Abel Quentin nous raconte l’histoire d’un prof accusé de racisme, défendu par une certaine Elisabeth Lévy… Un roman très plaisant qui croque notre politiquement correct contemporain et qui fait penser à Houellebecq ou à Roth…
Le Voyant d’Etampes est un roman très drôle. C’est le récit des démêlés d’un universitaire, Jean Roscoff, semi-gros à jambes grêles passablement ivrogne, qui écrit un essai, intitulé lui aussi le Voyant d’Etampes, sur un poète noir américain, Robert Willow. Ce dernier est venu en 1953 en France, où il a fréquenté l’intelligentsia sartrienne, puis s’en est détaché et s’est « exilé » à Étampes, ville encore médiévale où les presbytères n’ont rien perdu de leur carme ni les jardins de leur éclat.
Et justement, Willow rompt avec la poésie « engagée » qui était la sienne, et s’attelle à des rondeaux médiévalistes hors temps. Et il meurt dans un accident de la route — d’où la belle couverture où est reproduite une photo de Christophe Rihet tirée de Crossroads, dont j’ai parlé lors de son passage à Arles il y a quatre ans, représentant cette ligne droite de la Nationale 5 où la Facel Vega HK500 de Michel Gallimard s’est encastrée dans un arbre, tuant Albert Camus assis justement à la place du mort.
Le romancier s’approprie la rédac’ chef
Mais l’essai de Roscoff, parce qu’il est écrit par un Blanc qui fait donc de l’appropriation culturelle en parlant d’un Noir, en un monde où nous sommes assignés à résidence — j’en ai parlé jadis —, heurte la conscience « éveillée » des antiracistes professionnels d’aujourd’hui, immédiatement soutenus par la presse bien-pensante et l’ensemble des rézosocios, où les hyènes chassent en meute.
D’où des démêlés fort drôles qui font l’essentiel du livre.
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Toute la presse ? Non : quelques magazines soutiennent l’auteur. Causeur écrit (prétend Quentin) : « L’insoutenable liberté de Monsieur Roscoff : récit d’un lynchage » — où le mot « lynchage » a été soigneusement pesé par Elisabeth Lévy (du moins, on imagine assez qu’elle pourrait le faire) puisqu’il utilise un terme annexé par l’imaginaire noir en évoquant un Blanc, comme nous l’apprendrons au fil de la lecture. Marianne et Valeurs actuelles — toute la fachosphère, à en croire les professionnels de la bonne conscience — défendent aussi le livre de Roscoff sur le même ton.
Dans la bibliothèque de survie de Beigbeder !
La réalité rejoint la fiction : Valeurs actuelles a publié fin août une critique dithyrambique du livre de Quentin, et le Figaro, sous la plume de Frédéric Beigbeder, a renchéri tout récemment.
C’est vraiment d’une lecture agréable, et d’autant plus aisée que le récit, fait à la première personne par le « héros », garde constamment un aspect « oral » qui l’éloigne de Flaubert, mais le rapproche d’auteurs plus immédiatement contemporains : Quentin est l’enfant adultérin engendré par l’union monstrueuse de Michel Houellebecq et de Philip Roth — le Voyant d’Etampes présente des analogies certaines avec la Tache, ce qui n’est pas un mince compliment.
Divulgâchons la fin — peu importe, le roman n’est pas un suspense, c’est une critique féroce de notre contemporanéité. Robert Willow, le pur poète, se révèle in fine avoir été un agent du KGB — et les « éveillés » d’aujourd’hui devraient parfois se demander si telle ou telle de leurs idoles africaines ou maghrébines n’est pas un agent infiltré au service d’un émirat à venir. Que les féministes d’aujourd’hui évitent de soutenir Mila ou de condamner l’excision, légitiment le port du voile islamique et se taisent sur l’entrée des talibans à Kaboul en dit long sur leurs priorités souterraines, et si j’étais un maître espion, je farfouillerais dans leurs relations.
Soif de pouvoir ou de justice sociale ?
Parce qu’à appeler un chat un chat, il faut bien se rendre compte que les Chiennes de garde ne défendent pas les femmes, mais cherchent à s’annexer le pouvoir des mâles hétéros blancs, en leur insufflant un sale parfum de culpabilité à cause du « privilège blanc » qui est le leur. Que les « racisés » s’efforcent de remplacer au pouvoir les maîtres qui les ont dominés durant des siècles. Que les générations x / y / z et suivantes veulent à tout prix chasser de la scène les boomers qui y séjournent encore — et tant qu’à faire, les quadras / quinquas qui leur ont succédé et qui sont peu nombreux. Du pouvoir — pas de la justice.
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D’ailleurs, Abel Quentin, quand il n’écrit pas de romans, est avocat pénaliste. Il doit savoir que la justice n’a rien à voir avec le Droit, et que nombre de révolutionnaires, en 1789 à commencer par Danton et Robespierre, étaient avocats et ne défendaient pas les droits du peuple, mais leur appétit de puissance. Aucune cause n’est « juste », elles sont toutes des tentatives pour chasser du temple les puissances qui l’occupent, afin de les remplacer par un nouveau rapport de forces. Ne cherchez pas de motivations idéologiques à ces pseudo-révolutionnaires : adressez-vous à Darwin. Et traitez-les en conséquence, si vous ne voulez pas finir comme le smilodon.
Bravo en tout cas à Muriel Beyer, fondatrice des Éditions de l’Observatoire qui éditent le roman, d’avoir déniché cette perle parmi tant de pseudo-auteurs en mal d’écriture. Ce n’est pas chez Plon, où elle travaillait auparavant, qu’on aurait édité un tel brûlot anti-conformiste, tant la peur de choquer les imbéciles hargneux, comme le souligne le livre, est la valeur-refuge aujourd’hui de l’édition française et des médias, qui pensent à gauche pour mieux remplir leur portefeuille sur le dos des gogos.
PS. Un seul regret : qu’Abel Quentin se croie obligé d’écrire « auteure ». Par bonté j’ai mis ce barbarisme sur le dos d’une correctrice éveillée… À ce détail près, c’est vraiment un bon livre.