« On écrit son premier livre comme un testament, pour dire que quelque chose n’allait pas et que cependant on n’était pas coupable. » La phrase de Bernard Frank aurait pu servir d’exergue au premier roman de Paulina Dalmayer, Aime la guerre ! En racontant l’histoire d’Hanna, une jeune journaliste free-lance en Afghanistan au cours de l’année 2011 − et double à peine démarqué de l’auteur − Paulina Dalmayer a le désir de tout nous dire sur elle et de tout nous dire, surtout, sur elle dans un pays en guerre. Un pays en guerre, c’est effectivement le lieu idéal pour faire son testament. Il y a toujours quelque chose d’un peu ridicule et d’attendrissant, dans les premiers romans, à prétendre que sa vie est terminée ou ne sera plus jamais la même alors que l’histoire se passe dans une maison de famille sur la côte normande en fin de saison. Paulina Dalmayer échappe à ce ridicule par une ambition certaine, une ambition géopolitique, serait-on tenté de dire. Et elle ne cherche pas non plus à nous attendrir. L’Afghanistan de 2011 est restitué en 600 pages serrées dans sa violence, ses couleurs, son horreur et, évidemment, sa beauté car, sinon, les choses seraient trop faciles.
C’est là que le roman de Paulina Dalmayer pourrait avoir quelque chose d’heureusement scandaleux : il y a, pour son héroïne, une beauté atroce de la guerre, une beauté paradoxale mais une beauté tout de même. Hanna ne fait pas que fumer de l’herbe en lisant Chatwin et en méditant dans des refuges en altitude, en plein hiver : elle se shoote également à la peur, aux camions-citernes calcinés, aux bombes qui explosent sur le passage des convois humanitaires, à la sensation de se noyer quand un des véhicules de ce convoi tombe dans l’eau. Et court en filigrane l’idée qu’il vaut mieux le malheur plutôt que rien, selon la formule de Faulkner, et que l’Afghanistan est un moyen d’échapper à la vacuité historique des sociétés occidentales.[access capability= »lire_inedits »]
On pourra bien sûr reprocher à Aime la guerre ! quelques longueurs et, peut-être, une manière un peu attendue de rejouer à Jules et Jim dans la vallée de la Kapisa avec deux de « ces hommes qui aiment les femmes qui aiment les hommes », comme le disait jadis le slogan d’une célèbre eau de toilette masculine. Ces deux personnages, Robert et Bastien, sont d’ex-baroudeurs qui ont beaucoup œuvré dans les périphéries des guerres officielles, mercenaire pour l’un, espion pour l’autre. Eux aussi font partie de cette cohorte disparate d’hommes du monde d’avant qui veulent encore, à l’époque des drones et de la guerre qui ressemble à un jeu vidéo, vivre dans un roman de Kessel, une autre des lectures d’Hanna.
Il n’empêche, Aime la guerre ! est un roman ambigu, c’est-à-dire un bon roman : la pulsion de mort n’a pas de sexe, nous dit Paulina Dalmayer. Une première lecture pourrait nous faire croire que son héroïne retrouve dans la guerre de vieilles valeurs féodales oubliées alors que ce qu’elle aime, sans même vraiment s’en apercevoir, c’est le chaos, la violence, le sang, la merde.
Et ce n’est pas un hasard si l’un de ses plus gros chagrins est, au cœur de l’été 2011, la mort, à 27 ans, de la chanteuse Amy Winehouse, qu’elle apprend dans le QG des forces occidentales à Kaboul. Comme si la diva anglaise, princesse du négatif, était sa sœur jumelle : « Dans chacune de ses chansons, je retrouvais un mélange d’anxiété, d’outrance, de perdition, de lascivité, de sarcasme voilant à peine une blessure incurable. »[/access]
Aime la guerre ! de Paulina Dalmayer (Fayard).
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