Paris : Abstention participative
On croyait la démocratie participative enterrée depuis les temps lointains de l’ère ségolénienne. Rassurez-vous, Anne Hidalgo vient de la ressusciter : figurez-vous que grâce à elle, nous autres, Parisiennes et Parisiens, allons détenir « les clés du budget ». Moi qui ai déjà du mal avec le mien, je suis un peu intimidé mais bon, quand Madame le Maire me propose de « voter pour les projets qui feront le Paris de demain », je ne fais pas la fine bouche.
Après tout, le Parisien mécontent de tout, de la gestion de sa ville à la sale tronche de ses voisins, pouvait se réjouir de cette occasion d’exprimer démocratiquement sa mauvaise humeur. Ou même de donner son avis sur des sujets d’intérêt général. Faut-il plutôt booster les crèches ou chouchouter les seniors ? Du pognon pour la culture ou pour les îlotiers ?
En fait de choix, nous avons donc été consultés sur quinze projets, que je dois citer intégralement, dans toute la beauté de leur poésie municipale :
L’art aux portes de Paris. Cultiver dans les écoles. Coworkingétudiants-entrepreneurs. Des jardins sur les murs. Des kiosques pour faire la fête. Jouer de 7 à 77 ans. Les œuvres d’art envahissent la rue. Trier ses déchets au plus près. Sport urbain en liberté. Rendre la rue aux enfants. Des piscines éphémères. Les événements sur grand écran. Reconquête urbaine. Musées parisiens 3.0. Des tipis et des bougies.[access capability= »lire_inedits »]
En vérité, ce « budget participatif » évoque davantage celui du pays des Fées ou du monde de Oui-Oui que celui d’une grande capitale mondiale. Heureusement, il est aussi féérique par son montant, 20 millions d’euros, qui représentent 0,25 % du budget parisien – encore que ça fait cher le gadget pour communicants débridés. Les électeurs n’étaient pas moins irréels : d’après la Mairie, 40 000 Parisiens, c’est à dire 3,3 % des électeurs inscrits, se sont déplacés. Les 96,7 % restants doivent préférer les murs autour des jardins aux jardins sur les murs. Peut-être même veulent-ils que l’École s’occupe de culture plutôt que d’agriculture. Peut-être ne sont-ils pas fans de tipis. Ou alors, ils ont pensé qu’on les prenait pour des andouilles participatives. Qu’on laisse encore de tels réactionnaires s’installer à Paris révèle la mansuétude de notre Maire à tous. Que ce score piteux, fort logiquement, n’a pas empêchée de crier victoire : « Le budget participatif, dit-elle, est un succès à l’échelle internationale : la première année, à Lisbonne, il n’y a eu que 1 000 votants. » Un succès populaire avec 3,3 % des électeurs, c’est peut-être ça, le socialisme de demain.
Jonathan Siksou
Un Thévenoud peut en cacher une autre
Tout le monde a encore en mémoire la carrière ministérielle expresse de Thomas Thévenoud, blackboulé du gouvernement neuf jours après qu’on l’avait nommé secrétaire d’État au Commerce extérieur. On ne reviendra pas ici sur la gravité réelle ou fabriquée des faits reprochés à l’intéressé – même si j’ai tendance à croire qu’un type traîné dans la boue par Jean-Marie Le Guen est forcément innocent, et à croire ce que dit la patronne.
Une autre facette de l’affaire aurait mérité de retenir l’attention de mes confrères, principalement ceux qui font aussi fonction de justiciers, et plus encore celle des professionnelles de la chasse au sexisme qui ont récemment inventé une petite entreprise de délation baptisée Macholand. Thomas Thévenoud a une épouse, Sandra, qui était alors chef de cabinet de Jean-Pierre Bel, alors président PS du Sénat, auprès de qui elle travaillait depuis dix ans. Or, le 8 septembre, on apprenait que Sandra Thévenoud avait été « mise en congé » sans traitement jusqu’au 30 septembre, date à laquelle le mandat de son patron prenait fin.
La plupart de mes confrères ont fait sembler de croire que ce départ précipité était l’œuvre d’une sénatrice UDI, Nathalie Goulet, qui avait réclamé, sans trop y mettre de formes, la tête de Mme Thévenoud.
D’après nos informations, les choses se sont passées autrement. Dès la démission de son mari, Sandra Thévenoud a été l’objet de vives pressions de la part de ses camarades et employeurs pour la dégager du paysage. Celle-ci ne se montrant pas pressée de s’auto-sanctionner, il lui fut alors signifié qu’elle avait deux possibilités : demander sa mise en congé ou bien être licenciée pour faute grave. Elle a choisi la première option. J’aurais fait pareil.
Bien sûr, il ne s’est pas trouvé un seul moraliste salarié pour s’indigner contre ce délit de conjugalité. Pas un éditorialiste, pas une féministe n’a épinglé le côté un rien soviétique du procédé. Les mêmes n’avaient pas moufté quand on avait viré pareil, à la mi-mai, Laurence Engel de son poste au ministère de la Culture. La dircab d’Aurélie Filippetti avait, il est vrai, commis une faute extrêmement grave : être la compagne d’Aquilino Morelle, qui venait juste d’être disgracié…
Marc Cohen
Un monument à réveiller les morts
Des noms d’inconnus morts bêtement gravés dans de la pierre, est-ce que ça fait sens dans la France du hashtag et des selfies ? Heureusement, nous apprenons dans les colonnes de La Nouvelle République du Centre-Ouest qu’un novateur « monument aux morts artistique et numérique » va bientôt être érigé à Poitiers. L’édifice « connecté » devrait être installé à l’intersection de la rue de la Marne et de la rue Gambetta, en novembre 2015. « Il semblerait que les noms de tous les Poitevins morts pour la France défileront en boucle », croit savoir le quotidien régional, qui évoque cependant les oppositions que le projet a déjà suscitées au sein du conseil municipal – le groupe communiste se serait même « insurgé ». Malgré ces réticences d’un autre âge, on peut parier que le monument verra bien le jour, car seule une réaction violemment hostile des principaux intéressés aurait pu mettre ce projet en danger. Heureusement, les Poilus ne font pas de bad buzz…
François-Xavier Ajavon[/access]
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