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À qui le tour?

Chronique de la cancel culture


À qui le tour?
Dragon Ball © D.R.

Les « annulés » du mois d’avril. Ce qui semblait une mauvaise blague est devenu un fait social. Chaque mois, de nouveaux accusés – parfois improbables – sont purement et simplement « effacés de la photo » comme dans les meilleures années du stalinisme. Motif ? Ils sont jugés « offensants » par les tenants de la cancel culture.


La Vénus de Milo © D.R.

Pour en finir avec l’Antiquité

Certains n’ont pas attendu l’interview d’Emmanuel Macron sur CBS pour « déconstruire notre histoire ». Mais ce ne sont plus les « barbares » qui tentent de saccager Rome, ni même les étudiants incapables de retenir les terminaisons « rosa, rosa, rosam » ; désormais, les vandales, ce sont les professeurs eux-mêmes. Le mouvement a démarré il y a quelques semaines avec la publication par l’inénarrable New York Times d’un « portrait » (en fait un manifeste) de Dan-el Padilla Peralta, professeur d’histoire antique à l’université de Princeton. Selon cette éminence, « les lettres classiques ont contribué à l’invention de la “blanchité“ et à sa domination ininterrompue ». Padilla s’appuie sur sa jeunesse en République dominicaine et sur un discours du dictateur Rafael Trujillo, louant la Grèce antique comme « la maîtresse de la beauté, rendue éternelle dans la blancheur impeccable de ses marbres », pour conclure que la vénération de la « blancheur antique » est consubstantielle au fascisme. D’où son projet de « détruire » sa discipline. Une telle énormité aurait dû faire long feu, mais le feu purificateur couvait dans bien d’autres universités américaines. Quelques semaines plus tard, Walter Scheidel, un autre professeur d’histoire antique, à Stanford cette fois, préconisait d’achever les langues mortes. Dans un entretien au Point, il dénonçait comme Padilla les « connexions entre les lettres classiques et l’impérialisme, et même le suprématisme blanc ». Crise de l’enseignement, diront certains. « Il n’y a jamais eu de crise de l’enseignement, répond Charles Péguy, les crises de l’enseignement ne sont pas des crises de l’enseignement, elles sont des crises de vie. »

À lire aussi: L’Histoire gréco-romaine et les Lettres classiques au banc des accusés


Dragon Ball © D.R.

Dragon Ball

Lorsque j’ai lu le 31 mars dernier dans les colonnes de Marianne qu’une chaîne de télévision publique espagnole avait refusé de diffuser Dragon Ball à cause de « stéréotypes et de rôles sexistes », j’ai cru à un poisson d’avril. Certes, les personnages ne sont pas dépourvus d’atouts genrés que d’aucuns qualifieront de clichés sexistes – taille fine pour les femmes, gros biscotos pour les hommes : sans doute les dessinateurs de mangas n’ont-ils pas tous lu Judith Butler ! Mais le dossier ne semblait pas très solide. La ficelle était trop grosse ! Au même moment, je recevais une information présentant toutes les garanties de sérieux : Volkswagen s’apprêtait à changer de nom pour devenir « Voltswagen » sur le marché américain. Ça, c’était du solide, du crédible, repris d’ailleurs par tous les médias spécialisés et même par BFM TV ! Eh bien, entre Dragon Ball et Voltswagen, le poisson d’avril ne concernait pas celui qu’on croyait. Pour paraphraser Guy Debord, dans le monde réellement inversé, le vrai est un moment du gag. Et inversement.


© D.R.

Les mascottes amérindiennes

Exit les Peaux-Rouges et leurs calumets de la paix ! Aux États-Unis, la guerre est déclarée contre l’« appropriation culturelle » à l’égard des Amérindiens. L’année dernière, les Washington Redskins, l’un des principaux clubs de football américain, avaient été contraints d’abandonner leur nom et leurs symboles. Il y a quelques semaines, c’était au tour du 4×4 Jeep Cherokee d’être pointé du doigt par la tribu du même nom. Cette fois, le sénat du Colorado est en passe d’interdire les mascottes amérindiennes dans les écoles publiques, les collèges et les universités, avec une prune de 25 000 dollars par mois pour les établissements contrevenants. Reste à savoir si les descendants des Manhattes vont exiger la rétrocession de l’île qui leur avait été honteusement extorquée il y a quatre siècles.

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© D.R.

La ville de Bitche

Il y a des noms qui ne sont pas faciles à porter. Mais quand, en plus, Facebook vous ostracise pour ce nom, alors c’est la double peine ! La ville de Bitche, en Moselle, ne s’attendait pas à être bannie trois semaines du réseau social à cause d’une « analyse incorrecte » de ces fameux systèmes chargés de traquer les insultes sur les comptes (bitch signifie « salope » en anglais). Mais, malgré leur nom, les Bitchois ne sont pas rancuniers. Le maire a même invité Mark Zuckerberg à se rendre dans sa ville : « Come on Bitche ! »


© D.R.

Le MoMa de New York

Depuis le 9 avril, un mouvement baptisé « Strike MoMa » s’en prend au célèbre musée qu’il accuse de diffuser une culture « élitiste, raciste et misogyne ». À l’origine, la grève visait à dénoncer les liens entre le président du conseil d’administration du musée, Leon Black, et l’ex-homme d’affaires Jeffrey Epstein. Mais la démission de Leon Black fin mars n’a pas apaisé le mouvement, bien au contraire. Dans un manifeste ostensiblement antisémite, les militants s’en prennent à la « dynastie des Rockefeller, des banquiers, des spéculateurs et des faiseurs de guerre qui ont pris la tête du MoMa ». Comme dirait l’autre, le camp du progrès a encore des progrès à faire !

À lire aussi: L’Université d’Oxford va-t-elle bannir la «musique blanche et colonialiste»?


Ils ont résisté !

Les nus du musée de l’Ermitage

Une plainte avait été déposée contre le plus grand musée de Russie à cause de « sculptures de nus » susceptibles, selon la plaignante, de « nuire à la psyché des mineurs ». La démarche a provoqué l’hilarité du président du conseil des droits de l’homme de Russie pour qui « de telles plaintes doivent être immédiatement transmises à un psychiatre ».

Huis Clos de Jean-Paul Sartre

Des étudiants en théâtre de l’université de Washington réclamaient dans une pétition le retrait de la pièce existentialiste au motif qu’elle renforçait le « patriarcat » et mettait « mal à l’aise ». La direction n’a pas cédé. Preuve qu’au pays de l’oncle Sam, au cœur même du cyclone, on peut aussi refuser de se coucher. C’est en tout cas ce qu’affirme une récente étude Harvard CAPS-Harrispoll selon laquelle 64 % des Américains considéreraient la cancel culture comme une « menace pour leur liberté ».

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Mai 2021 – Causeur #90

Article extrait du Magazine Causeur




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Consultant en communication et relation publique

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