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A l’ombre des politiques en pleurs


Mon indifférence à la politique-Swann et les socialistes-Amusement du duc et de la duchesse de Guermantes-Saint-Loup pour Marine Le Pen-Jeunes militants de l’UMP-Colère de Gilberte.

J’étais arrivé à une presque complète indifférence à l’égard de la politique et de cette campagne présidentielle quand je partis comme chaque année avec ma grand-mère à Balbec.

Comme un jeune homme que n’intéressent pas les jeunes filles, qui sait que cette indifférence le fera moquer auprès d’une certaine société de garçons toujours avides de plaisirs neufs et de joues d’adolescentes, fraîches comme des oreillers, mais qui cessera, après des années et des années, de feindre un intérêt pour ces silhouettes gracieuses qui ne lui disent rien, feinte qui lui permettait pourtant une tranquillité d’esprit mais qui, le temps passant, devenait de plus en plus insupportable car notre moi social doit malgré tout, ne serait-ce que de façon asymptotique, coïncider avec notre moi profond, j’avais moi-même dit à mes amis que je ne voulais plus entendre parler de politique, qu’elle me semblait bien éloignée de mes préoccupations présentes et qu’au fond il m’indifférait de savoir que Swann avait dit au duc de Guermantes qu’il participerait aux primaires socialistes, ce à quoi le duc avait répondu en riant, et en prenant, comme il en avait de plus en plus souvent l’habitude, la duchesse à témoin, un peu comme dans un ménage bourgeois, sans que l’on sache s’il s’agissait là d’une pose ou d’un de ces relâchements qui touche les plus grands noms quand arrive un certain âge dont ils estiment qu’il est un privilège permettant toutes les excentricités :

– Oriane, ma chère amie, voilà notre Swann qui veut aller voter aux primaires socialistes !

Et la duchesse, qui avait parfaitement entendu, mais avait décidé de jouer le jeu de son mari, avait répondu comme si Swann n’était pas là :

– Mais Basin, c’est incroyable, notre Swann, signer une déclaration d’adhésion aux valeurs de la Gauche ! Lui qui nous a fait découvrir avant tout le monte Vinteuil et Amy Winehouse, aller voter pour départager ceux pour qui voteront mon cocher, ma cuisinière et peut-être Palamède, tellement ami avec le maire de Paris.

Cette allusion à son beau-frère Charlus était-elle faite pour chagriner son mari qui la forçait à recevoir Gilberte, la fille de Swann, depuis son mariage avec Saint-Loup ou simplement voulait-elle montrer qu’elle avait lu Le Figaro le matin-même et qu’elle avait appris que les socialistes étaient favorables au mariage homosexuel et que peut-être cela concernerait monsieur de Charlus qui s’était enfin pacsé avec Morel, le violoniste ?

De Saint-Loup, je savais maintenant, c’était Gilberte elle-même que me l’avait appris deux jours après mon arrivée à Balbec lors d’une promenade sur la jetée où des jeunes gens de l’UMP, jolis et flexibles comme des fleurs, superposant dans une durée pour moi unique leurs visages différents à chaque séjour et pourtant similaires par leur jeunesse, distribuaient comme chaque été depuis cinq ans des tongues sous la semelle desquelles on retrouvait le sigle et l’image arborée du parti présidentiel, je savais donc qu’il était partisan de Marine Le Pen. Il donnait comme explication qu’il n’était pas question de voter en ce qui le concernait pour un président qui avait reculé et supprimé le bouclier fiscal.

Pour Gilberte, qui me le confia d’une voix un peu irritée, l’aversion de son mari pour Nicolas Sarkozy avait une raison à la fois plus profonde du point de vue de la psychologie et plus dérisoire du point de vue des idées, et se résumait à une question de goût, de tempérament car Saint-Loup n’avait pas supporté lors d’une remise de la légion d’honneur par le président Sarkozy à un de ses camarades officiers, revenu d’Afghanistan, la présence d’une montre Rolex au poignet du chef de l’Etat, fantaisie qu’il aurait encore admise chez le docteur Cottard ou chez Brichot mais pas chez celui qui se devait d’incarner la nation, quand bien même pour Saint Loup, du fait du régime républicain qui n’avait jamais eu ses faveurs, cette incarnation était forcément limitée, affaiblie, presque exténuée comme le seraient, à la fin de la saison, les couleurs des toiles des cabines de bain que l’on voyait devant nous, pourtant encore si fraîches sous le soleil de juillet.

– Irez-vous voter, mon cher ami ? me demanda alors Gilberte.

Et c’est là que je compris que depuis des mois, comme un dormeur qui continue une fois endormi à croire qu’il lit toujours le roman qu’il avait entre les mains et qui imagine les péripéties les plus absurdes pour les personnages, que j’avais suivi l’actualité de manière presque onirique, avec l’impression que toute cette agitation, tous ces noms qui apparaissaient, Borloo, Aubry, Royal, Mélenchon, DSK ne me concernaient pas davantage et n’avaient pas davantage d’intérêt que les personnages devenus absurdement autonomes du roman tenu par le lecteur déjà assoupi.

Je l’expliquai à Gilberte dont j’admirais le profil sur les flots, le velouté de pêche de ses joues, la courbe légèrement sémite de son nez qui venait si manifestement de Swann quand le teint était celui d’Odette, tout cela intact ou presque depuis notre première rencontre, enfants, dans les jardins des Champs Elysées, près du manège.

Elle me regarda soudain, une fois que j’eus terminé de parler, avec un insondable mépris, me renvoyant dans le neuvième cercle de l’Enfer que je voyais toujours dessiné par Gustave Doré dans cette édition de la Divine Comédie que j’avais souvent feuilletée dans la bibliothèque de Bergotte et elle me dit :

– Vous me fatiguez ! Tous ! Vous êtes tous des bouffons, des fachos ou des pédés ! Moi, je viens de m’inscrire à Lutte Ouvrière !



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