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À la jeune fille portant abaya

Le billet de Dominique Labarrière


À la jeune fille portant abaya
Image d'illustration © YASSINE MAHJOUB/SIPA

Notre contributeur a croisé une jeune demoiselle, ayant adopté la mode « pudique »


Je vous ai croisée ce matin dans une rue de notre ville. Vous alliez au lycée, manifestement. Nous avons échangé un vague bonjour. Il n’y avait en effet aucune raison de ne pas nous saluer, là, nous qui marchions sur le même étroit trottoir d’une même ville d’un même pays. Vous portiez voile et abaya, et, me semble-t-il, vous arboriez comme une esquisse de maquillage autour de vos yeux et peut-être bien sur vos lèvres. Je m’en suis amusé. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser : « Voilà une jeune personne adepte, à sa manière, du « en même temps ». L’abaya comme volonté d’occulter toute féminité, le rehaut de cosmétique pour, au contraire, la revendiquer, la souligner. Le vêtement par fidélité à « d’où l’on vient », la famille, la communauté, ses rites, ses codes, ses impératifs, ses rigueurs. La touche de coquetterie pour, au lycée, être fille parmi les autres filles et surtout ne pas se trouver exclue des modes de relation, de séduction mais aussi de rivalités qui y ont cours. Vous me paraissiez donc comme entre deux mondes, entre deux façons de vivre et de concevoir l’existence même.

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Je me disais, est-ce si simple, à l’adolescence, l’âge des incertitudes multiples, des doutes, des questionnements infinis, de gérer en plus cette ambivalence ? De devoir se faufiler dans ce dédale de contradictions irréductibles, de s’accommoder de normes d’existence drastiquement incompatibles. Votre abaya, votre voile m’autorisaient à penser que vous cautionniez, par exemple, la pratique de la polygamie, que vous entériniez la règle selon laquelle l’homme serait supérieur en droits et en autorité à la femme, que vous considériez l’homosexualité comme une espèce de monstruosité, un délit, voire un crime, etc, etc, tout cela alors même que, là, sur l’étroit trottoir où nous croisions, vous vous rendiez dans ce qui devrait être le haut lieu d’enseignement et de partage de la civilisation à la française. Cette civilisation où au prix de mille et cent combats, mille et cent conquêtes, la voie vers l’égalité entre homme et femme a été ouverte, où la femme mariée n’est pas une épouse parmi d’autres, voire une sorte d’élément de cheptel, où l’homosexualité ne peut plus être poursuivie de quelque manière que ce soit, où surtout a été affirmé une fois pour toutes le droit imprescriptible de croire, penser, ce que l’on veut. Ce droit absolu à l’intimité inviolable de la conscience. Or, c’est bien en mettant en regard ces réalités-là que se constate dans toute sa rigueur l’incompatibilité radicale de nos deux modes d’être citoyens de France. Nier cette incompatibilité radicale est pure folie. Folie, hélas, fort répandue, on le sait…

A lire ensuite, Jean-Paul Brighelli: Abaya: culturel ou cultuel, on l’a dans le luc!

Je fais un rêve: que dans cet établissement de la République où vous vous rendez, on sache vous enseigner avec suffisamment de force les richesses, les beautés et les grandeurs de cette civilisation, la nôtre, afin que, à terme, vous puissiez y adhérer pleinement de cœur, d’âme et d’esprit. Vous ayant croisée, je me suis dit aussi que ce n’était certainement pas en continuant de s’engluer dans la France dévitalisée, dénaturée que nous vendent depuis des décennies les cuistres à costards ajustés et souliers pointus façon Mac Kinsey que nous aurons la moindre chance d’y parvenir. En attendant des jours meilleurs, Mademoiselle à la abaya, peut-être nous croiserons-nous de nouveau sur cet étroit trottoir, et sans doute échangerons-nous un petit bonjour. Ce sera déjà cela…

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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