Les générations ne se succèdent pas, elles s’enchaînent. Cette continuité immuable était assurée par la famille et la nation. Mais ces institutions sont affaiblies et l’individu est désormais délié de toute appartenance, de sa naissance (programmée) à sa mort (décidée).
La mort, nous la voyons tous les jours passer sous nos fenêtres, mélangeant les existences, les entraînant dans un flux incessant, celui des enfants qui vont à l’école ou des habitués qui font leurs courses. Il suffit du spectacle de ces allées et venues, il suffit qu’on me dépasse dans la rue, ce qui devient de plus en plus facile, pour que s’impose une évidence : à chacun son tour, chacun à sa place, dans un flux qui pousse de côté les existences périmées. On s’en aperçoit surtout quand viennent à manquer des figures que nous ressentions comme emblématiques du quartier, comme cet estropié qui faisait le tour de son bloc en fauteuil roulant. Le « grand remplacement » n’est pas qu’un slogan politique, c’est un principe ontologique, inhérent à la vie elle-même.
Mouvement vital et tragique
Les enfants, en groupe ou accompagnés, paraissent échapper encore à cet engrenage, comme en marge du temps. C’est du moins ce qu’on éprouve au spectacle de classes qui vont au stade ou en reviennent. Au contraire des quarantenaires ou cinquantenaires, en particulier les femmes (à cause du bruit des talons sans doute) qui règnent sur les trottoirs, équipés pour ne communiquer qu’à travers leur portable, allant d’un pas alerte et résolu vers ce qu’ils ne veulent pas voir, leur remplacement, leur mort.
