Ce qui se passe en ce moment dans les relations israélo-palestiniennes est si complexe que les rédactions des principaux médias français, réduites à leur étiage estival, font prudemment l’impasse sur ce sujet. Dommage, car l’évolution de la situation politique et diplomatique sur le terrain est loin d’être sans intérêt, et ne se résume pas aux affrontements théâtraux sur l’affaire de la flottille turque dans les enceintes internationales.
Depuis l’opération « Plomb durci » à Gaza il y a 18 mois, les négociations directes entre les dirigeants israéliens et ceux de l’Autorité palestinienne sur la base de «deux Etats pour deux peuples» étaient interrompues. En prenant l’initiative de cette rupture, Mahmoud Abbas tentait, avec un certain succès, de renforcer sa position dans l’opinion palestinienne meurtrie par les souffrances infligée aux Gazaouis, sans pour autant susciter les critiques d’une communauté internationale ayant jugé «disproportionnée» la riposte israélienne au harcèlement des localités du sud du pays par les jihadistes du Hamas
Mini-moratoire, maxi-dangers
L’arrivée presque concomitante au pouvoir de Barack Obama et de la coalition de droite dirigée par Benyamin Netanyahou allait, dans un premier temps, renforcer la position du leader palestinien. Les pressions de Washington sur Netanyahou s’exercent sans complexes, rompant avec la complaisance de l’administration Bush à l’égard des initiatives de ses prédécesseurs Sharon et Olmert. Pourtant, Obama et son envoyé spécial dans la région, George Mitchell, ne parviennent pas à faire plier totalement Netanyahou sur la question, cruciale pour les Palestiniens, de l’arrêt des constructions dans les implantations juives de Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Le premier ministre israélien ne concède qu’un moratoire de dix mois, à l’exception de Jérusalem «capitale unifiée éternelle d’Israël» et des grands blocs d’implantations destinées, dans l’esprit des Israéliens à revenir à l’Etat juif dans le cadre d’un règlement global et d’un échange de territoire.
Ce moratoire doit prendre fin le 26 septembre prochain, et Benyamin Netanyahou a d’ores et déjà annoncé que son éventuelle prolongation provoquerait l’éclatement de sa coalition, entraînant le départ des partis situés à droite du Likoud, notamment d’Israël Beitenou du ministre des affaires étrangères Avigdor Lieberman. Tout cela permet à Mahmoud Abbas de justifier son refus de reprise des négociations directes, de rechercher -sans succès, malgré la médiation égyptienne- un terrain d’entente avec le Hamas, et de travailler, dans les enceintes internationales à la délégitimation de l’Etat juif.
Au cours du printemps et de l’été 2010, cependant, l’attitude de l’administration Obama vis-à-vis de Netanyahou évolue : on ne le fait plus passer par la petite porte de la Maison Blanche pour lui remonter sans ménagements les bretelles, et le président des Etats-Unis apparaît, souriant, à ses côtés au sortir d’entretiens qualifiés de « cordiaux et constructifs ». Bien sûr, l’approche des élections dites de midterm au Congrès explique en partie ce réchauffement et sa mise en scène, mais pas seulement. Habilement, Benyamin Netanyahou s’est déclaré favorable à une reprise immédiate des négociations directes avec l’Autorité palestinienne, mettant Mahmoud Abbas au pied du mur. Cette fois-ci, c’est sur les dirigeants de l’Autorité palestinienne que s’exerce la pression de Washington, sous la forme d’une lettre de seize pages l’engageant à reprendre sans attendre les discussions avec les dirigeants israéliens, faute de quoi il serait très difficile, voire impossible aux Etats-Unis et à l’Europe de forcer Jérusalem à prolonger l’arrêt des constructions dans les implantations…
Les pays arabes divisés
C’est en homme ployant sous le poids de ces pressions « les plus importantes jamais exercées par les Etats-Unis sur l’Autorité palestinienne» que Mahmoud Abbas obtient de la Ligue arabe l’autorisation de reprendre langue avec les Israéliens. Mais il n’est pas question, au moins officiellement, d’un quelconque feu vert de la Ligue à des concessions qui pourraient être acceptées par le leader palestinien, ce qui aurait pu mettre en lumière les profondes divisions des Etats arabes sur le sujet. « Tu peux y aller, contraint et forcé par les Etats-Unis, mais on se réserve de juger du résultat ». Tel est le maigre viatique que ses « frères » ont accordé au chef de l’OLP.
On pourrait, après avoir exposé et analysé cette séquence, en tirer la conclusion que l’ambition d’Obama de réussir à tout prix ce que Bill Clinton n’était pas parvenu à obtenir d’Ehud Barak et Yasser Arafat en 2000 a de bonnes chances de voir son accomplissement. En se montrant ferme et même, au besoin, brutal pour faire avaler à l’une ou l’autre partie les couleuvres nécessaires, le président des Etats-Unis pourrait, enfin, commencer à justifier la confiance que les jurés du Nobel avaient placée en lui un peu prématurément… S’il devait en être ainsi, j’enverrais bien volontiers une caisse de champagne à mon ami Elie Barnavi pour me faire pardonner mon scepticisme absolu sur les chances de réussite de cette pax americana imposée par Obama, qu’il appelle de ses vœux dans son dernier livre[1. Elie Barnavi « Aujourd’hui ou peut-être jamais. Pour une paix américaine au Proche-Orient » Editions André Versaille].
Mais, à y regarder de plus près, ma pingrerie naturelle a de fortes chances de ne pas être violentée, car les principaux intéressés, Mahmoud Abbas et Benyamin Netanyahou partagent, à peu de choses près, la même conviction : ni la société israélienne, ni la société palestinienne -et plus largement, le monde arabo-musulman- ne sont prêts à accepter les sacrifices exigés par la conclusion d’un accord de paix global et définitif entre les deux peuples. Mahmoud Abbas sait que cet accord sera moins favorable encore aux thèses palestiniennes que celui refusé par Yasser Arafat à Camp David. L’expérience du retrait unilatéral de Gaza, et de ses conséquences politiques et militaires a notablement relevé le niveau d’exigence sécuritaire permettant l’acceptation par Israël d’un Etat palestinien libéré de l’occupation de Tsahal. Autre problème du côté palestinien, le fossé qui se creuse entre la partie de la population qui jouit de la croissance consécutive à la fin de la seconde intifada et, celle qui, à Gaza et dans les camps de réfugiés en Cisjordanie subit des conditions de vie misérables et l’arbitraire d’un pouvoir confisqué par des factions armées. Cela limite considérablement les marges de manœuvre de l’Autorité palestinienne, écartelée entre la « nouvelle bourgeoisie » qui veut la paix pour prospérer et les exclus de la renaissance économique qui rendent Israël responsable de leur misère.
Malgré les efforts du premier ministre Salem Fayyad de construire « par le bas » un Etat palestinien susceptible de gérer avec efficacité et probité les affaires publiques dès sa proclamation officielle, la surenchère nationaliste du Hamas trouve de l’écho dans cette population qui ne fréquente pas les cafés branchés et les restaurants de luxe de Ramallah ou de Jenine. Les barbus de Gaza ont déjà émis des signaux négatifs sur le processus en cours en laissant des « groupes incontrôlés » lancer des engins explosifs sur Sderot, Ashkelon et Eilat, provoquant les inévitables représailles israéliennes.
Peres en embuscade
Benyamin Netanyahou redoute, lui, un affrontement brutal avec les colons fanatisés des implantations « idéologiques », qui mettrait à rude épreuve une armée appelée mettre en œuvre l’évacuation des localités rendues à l’Etat palestinien. Il est d’autant moins prêt à ce type d’affrontement que l’opinion publique israélienne s’est radicalisée, et n’approuverait pas un déracinement manu militari de ces colons comme ce fut le cas à Gaza. L’agenda d’Obama ne coïncide ni avec celui d’un Israël obnubilé par sa sécurité, ni avec celui d’une Autorité palestinienne peu pressée, en fait, de mettre fin à une occupation qui la protège d’un coup de force du Hamas en Cisjordanie.
Petites et grandes manœuvres se déploient donc dans la coulisse, pour que l’échec programmé de ces négociations directes soit imputé à l’autre partie. Le plus retors, dans ce petit jeu, est comme d’habitude le vieux renard Shimon Peres, président d’Israël (87 ans), qui envoie son sbire, l’ancien ministre Haïm Ramon dissuader le chef négociateur palestinien Saëb Erakat de revenir aux discussions directes avec Netanyahou. Peres ne supporte pas que le dialogue avec les Palestiniens, et les Arabes en général, puisse lui échapper, et que son ennemi intime Netanyahou puisse en tirer un quelconque bénéfice politique.
Saëb Erakat, qui a compris la leçon de Camp David, fait savoir urbi et orbi que le plan palestinien qui sera proposé lors de la reprise des négociations directes est «le plus généreux jamais mis sur la table par les Palestiniens, abordant tous les sujets sensibles : Jérusalem, frontières, réfugiés, partage de l’eau» sans toutefois dévoiler le moindre détail de cette petite merveille. Avant même que les discussions aient commencé, Erakat, qui n’est pas tombé de la dernière pluie, place ses pions pour que s’impose l’idée de la responsabilité de Netanyahou d’un éventuel échec des négociations.
On est donc bien dans une intense bataille de communication qui n’a rien à voir avec la discrétion exigée par des discussions sérieuses entre parties bien décidées à aboutir à un compromis. Pour cela il manque l’ingrédient majeur : la confiance, celle qui fait les bons traités, ceux qui harmonisent aussi bien les pensées que les arrière-pensées.
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