Accueil Édition Abonné Avril 2023 Abel Bonnard, éternel «Gestapette»

Abel Bonnard, éternel «Gestapette»

« Abel Bonnard, plume de la collaboration », de Benjamin Azoulay (Perrin, 2023)


Abel Bonnard, éternel «Gestapette»
Abel Bonnard à Paris sous l’Occupation, 1942 © Bridgeman images

Au panthéon des ordures de la collaboration, Abel Bonnard occupe une jolie place. Avec sa biographie, Benjamin Azoulay exhume cet écrivain, fasciste notoire et pétainiste emblématique qui, avec sa réputation d’homosexuel, a contribué à donner à Vichy des airs de cage aux folles.


La postérité n’accorde pas le même destin aux « plumes de la collaboration » : le génie de Céline assure l’immortalité à l’auteur des Beaux Draps en dépit de son antisémitisme forcené ; l’immense talent de Drieu La Rochelle le sauve de l’oubli. Quoique condamné à mort, Brasillach survit dans ses poèmes de Fresnes, et plus encore dans son Journal d’un homme occupé. Mais Abel Bonnard ? Il a disparu corps et biens avec l’effondrement du nazisme dont il a été, jusqu’au bout, le thuriféraire ardent et l’instrument zélé.

De l’écritoire au maroquin

Benjamin Azoulay nous livre aujourd’hui une passionnante biographie de ce « second couteau » affûté de la collaboration, passé sans coup férir des belles-lettres à la propagande, de l’Académie française à la tribune politique, de « l’écritoire au maroquin ». Mais cette figure pathétique, cette personnalité foncièrement antipathique et assidue dans l’erreur renvoie à la complexité de l’Histoire.


Sous cet angle, le normalien et chercheur exigeant qu’est Azoulay ne fait pas l’économie d’une contextualisation, attentif à restituer l’air du temps dans lequel a évolué Bonnard, il le portraiture sans le moraliser. En cela, l’ouvrage surmonte l’écueil anecdotique où souvent, de nos jours, s’ébroue une volupté fangeuse à remuer la boue de Vichy.

« Comment le doux poète cosmopolite, chantre des grâces de la nature et des tourments de l’amour, est-il devenu un notable de l’extrême droite fascisante, un polémiste brillant, un éclatant tribun et finalement le premier partisan de la collaboration idéologique avec l’Allemagne dans une France occupée ? » interroge le biographe.

A lire aussi: La démonstration par l’absurde

Né en 1883 dans une bonne famille corse, Bonnard, précoce virtuose du verbe, versifie dès ses 13 ans avant de devenir ce méritant boursier monté de Marseille à Paris pour y échouer à Normale et y faire l’École du Louvre. Premiers vers publiés à 22 ans, prix de poésie de l’Académie française, fréquentant chez la duchesse de Rohan ou la princesse Murat et bientôt protégé du comte Primoli, ce « bel esprit » épouse celui de la Belle Époque. À 24 ans, Bonnard a sa chronique dans Le Figaro. Jusqu’à la Grande Guerre, il sacrifie au rituel du périple transalpin, où il croise Sarah Bernhard et la princesse Bibesco. Devenu un personnage public, il s’adonne au roman : Le Palais Palmacamini, Le Vie et l’Amour… Sa prose délectable lui vaut même les flagorneries de Proust. Le soldat Bonnard franchit 14-18 sans dommage, Croix de guerre et Légion d’honneur en sautoir. L’entre-deux-guerres se dévore en voyages. De l’empire du Milieu, il rapporte une série d’articles que Fayard réunit en un volume : En Chine – grand prix de l’Académie française 1924. Entré au Journal des débats, Bonnard publie Au Maroc et Océan et Brésil. Également critique d’art, collaborateur au Gaulois, le voilà académicien en 1933 : notable laborieux, il étoffe son réseau dans les cercles officiels.

Fasciste de la première heure

De prime abord discret sur ses positions politiques, Bonnard est un fasciste de la première heure. « Penseur de référence pour la droite réactionnaire », dans Éloge de l’ignorance, cet élitiste invétéré pourfend la doctrine de l’émancipation des masses par l’éducation. Des femmes, il écrit sans rire : « l’essence de leur nature n’est pas de connaître, mais de sentir. Ce qui les distingue, c’est d’avoir gardé l’instinct. » Admirateur de Gobineau, théoricien de « l’inégalité des races humaines », Bonnard n’a pas à se forcer pour s’engager sur le chemin ouvert par Maulnier, Maxence, Rebatet ou Darquier de Pellepoix. En 1936 paraît son premier pamphlet, Les Modérés : louanges de Brasillach mais aussi, plus curieusement, de… Mauriac ! Adorateur de « l’Hercule romain » (Mussolini), reçu en audience par Hitler dès 1937, Bonnard, célibataire germanophile épris de virilité, se coule dans la défaite et dans l’Occupation, bains de jouvence dont il savoure la fraîcheur roborative en pionnier.

C’est là le plus stupéfiant : égocentrique, vaniteux, ce cacique du régime n’a jamais été un collaborationniste opportuniste et intéressé. « Petit-maître du bien dire plongé dans l’immondice », selon Paulhan, c’est un homme de conviction enchaîné à son fourvoiement : « La Collaboration avec comme horizon la création d’une nouvelle Europe et partout la régénération de l’Homme. » Dès lors, brillant causeur, inlassable conférencier, propagandiste compulsif, le Maître multiplie les certificats d’allégeance à la révolution nationale du Maréchal. Nommé en 1942 à la tête de l’Éducation nationale, l’idéologue de l’Ordre nouveau s’avère un ministre despotique, inapte – et détesté.

Promoteur d’un professorat vitaliste tendant à dévaluer la culture classique au profit du sport et de l’enseignement technique (dans le prolongement des vues de Jean Zay, ministre du Front populaire), Bonnard sera aussi le « père spirituel » de la Milice, le prédicateur de la Légion tricolore, le fanatique rabatteur du STO… Sa juridiction, en bonne logique, témoigne d’un bel acharnement contre les juifs, quand bien même il ne participe pas directement aux exactions qui découlent de ses directives.  En mai 1944, le voilà président d’honneur du Congrès international d’antisémitisme, à Cracovie ! En 1945, c’est la fuite vers l’Allemagne, puis l’exil en Espagne, le bannissement, le procès. Bonnard meurt à 84 ans, en mai 1968, à Madrid.

Le meilleur pour la fin ? L’« empaleur de mouches » aux « yeux de lapin albinois » qui, dixit le journal Combat, écrit « avec une gomme à effacer », a été très tôt surnommé « Gestapette » par la Résistance. Ou « Tante Abel ». Ou « La Belle Bonnard », dans une association infamante entre « inversion » et collusion avec les nazis. Sans preuve avérée, au reste, quant à la réalité de ses mœurs. Ironie de l’histoire : de telles insultes, qui de nos jours passeraient sous le coup de la loi pour « homophobie » caractérisée, relevaient alors du machisme de cette France libre « dressée » en défi à l’ordre moral de Vichy.


À lire

Benjamin Azoulay, Abel Bonnard, plume de la collaboration, Perrin, 2023.

Abel Bonnard: Plume de la Collaboration

Price: 25,00 €

9 used & new available from 25,00 €

Avril 2023 – Causeur #111

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Dur dur d’être ministre…
Article suivant Quatre ans après le drame de Notre-Dame, que bâtissons-nous?

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération