La Tunisie a chassé la Côte d’Ivoire des « Unes » et doit désormais subir à son tour la loi d’airain des médias : rien n’est plus vieux que le sujet du JT d’hier. Dommage. Ce qui se passe en ce moment en Tunisie est certes moins dramatique que les évènements d’Egypte mais non moins important vu l’originalité du processus tunisien et son caractère exemplaire de modèle possible de transition démocratique,.
Sur le terrain donc, ces derniers jours, c’est la contestation sociale qui prend la place de la révolte politique. Le pain a remplacé la liberté comme mot d’ordre numéro un dans les cortèges de Tunis. Pas un mot non plus sur l’Amérique et encore moins sur qui vous savez. Et ce qui est encore plus intéressant, les nouvelles en provenance d’Egypte servent de leçon au jour le jour, exposant les dangers à éviter et les écueils à contourner. L’édito du quotidien tunisien La Presse[1. Dont le fondateur, Henri Smadja, a aussi créé Combat.], est dans ce sens fort révélateur et mérite d’être très largement cité :
« Au sortir d’un système politique fermé où un parti dominant totalement la scène exerçait son hégémonie sur tout et tous, au nom d’une « démocratie consensuelle » adossée à des urnes bourrées, la Tunisie s’apprête à bâtir un nouvel édifice de représentation démocratique digne de cette République dont on se réclame depuis maintenant plus de 53 ans. Les Tunisiens l’ont montré à l’occasion de cet héroïque soulèvement populaire, la démocratie — la vraie — se conjugue au pluriel, à travers un débat contradictoire et des expressions diversifiées dont les vues et les programmes sont pesés et confrontés à l’aune de l’intérêt général et de l’avenir du pays. Mais par-delà le légitime débat à propos du choix qui devra s’imposer entre système présidentiel et régime parlementaire ou entre modes de scrutin proportionnel et majoritaire, les citoyens et la nouvelle classe politique qui émerge de jour en jour se doivent d’approfondir la réflexion sur les différentes options qui se présentent. Certains parlent déjà de dix-neuf partis sur la scène, les uns légalisés, d’autres en voie de l’être, et on en oublie sûrement. C’est une formidable profusion de visions du monde qui ne manquera pas d’enrichir le débat, mais qui par là même risque de troubler le citoyen et de désorienter l’électeur. Quel que soit le régime et quel que soit le mode de scrutin. Sachant que, comme tout le monde sait, le parlementarisme et la proportionnelle accentuent et encouragent le morcellement de l’échiquier politique. Les citoyens, et notamment cette jeunesse qui vient de s’illustrer vaillamment par une conscience politique jusque-là insoupçonnée, vont devoir s’informer sur chaque courant et chaque programme, tout en étudiant les différents types de régime et tous les modes de scrutin possibles. Cet apprentissage est le b.a.-ba de toute démocratie en construction, car la souveraineté populaire exige que le choix des citoyens soit fait en toute conscience. Même si l’émiettement de la scène politique, qui complique la donne et fragilise toute éventuelle majorité de gouvernement, gagnerait à être atténué par des regroupements en fronts, coalitions ou cartels. Le peuple tunisien vient de se débarrasser du pouvoir personnel et de la dictature au profit d’une démocratie républicaine appelée à incarner le pouvoir en son nom. Il est essentiel de pousser la réflexion et de l’élargir pour doter le nouveau régime en construction de toutes les vertus et qualités voulues. Afin que la liberté, la démocratie et la justice soient à jamais la règle. Sans risque de dérapage. »
C’est dur à encaisser, mais on est bien obligé de constater que, depuis le 14 janvier, la presse tunisienne est souvent meilleure que la française…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !