiment pulsionnel d’addiction, autrement dit, comme le précise le Pr Didier Sicard, président d’honneur du Comité consultatif national d’éthique, il permet de guérir sans forcément devenir abstinent. Pour le milieu alcoologique, c’était un blasphème. C’était sans aucun doute le nœud du conflit qui a opposé le Professeur Olivier Ameisen, décédé le 18 juillet dernier, aux tenants de l’abstinence. Pour ces derniers, il faut que le patient lutte contre les sensations de manque et d’angoisse pour parvenir à la « pureté » souhaitée par le médecin. Or, c’est une ambition démesurée et insoutenable ! Peu nombreux sont ceux qui triomphent de cette ordalie où la délivrance définitive du produit tient lieu de preuve par le miracle.

Que le corps médical ait été suspicieux à l’égard d’un produit qui, réduisait en même temps que la dépendance des patients à l’égard de l’alcool, leur dépendance par rapport à lui. Mais pourquoi était-il déconseillé par les autorités sanitaires dans le traitement de l’alcoolisme ? 

Dans un premier temps, elles se sont retranchées derrière l’insuffisance des résultats scientifique. Mais à partir de 2008, la médiatisation des résultats du Professeur Ameisen a nourri un débat intense. Malade, celui-ci avait expérimenté sur lui-même le produit et constaté l’aide qu’il procurait. Le Baclofène est un nouvel épisode de la légende dorée de l’héroïsme médical, un grand classique de l’histoire de la médecine. L’auto-expérimentation est la démonstration irréfutable d’un « génie devenu bienfaiteur de l’humanité », comme parle Caroline Eliacheff, psychanalyste et amie d’Oliver Ameisen. Grâce à lui, l’accès à la guérison semble plus facile pour tous. Rien d’étonnant si son dévouement a suscité une forme de dévotion.

D’accord, mais cela demeurait une expérimentation menée sur une seule personne… On peut comprendre que les autorités sanitaires aient voulu trancher sur une base plus solide, non ?

Non ! Le 24 avril dernier, une trentaine de personnalités, dont Pr Sicard, dénonçaient les atermoiements des pouvoirs publics sur ce dossier. Reconnaissant que les résultats des essais en cours n’étaient pas encore connus, elles demandaient que soit accordée au produit une recommandation temporaire d’utilisation. Deux mois plus tard, à la fin du mois de juin, l’ANSM (l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) a répondu favorablement à cette demande.

Septembre 2013 #5

Article extrait du Magazine Causeur



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