Vous pensez que la burqa est un instrument d’enfermement, donc d’asservissement, qu’elle témoigne de la haine du sexe et de la peur des femmes – à moins que ce ne soit l’inverse ? Sachez-le, vous êtes complètement out. Cet été, rien n’est plus tendance que l’islamo-féminisme. Et comme à Causeur on n’est pas chienne, on a décidé de vous aider à vous mettre à la page.
On le savait déjà, la burqa, c’est intello. Quand André Gerin et ses compères ont lancé le débat, toutes les radios, certainement soucieuses de ne pas nourrir la stigmatisation toujours menaçante, ont déniché leur burqette bac + 12. Il est vrai que pour étudier Voltaire ou Einstein, on ne saurait rêver habit plus adapté.
Mais cet été apporte une bien meilleure nouvelle, en particulier à tous ceux qui pensent que l’épanouissement sexuel des adeptes du « voile intégral » est une cause nationale. La burqa, c’est érotique : le dernier chic, dans nos médias, est donc d’interroger des dames qui s’habillent en fantômes en toute liberté et jurent avec des mines coquines que leur armoire est pleine de dessous affriolants – pour affrioler leur légitime propriétaire, pardon mari. La semaine dernière, Match a ainsi consacré quatre pages à « ces filles voilées de la tête aux pieds ». Il faut vous dire que j’étais à l’étranger et que quand j’ai vu ma présidente en « une », je n’ai pas pu résister. Bon, seulement huit pages sur « Carla la perfectionniste », qui « veut changer l’image de son mec » avec photos au maquillage, quand « elle se prépare sans trop s’apprêter ». Non, vraiment pas une once de servilité ni même de complaisance dans ce reportage purement informatif. D’ailleurs, ce n’est pas mon sujet.
Après le conte de fées de la « chanteuse de premier plan », et le récit cauchemardesque mais édifiant de la déchéance des Madoff (ah, qu’il est doux de savoir que madame Madoff prend le métro !), l’hebdo qui proclame que « la vie est une histoire vraie » offrait donc à ses heureux lecteurs les témoignages bouleversifiants de Caroline, 26 ans, et Safiya, 20 ans, toutes deux en burqa (ou en niqab, qu’on me pardonne mon imprécision schmattologique[1. Pour ceux qui ont raté le cours précédent, schmattes signifie tissu en yiddish. Par extension, la schmattologie est donc la science de la fringue.]) et fières de l’être.
On imagine qu’elles ont des yeux, Caroline et Safiya, surtout Caroline car elle porte des lunettes. On suppose même qu’elles sont faites de chair et de sang bien que sur les photos on ne voie nulle trace de ces choses dégoûtantes. Même au volant – parce qu’elles sont modernes, hein ?-, elles portent les gants supposés éviter à leurs mimines tout regard impur, c’est-à-dire non marital. (Ou alors, c’est pour les empêcher de les laisser traîner dans des endroits inconvenants ?)
Le message est clair. Caroline et Safiya sont des femmes comme les autres – où allez-vous chercher que cet accoutrement révèle un curieux rapport à la société ? On se dit même, en lisant l’article concocté par deux consœurs, que cette réclusion vestimentaire évoque les mystères de l’Orient. « Safiya rentre chez elle, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. Sa jupe longue et son jilbeb, sorte de cape grise qui couvre son corps des cheveux jusqu’aux hanches se balancent au rythme de ses pas. Sa sitar noire, un triple voile, cache son visage. Elle ouvre de sa main gantée la porte de son appartement puis se déchausse pour pénétrer dans la chambre où trône un lit à baldaquin. Et là, dans ce décor des Mille et Une Nuits, Safiya se dévoile. La silhouette de Belphégor se métamorphose en celle de Schéhérazade. » Bravo les filles, il aurait été dommage de passer à côté d’un cliché aussi tentant sans s’en emparer. Quant à la photo de ladite Schéhérazade posant, dans son costume de Belphégor, devant ses petites culottes, elle est assez amusante. On s’attend à ce que sur l’image d’après, elle soit nue, un fouet à la main, la burqa roulée en boule à ses pieds. Eh bien, c’est raté. Si vous parvenez à vous procurer cet excellent numéro, vous devrez vous contenter des culottes. Et de votre imagination.
La burqa, c’est la liberté. Bien entendu, Safiya et Caroline ont choisi toutes seules comme des grandes de vivre cachées – pour tout dire, ça enquiquine même leur famille. Donc, toute cette histoire d’oppression, c’est que des menteries. Si on voulait chipoter, on pourrait faire remarquer à mes excellentes consœurs et à celui qui leur a commandé le sujet (« tu me trouves des filles normales, hein ? ») que présenter les deux donzelles comme des exemples est pour le moins mensonger. Je serais en effet assez étonnée que les femmes qui sont obligées de se déguiser soient autorisées à s’épancher auprès de journalistes. Peu importe, je ne dois rien comprendre au journalisme-tranches de vie.
Il faut dire cependant que ces femmes subissent une véritable oppression : la nôtre. Non seulement, elles sont en butte à des moqueries et réflexions désagréables dans la rue, mais en plus, elles subissent une affreuse discrimination au travail. Caroline, Picarde convertie à 17 ans, mariée à 24, a dû quitter son emploi à la mairie de sa commune. « Quand ils ont appris que j’avais épousé un homme que je ne connaissais pas, ils m’ont prise pour Ben Laden ! » Quant à Safiya, malgré un BTS de gestion, elle est au chômage. Ce qui lui laisse le temps d’aller dans les boutiques de luxe, « les seuls endroits où elle a le sentiment d’avoir un traitement privilégié » – je vous jure que je n’invente rien.
Vous l’avez compris entre les lignes, nos damoiselles sont ce que j’appellerais des « chaudasses » si je ne craignais pas de blesser vos chastes yeux. Caroline n’en fait pas vraiment mystère. « La majorité des femmes se font belles le matin pour aller travailler. Quand elles rentrent chez elles, elles mettent un vieux pyjama et des chaussons. (Ah bon, c’est comme ça qu’on fait ? Quelqu’un pourrait-il m’envoyer un vieux pyjama et des chaussons ?) Moi, je fais l’inverse ! Je mets des vêtements sans formes pour sortir et je me fais belle pour le retour de mon mari. » D’ailleurs, au cas où quelqu’un n’aurait pas compris, elle porte un sac sur lequel elle a brodé l’inscription suivante : « femme voilée, femme comblée ». Si j’étais de mauvaise humeur, je lui dirais bien d’aller se faire combler ailleurs, à la Caroline.
Heureusement, depuis que j’ai lu Le Monde, je suis au nirvana. J’ai compris mon erreur. Je me suis emballée sur cette affaire de burqa alors qu’en fait, il n’y a aucun problème. « Le phénomène est si marginal que la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) s’est risquée – au risque de faire sourire – à l’évaluer à l’unité près : selon sa note en date du 8 juillet, dont Le Monde a eu connaissance, 367 femmes en France – soit, en moyenne, une sur près de 90 000 – porteraient la burqa ou le niqab, ce vêtement long et sombre qui voile entièrement le corps et le visage de certaines musulmanes », apprend-on dans l’éditorial.
Il faut louer Le Monde pour sa confiance aveugle dans l’institution policière – ça ne m’avait pas frappé pendant l’affaire Coupat. Certes, la précision de « l’évaluation » a dû faire rigoler (jaune) tous ceux qui voient des dizaines de burqas sur le marché de leur ville – ils doivent se dire qu’elles ont toutes échoué chez eux. De plus, on sait combien les modes sont contagieuses, en particulier dans les cités où les filles sont moins victimes de la mode, justement, que du conformisme, de l’obscurantisme et de la pression sociale.
Pour Le Monde, et pour toutes les radios qui ont entonné la même chanson ce matin, la conclusion s’impose : « compte tenu des risques – dont la stigmatisation de l’islam, qui pourrait offrir à la burqa une fausse image libératrice », il ne faut surtout pas légiférer. Moi, j’aurais tendance à dire que 367, c’est 367 de trop et que ces 367-là méritent bien une loi (au fait, 367, n’était-ce pas le nombre des signataires de l’appel pour l’avortement ?). Mais pour montrer ma bonne volonté et mon souci de ne pas stigmatiser l’islam, je suis prête à accepter une solution médiane. Autorisons la burqa à une condition, que celles qui la portent s’engagent à être nues dessous. Comme ça, au moins, elles contribueront à la vie du pays en faisant fantasmer les hommes. Pour tout vous dire, je me demande si je ne vais pas m’y mettre.
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