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Les bombes d’Abnousse

Abnousse Shalmani publie « Laïcité j’écris ton nom » (L’Observatoire, 2024)


Les bombes d’Abnousse
L'essayiste Abnousse Shalmani © Hannah Assouline

À partir du fabuleux discours qu’elle prononça au Prix de la laïcité 2023, Abnousse Shalmani fait l’éloge comme jamais de la laïcité, de la République et de la France. Bombes de liberté, d’amour et d’art…


1989 – L’année où tout a basculé. En février, l’ayatollah Khomeini lançait sa fatwa contre Salman Rusdhie pour avoir écrit Les Versets sataniques ; à la rentrée de septembre, deux élèves musulmanes du collège de Creil refusaient de retirer leur foulard islamique. De ce que d’aucuns ont qualifié de « banale affaire de tissu » aux égorgements de Samuel Paty et de Dominique Bernard, le continuum est bien là, scandaleusement scolaire, programmé comme un nouveau planning familial[1].

La République se vit à visage découvert

Il est vrai qu’au pays de Voltaire, de Diderot et de Sade, et aujourd’hui, de Kamel Daoud, de Boualem Sansal et d’Abnousse Shalmani, l’infâme a de quoi se régaler. Et si « la laïcité a toujours été un rapport de force », alors « il faut arrêter d’être poli, il faut cogner »[2]… Là-dessus, on peut compter sur la merveilleuse autrice de J’ai péché, péché dans le plaisir pour écraser l’infame, réhabiliter le boudoir, défendre la France contre elle-même, quitte à ressasser : « cher lecteur, tu connais déjà mes répétitions, mes obsessions, mais de toute évidence, il faut encore marteler, rappeler, disséquer, offrir la seule chose que j’ai entre mes mains : le savoir et l’analyse ». En plus de l’amour de la France, du sentiment de la langue et du souvenir du voile qu’elle dût porter, enfant, sous la dictature iranienne et qui lui démange encore le cou[3]. Elle-même étant une échappée de la « mollahrchie », connait l’hypocrisie sanguinaire des islamistes et la stupidité des gauchistes, toujours persuadés de rouler les premiers au nom de leur cause alors qu’ils finiront par être exterminés par eux – et, de fait, a une longueur d’avance sur nous autres, pauvres citoyens du monde égarés dans notre vivre-ensemble de jour en jour plus communautariste, identitaire, tribal.

Version 1.0.0

« Peut-être que j’ai déjà perdu », se demande-t-elle dans un moment de désespoir. À quoi bon se battre puisque Marianne ne semble plus faire bander le bobo, que l’universalisme passe désormais pour un racisme et que la planète a viré antisioniste, anti-occidental, anti-Olympia de Manet (ces élèves qui refusent d’aller au Musée d’Orsay parce qu’il y a trop de nus) ? De toute façon, la liberté, l’art, la jouissance, c’est bon pour les boomers. Comme le notait Salman Rusdhie himself à La Grande librairie[4], aujourd’hui, c’est la « justice sociale » qui a remplacé la liberté d’expression dans le credo des valeurs, c’est l’annulation culturelle qui importe en cas d’offense des minorités – le pire étant que ce sont les jeunes qui portent la censure et l’interdit. « Imperceptiblement, la liberté n’est plus le phare de toute humanité, elle est devenue louche, entachée du passé historique de l’Occident, elle est devenue la marque du dominant alors qu’elle était, à juste titre, le but de tout désir d’émancipation, l’espoir inébranlable de tout opprimé sur terre. »

Gare à l’immigré trop amoureux de la France !

Contre ces nouveaux terrorismes bigots, et qui relèvent d’une véritable contre-révolution, Shalmani a pris le parti de la France irrévérencieuse, libertaire (libertine !), blasphématrice. « La France ! Ce pays où il était moins grave d’avoir faim, car on y était assuré de trouver la liberté totale. »  Celle de la poésie, de la peinture et de l’alcool. « Tant pis pour la faim, le froid, la misère. La liberté. La liberté sonnait alors comme une victoire ! » Et d’abord pour les sublimes métèques du Bateau-Lavoir que furent Modigliani, Picasso, Brancusi, Chagall et par-dessus-tout Chaïm Soutine avec qui notre exquise sadienne s’imagine une filiation précisément imaginaire. Bonheur de ces ascendances françaises que l’on se choisit à rebours de ses origines et que de bonnes âmes croient aimable de lui rappeler. « Quel dommage que tu aies perdu ton accent ! », entend-elle régulièrement de la part de ceux qui croient l’honorer alors qu’ils l’insultent. C’est que pour une certaine gauche, « l’important, c’est de faire immigré », c’est-à-dire victime sempiternelle de la colonisation, de l’esclavage, du système blanc patriarcal (et comme si « les Blancs » avaient été les seuls colonisateurs au monde alors que dans le genre, et Shalmani le rappelle avec délectation, les Arabes ont fait bien pire[5]). Gare à l’immigré ou à l’enfant d’immigré qui oserait s’assimiler complètement à son pays d’adoption ! Gare à l’Arabe amoureux de la France ! Gare à l’étranger qui ferait l’éloge de la langue de La Fontaine – au lieu de considérer, et comme notre système masochiste l’y encourage, que son apprentissage est une discrimination faite à son endroit. Celui-là serait considéré comme un traitre à sa race. Or, c’est « venger sa race » qui aujourd’hui fait recette et permet le Nobel. Ce que les islamistes, qui « n’attaquent pas la France par hasard », ont bien compris. La haine de soi est chez nous si grande, si prestigieuse, si subventionnée, que toutes les intersectionnalités, néo-féminisme pro-burka, LGBTQIA pro-Hamas, gauchisme eurasien, sont possibles. En vérité, « le Ku Klux Klan l’a rêvé, l’antiracisme l’a accompli ! ».

Annie Ernaux. Photo: Hannah Assouline

C’est que le wokisme, « cette synthèse identitaire », est en écho avec le littéralisme coranique. Comme en Orient, on est en train d’en finir avec l’interprétation, l’exégèse, l’esprit (critique et poétique), ce que l’islam éclairé appelait l’ijtihad – et qu’un Rusdhie a tenté de remettre au goût du jour dans ses Versets avec le résultat qu’on sait. Car c’est le djihad qui l’a emporté contre l’ijtihad – la lettre qui tue contre l’esprit qui vivifie. Et cela avec la complicité des déconstructeurs, Jacques Derrida en tête, déclarant un jour à l’auteur de Joseph Anton, et rapporté par celui-ci, que « la rage de l’islam » trouve sa source non dans l’islam en soi mais dans « les mauvaises actions de l’Occident ». Et voilà le mythe du mal derrière le mal dans nos têtes de petits blancs. L’idée perverse au possible que nous méritons nos frères Kouachi et nos Mohammed Merah – tout comme Israël mérite son pogrom du 7 octobre.  

Au fond, pour cette gauche moisie, ce sont les morts les coupables. Alors que c’est nous, à force de lâcheté, de compromission, d’abandon de la laïcité, d’acculturation programmée, d’oubli de nos arts, armes et lois, de nihilisme bien-pensant, qui sommes coupables de ces morts. Et là-dessus, Abnousse Shalmani nous met en garde : « Soyons un peu plus courageux et nous aurons un peu moins l’impression d’avoir du sang sur les mains au prochain attentat. »

Abnousse, présidente !

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[1] Voir le livre de David di Nota, J’ai exécuté un chien de l’Enfer. Rapport sur l’assassinat de Samuel Paty, Le Cherche midi, 2021

[2] Entretien avec Abnousse Shalmani et Kamel Daoud, par Peggy Sastre, « Si vous ne voulez pas de ce pays, on est preneurs ! », Le Point, n° 2699, 25 avril 2024

[3] Idem.

[4] Émission du 15 mai 2024 que l’on peut revoir ici : https://www.france.tv/france-5/la-grande-librairie/saison-16/5988222-emission-speciale-salman-rushdie.html

[5] « L’empire arabo-musulman a pratiqué plus longtemps et à plus grande échelle l’esclavage : alors que la traite transatlantique a concerné entre 9,6 et 11 millions d’individus, la traite arabo-musulmane a déporté plus de 17 millions d’Africains. Mais les descendants d’esclaves transatlantiques s’élèvent à 70 millions contre 1 million pour la traite arabo-musulmane, conséquence de la castration systématique. »



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Pierre Cormary est blogueur (Soleil et croix), éditorialiste et auteur d'un premier livre, Aurora Cornu (éditions Unicité 2022).

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