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A la recherche du son parfait


A la recherche du son parfait
photo : eflon
photo : eflon

Dans le silence d’une salle de concert, des notes virevoltent dans l’air. Lumineuses, vives et joyeuses, elles dessinent des arabesques sonores et comblent de plaisir le spectateur mélomane. Et soudain plus rien, tout retombe, le son s’évapore et la note se meurt. Le silence règne de nouveau. Le pianiste s’est arrêté. Une note s’est mal intégrée dans la phrase musicale. Cela suffit pour ébranler l’harmonie musicale de la structure de l’œuvre. Tout tient à une seule note.

Accordeur magicien

C’est le moment où intervient Stefen Knüpfer, l’accordeur en chef de Steinway & Sons. Il joue une note, écoute sa tonalité, se penche sur le piano, tend les cordes, sa clé d’accord à la main, rejoue la note, se penche de nouveau, ces gestes s’enchaînement sans interruption jusqu’à ce qu’il obtienne un son plus juste et plus conforme à ce qu’exige l’interprète.
Pianomania, documentaire réalisé par Lilian Franck et Robert Cibis, met en scène, avec une petite touche d’humour, cette collaboration exaltante entre l’accordeur magicien et les pianistes virtuoses. Si une grande partie du film est consacrée à la préparation de l’enregistrement de la « L’art de la fugue » de J.S Bach interprété par Pierre-Laurent Aimart, quelques scènes montrent Stefen Knüpfer rivaliser de fantaisie avec les deux comiques musiciens, Igudesman et Joo, qui transforment le piano en drôle de gadget. Ici, la modernité délirante cohabite avec l’exigence du classique et allège le rythme du documentaire.
Si le musicien apaise les tourments de l’âme, le technicien, lui, est le médecin qui soigne la voix de l’instrument. On suit ainsi Stefen Knüpfer dans cette quête de la beauté musicale comme si on était son assistant.

Collier sonore

Après le choix du piano, viennent les longues et éreintantes heures de travail pour l’accorder afin que le son qu’il produise puisse correspondre à « la couleur acoustique » désirée par le pianiste. De même que Kandinsky parlait du « son intérieur » de la couleur, les musiciens, eux, parlent de « la couleur du son » pour signifier son expressivité.
Et tout le défi est là. Devant Lang Lang qui juge trop sombre ou trop profond une note ou Pierre-François Aimart qui souhaite que la note soit à la fois ouverte et fermée, Stefen ne perd pas son calme. Il est amusant de voir que le dialogue se fait davantage à travers des gestes qui dessinent dans l’air les formes invisibles du son qu’avec des mots.
Stefen doit faire preuve à la fois d’intuition et d’intelligence, de sensibilité et de rationalité pour comprendre l’émotion singulière du pianiste et lui donner vie en intervenant sur les manifestations physiques et objectives du son : tempo, volume, rythme. Tout se travaille depuis l’intérieur du piano. Ce sont les cordes et les marteaux de la caisse de résonance qui sont sous le feu des projecteurs et moins les touches blanches et noires du clavier. Ces cordes font penser au fil d’un collier qui fait tenir toutes les perles ensemble. Les notes, comme les perles, sont reliées entre elles et de cette articulation naît l’émotion.

La musique est en quelque sorte comme un collier sonore. On comprend alors pourquoi la crainte qu’une corde se brise hante perpétuellement Stefen.
Ce reportage convie donc le spectateur à ne plus seulement entendre la musique mais à écouter son contenu : le son. C’est cette réalité invisible et intangible, si éphémère et pourtant si puissante qui fascine et obsède en même temps. Contrairement à la lecture qui permet un va-et-vient entre les pages, l’écoute de la musique se fait, elle, dans un temps irréversible. Produit qu’une seule fois et ne pouvant être répété, le son doit être absolument parfait. Or, la perfection n’est jamais acquise de façon définitive. Elle est toujours à conquérir. Elle est l’horizon vers lequel le technicien comme le pianiste tendent. Mais l’exigence de l’artiste est infinie.
C’est la raison pour laquelle il ne peut jamais être entièrement satisfait de la totalité d’un concert mais seulement de quelques morceaux.
Le titre du documentaire sonne donc juste. Pianomania filme la passion convulsive pour la perfection du son.



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