Les œillades sirupeuses de l’extrême gauche au rappeur Médine et les âneries proférées par Juliette Armanet contre Michel Sardou nous ont offert les dernières polémiques de l’été. Ces deux épisodes sont une parabole de notre situation. Qu’il s’agisse de l’islamo-gauchisme en guerre contre les républicains laïcards ou des gentils-bobos méprisant le populo, deux France se font bel et bien face.
En France, tout se passe en chansons, y compris la guerre civile culturelle. À ma gauche Médine, à ma droite Sardou : les deux polémiques de la fin de l’été ont pris pour étendards respectifs deux chanteurs. Esprits forts et ricaneurs les ont balayées, décrétant que ces mayonnaises rances avaient été montées par des journalistes en panne d’inspiration estivale et/ou des populistes habiles à exploiter les peurs et rancœurs (ineptes) du populo. Bref qu’elles étaient au mieux insignifiantes, au pire malsaines. Elles sont pourtant fort instructives.
Gauche Médine contre France Sardou
Commençons par Médine, l’invité qu’on s’arrache dans les salons de gauche, malgré ses clins d’œil – antisémites, homophobes, francophobes et j’en passe – à la jeunesse islamisée des quartiers, ou plus probablement grâce à eux. Le nouveau Victor Hugo, à en croire l’amusante Mathilde Panot, très « honorée » de le recevoir. On se demande comment ce merveilleux « jongleur de mots » n’a pas mesuré la connotation antisémite de son calembour sur « ResKHANpée », désormais aussi célèbre que « Durafour crématoire ».
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Tous les Insoumis n’ont pas l’excuse de la niaiserie. Le spectacle d’un Alexis Corbière, que l’on croyait farouchement laïque et républicain, avalant sans broncher le brouet islamo-gauchisto-wokiste concocté par son patron, est désolant. Mélenchon, qui pétainise à loisir tous ceux qui le contestent, a inventé le pétaino-cynisme – soumission à la force doublée d’un opportunisme de fer. Mais tout ça, c’est rien que du buzz inventé par l’extrême droite pour salir la gauche – comme si celle-ci avait besoin d’aide pour cela.
Quant aux insultes proférées sur un obscur site belge par une jeune chanteuse (talentueuse, paraît-il) au sujet des Lacs du Connemara – une chanson qui la « dégoûte profondément » avec sa « musique immonde », son côté « scout », « sectaire », bref « c’est de droite, rien ne va »–, les protestations qui ont suivi ne visent, dixit Libé, qu’à « raviver, une fois encore, l’espèce de guerre culturelle en cours entre la réacosphère et les autres, afin d’opposer la méchante chanteuse “wokiste” et féministe face au monument patrimonial français, et ainsi tenter de rallier avec eux ce qu’ils croient être “le peuple”». Si on comprend bien, la France qui communie en braillant (faux) Connemara, celle dont le passé (en tout cas certaines de ses pages) fait vibrer autant les prolos des périphéries que les bourges des beaux quartiers, est responsable des tombereaux d’injures que Libé et les autres sermonneurs déversent quotidiennement sur elle. Alors que l’ensauvagement, d’une part, et l’islamisation tendance antisémite de certains quartiers, d’autre part, se déploient sans fin sous nos yeux, François Hollande (pour citer un phare du progressisme) explique sans rire que « la démocratie en Europe est menacée de l’intérieur par la montée d’un populisme d’extrême droite », lequel prend sa source dans l’esprit étroit des ploucs. De son côté, Libé, journal anciennement crypto-maoïste, lance courageusement une newsletter appelée « Frontal », dédiée au combat contre l’extrême droite. Un tel talent pour être toujours du bon côté, celui du manche idéologique, force l’admiration. Mais je m’égare.
Deux imaginaires qui s’entrechoquent
Si seul un facétieux hasard de calendrier a acoquiné ces deux épisodes, ils symbolisent à merveille le face-à-face de deux France qui ne parlent plus le même langage. Précisons que la frontière entre les deux n’épouse pas strictement les clivages ethno-religieux et politiques. La France de Médine, plutôt de gauche et en grande partie musulmane, comprend, en plus des militants et chefs à plume écolos-insoumis, une grande partie des élites culturelles – férues de diversité, mais qui n’en sont guère issues. Celle de Sardou a rallié beaucoup d’immigrés, fort aise de ne pas retrouver ici l’étouffoir religieux qu’eux ou leurs parents ont laissé au pays, et pas mal de braves gens qui se disent encore de gauche. Bref, ce qui se joue, ce n’est pas musulmans versus Gaulois ou droite contre gauche, mais le choc de deux imaginaires.
Les âneries d’Armanet (un beau titre de chanson, non ?) semblent avoir vaguement embarrassé d’autres pontifiants, soucieux de ne pas effaroucher le client : même les lecteurs du Monde aiment Sardou, preuve sans doute qu’ils n’ont pas été assez rééduqués. La sympathique Juliette-à-qui-la-droite-donne-la-nausée s’est fendue d’un mail de contrition au glorieux aîné qui, bon prince, a pardonné parce qu’après tout, on a le droit de ne pas aimer ses chansons.
L’exception PCF
Ce ne sont pas Sardou et son Irlande d’opérette qui écœurent Madame Armanet et la gauche Médine, c’est cette France des clochers et des bouffeurs de curés, unie dans son refus de congédier la virilité (toxique uniquement quand elle est blanche) et rituellement dénoncée comme réac. Conservatrice et contestataire, généreuse et ronchonne, elle est coupable d’un seul crime, son refus de disparaître et même de changer pour s’adapter aux derniers arrivés. Au lieu de les remercier de bien vouloir la régénérer, elle s’accroche à ses mœurs (en particulier au doux commerce entre les sexes), voire, horresco referens, à ses traditions.
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Pour l’instant, ce vieux pays a encore pour lui la supériorité du nombre. Même alliés, islamistes et gauchistes ne sont pas aux portes du pouvoir. Pourtant, misant à la fois sur la démographie et sur l’égarement d’une partie de la jeunesse, endoctrinée à la sauce woke, les principales forces de la gauche, PCF excepté, ont choisi leur camp. Préférant l’abaya à la minijupe, vomissant tout ce qui leur paraît trop franchouillard, trop blanc, trop national et trop populaire, elles comptent sur le grand remplacement, démographique et idéologique, pour assurer la victoire politique qui leur revient de droit. En attendant le Grand Soir multiculti, le sparadrap Médine collera durablement aux doigts de cette gauche fourvoyée.
Il serait injuste de passer sous silence les quelques voix qui, de ce côté de l’échiquier politique, flairent le danger. Même Laurent Joffrin, souvent moins bien inspiré, tire à vue : « Les Verts aiment le rappeur Médine, Juliette Armanet déteste Sardou. Dans les deux cas, la gauche se ridiculise », écrit-il sur son nouveau site (LeJournal.info). Sauf que le ridicule ne tue pas. Contrairement au déshonneur, annonciateur, espère-t-on, de défaites méritées.