Pour l’écrivain et Immortel, les pillages et les destructions à travers le pays témoignent d’une hostilité radicale à ce que nous sommes. Ces émeutes reflètent la réalité d’une guerre intérieure entretenue par une extrême gauche qui joue avec le feu. À ce rythme, ce qui se profile, c’est une libanisation de la société française. Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Jean-Baptiste Roques.
Causeur. Le Conseil d’État nous a déçus en bien. Le hidjab reste interdit dans les compétitions de football en France. Est-ce un tournant ?
Alain Finkielkraut. Cette décision est inattendue et presque miraculeuse. Le rapporteur public voulait annuler l’interdiction et, comme l’a écrit Jean-Éric Schoettl, il s’appuyait sur un article de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Nous nous trouvons dans une situation paradoxale : les voiles pourraient se banaliser sur les terrains de sport en France alors qu’en Iran, les sportives risquent leur vie pour jouer tête nue. La police des mœurs ne patrouille plus dans les rues iraniennes depuis la mort de Mahsa Amini mais les contrevenantes, celles qui ne portent pas le voile, sont détectées par des caméras de surveillance jusque dans les voitures. Elles sont convoquées à la police et contraintes de s’engager par écrit à ne plus se déplacer sans voile. En cas de récidive, elles encourent une peine de prison. En France, les « hidjabeuses » étaient soutenues, il ne faut pas l’oublier, par la Ligue des droits de l’homme. Les droits de l’homme servent encore une fois d’alibi au communautarisme et même à l’oppression des femmes. Le Conseil d’État n’a pas suivi le rapporteur public, c’est heureux mais lesdites hidjabeuses n’ont pas désarmé, elles vont saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Notre joie doit donc être teintée d’inquiétude étant donné le climat général qui règne en Europe sur la question du voile.
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En attendant, on était habitué à voir les hautes juridictions françaises épouser le libéralisme à l’anglo-saxonne – toi ton string, moi ma burqa.
Bien sûr, c’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 1989 quand des collégiennes de Creil ont voulu entrer dans leur classe revêtues du voile. Elles ont été exclues du collège. SOS Racisme et le MRAP ont immédiatement protesté, ainsi que le rabbinat, l’Église catholique, les protestants et évidemment la Grande Mosquée. Confronté à cette Sainte Alliance, Lionel Jospin a saisi le Conseil d’État. Les Sages ont annulé l’exclusion des jeunes filles en affirmant que l’exigence de neutralité ne vaut pas pour les élèves. Ceux-ci viennent à l’école avec leur religion, et pour peu qu’ils assistent à tous les cours, ils ne se rendent coupables d’aucun acte de prosélytisme. Mais après cette décision, les cas litigieux se sont multipliés. Et en 2004, Jacques Chirac a chargé Bernard Stasi de former une commission de réflexion sur le principe de laïcité dans la République. La majorité de ses membres étaient hostiles à une loi d’interdiction, ils privilégiaient la négociation au cas par cas. Ce sont les auditions des intervenants de terrain qui les ont conduits à changer d’avis. Les professeurs et les chefs d’établissement ont exprimé leur désarroi devant un phénomène jusqu’alors peu perceptible en France : le communautarisme. La commission a donc préconisé l’interdiction pure et simple des signes religieux ostensibles à l’école. Et elle a été écoutée. C’est la loi du 15 mars 2004.
À l’époque, avec Catherine Kintzler, Élisabeth Badinter, Élisabeth de Fontenay et Régis Debray, vous aviez dénoncé le « Munich de l’école républicaine »…
Oui, c’était une formule que j’ai assumée, mais que je n’aurais pas forcément employée. La réduction ad hitlerum n’a jamais fait avancer les choses.
Disons un demi-point Godwin. Mais nous l’assumerons avec vous en nous réjouissant qu’il n’y ait pas eu de Munich du sport français. Seulement, au même moment, les mises en cause de la loi de 2004 se multiplient, notamment avec les abayas.
Oui, c’est un phénomène d’autant plus inquiétant que les jeunes filles qui revêtent cet habit à défaut du voile, mais en tant qu’emblème de l’islam, sont bruyamment soutenues par les députés de la France insoumise. Manuel Bompard : « Comme chaque année, on cherche à inventer une nouvelle polémique pour s’en prendre aux musulmans. Les musulmans de ce pays en ont marre de servir de chair à canon médiatique. » Thomas Portes, toujours élégant : « Vous crèverez la gueule ouverte de votre racisme rance. » Et David Guiraud : « Il n’appartient pas à l’État de décréter ce qui est un vêtement religieux et ce qui ne l’est pas. » Voilà une situation inédite. La gauche de la gauche se met au service d’une religion conquérante mais, nous disent les bons éditorialistes, c’est un fantasme réactionnaire. Cette gauche partage le diagnostic de Renaud Camus. Elle croit dur comme fer au Grand Remplacement et mise sur le changement démographique pour accéder un jour au pouvoir. Le nouveau Front populaire est prêt à tout, y compris au reniement de ses premiers principes. La gauche, c’est la laïcité ; la laïcité, c’est la gauche. Aujourd’hui, la France insoumise n’utilise l’argument de la laïcité que lorsqu’il s’agit d’effacer ce qui reste de marque chrétienne en France.
Que faut-il faire alors, une nouvelle loi ?
On doit dire ce qu’on voit, et mieux encore voir ce qu’on voit. Ce qu’on voit, c’est que l’abaya est évidemment un vêtement religieux ostentatoire et que par conséquent, ce vêtement n’a pas sa place à l’école. Il ne s’agit pas de légiférer, il s’agit d’appliquer sans transiger la loi de 2004.
On peut compter sur Pap Ndiaye… Le rapporteur du Conseil d’État avait écrit cette phrase extraordinaire : « La neutralité ne correspond pas à la réalité sociologique du football. » À ce compte-là, la neutralité ne correspond pas à la sociologie de certains établissements ou quartiers. Avons-nous le droit, au nom de l’antériorité, de nous opposer à des évolutions qui sont celles de la société ?
Nous avons des principes, nous avons aussi des mœurs, la laïcité française tient compte d’une certaine tradition de la mixité en France, de la visibilité heureuse, comme disait Claude Habib dans Galanterie française. Nous nous devons de nous inscrire dans cette tradition. Le voile, c’est un signe d’oppression, d’infériorisation des femmes. Ce n’est rien d’autre et surtout pas un droit. La France doit rester la France parce que l’alternative, c’est un recul dramatique de l’égalité.
Une autre forme de séparatisme s’est déployée sous nos yeux avec les émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, tué par un policier. Qu’avez-vous ressenti en voyant la fameuse vidéo ?
Ces images sont insoutenables. Mais il faut bien sûr aller plus loin, savoir ce qui s’est passé, entendre tous les témoignages et notamment celui du policier mis en cause. L’instruction et le procès permettront d’y voir clair. En tout cas, le « pas de justice, pas de paix » importé des États-Unis n’a pas sa place, la justice est en train de se faire.
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À la différence des hidjabeuses, les émeutiers ne sont pas islamisés…
On n’en sait rien. Cet embrasement révèle en tout cas la profondeur de la fracture française. On voudrait que les émeutiers expriment une forme de désespoir et qu’ils réagissent par la violence à la domination, à l’inégalité, au racisme et à l’abandon de la promesse républicaine dans les cités sensibles.
Qui, « on » ?
Les sociologues, la Nupes et, disons, le journalisme bien-pensant. J’ai vu passer un titre de Libération très révélateur : « Forcément, les gens se rebellent ». Il est très difficile d’accepter la vérité : ces écoles dévastées, ces mairies mises à sac, ces razzias, ces pillages témoignent d’une extériorité et d’une hostilité radicales à ce que nous sommes. Ce constat fait peur. Alors on préfère se rabattre sur la sociologie, parce que la sociologie est rassurante. Les victimes sont en fait les coupables. Et si les victimes sont les coupables, et si derrière les violences il y a une autre violence, celle de l’État, celle du racisme systémique, on peut corriger les choses. On va réformer la police, on va tenir la promesse républicaine. Mais si on n’a plus ce recours, on ne sait que faire car la question est terrible et vertigineuse. Jean-Luc Mélenchon nous dit que ces « gamins » sont accablés de problèmes. Or que font-ils ? Ils brûlent consciencieusement les solutions. Et Mélenchon, impavide, écrit : « Les chiens de garde nous ordonnent d’appeler au calme, nous appelons à la justice. »
En quoi ces positions folles des Insoumis traduisent-elles une adhésion à la thèse du Grand Remplacement ?
Un jeune homme a été tué par un policier, mais la justice s’est saisie très rapidement de l’affaire. Le policier en question a été mis en détention provisoire, ce qui est une première, parce qu’en pareil cas, les policiers sont généralement placés sous contrôle judiciaire. La justice s’exerce donc, mais pour la France insoumise, cette révolte est légitime. Toujours avec cette idée : nous avons gagné les élections législatives en Seine-Saint-Denis. Et Jean-Luc Mélenchon y a fait des scores extraordinaires à la présidentielle. Mais là, je pense qu’il se trompe, ce qui tempère mon pessimisme. Je crois que c’est un mauvais calcul. La colère des quartiers abîme les équipements publics, des crèches aux mairies. Et nombre d’habitants sont écœurés. J’espère que la France insoumise paiera très cher électoralement sa démagogie sans limites.
La fracture que vous évoquiez ne serait-elle pas territoriale autant que culturelle ?
Elle est de facto territoriale, mais elle est évidemment liée à l’immigration. La majorité des émeutiers sont sinon des immigrés, du moins des enfants ou des petits-enfants d’immigrés. Ils viennent de ces familles où l’autorité parentale s’exerce mal. Tout cela, on le sait. On peut continuer à parler des « quartiers populaires » ou des « jeunes », ce discours risible ne trompe plus personne. Surtout pas ceux qui l’utilisent.
Mais quand vous affirmez que ces émeutiers expriment « une hostilité radicale à ce que nous sommes », nous, c’est qui ? La France ? Les Blancs ?
Nous, c’est la communauté nationale telle qu’elle s’est constituée jusque dans les années 1970-1980 du xxe siècle. Oui, la communauté nationale avec des Français qu’on osait appeler de souche, avec des étrangers en petit nombre, puis des immigrés en plus grand nombre. Et cette communauté nationale se réunissait autour non seulement des valeurs républicaines, mais d’une tradition plus lointaine que tout le monde assumait, quelle que soit son origine. Ce lien fait aujourd’hui défaut.
Peut-être, mais par rapport à 2005, on entend moins parler de racisme. Les Verts sont les seuls à faire clairement une analyse raciale.
Mais moi, je ne fais pas une analyse raciale. Comme Élisabeth Badinter, dans Une France soumise, l’ouvrage dirigé par Georges Bensoussan, je constate « qu’une seconde société tente de s’imposer insidieusement au sein de notre République, tournant le dos à celle-ci, visant explicitement le séparatisme voire la sécession ». Cet antagonisme s’exprime tantôt à bas bruit, tantôt de façon insurrectionnelle. Les communautés sont côte à côte et, de temps en temps, selon la très juste expression de Gérard Collomb, se retrouvent face à face. Emmanuel Macron est pris en défaut. Cet homme plein d’espoir pensait avec la plus grande sincérité qu’à la communauté nationale pouvait lui succéder une société multiculturelle. Il avait un côté Justin Trudeau. Après avoir dit pendant la campagne de 2017 qu’« il n’y a pas de culture française mais une culture en France », il a déclaré plus récemment que « la Seine-Saint-Denis, c’est la Californie sans la mer. » Et il vient de se rendre à Marseille, sa ville de cœur. Mais à peine a-t-il le dos tourné que Marseille est à feu et à sang. Et on sait ce qu’il en est de la Seine-Saint-Denis. Toute cette espérance multiculturelle vole en éclats. Le vivre-ensemble est un village Potemkine.
Chirac était déjà sur cette pente multiculti. Pourtant, en 2005, on n’avait pas vu le pouvoir mettre idéologiquement genou à terre comme l’a fait le président en condamnant le policier au mépris de la présomption d’innocence ?
Ne soyons pas trop sévères, en l’occurrence, avec le président de la République. Il savait que la France risquait de s’embraser, il a voulu calmer les esprits, il a donc oublié la séparation des pouvoirs. Il s’est ensuite rattrapé et s’est montré très sévère avec les émeutiers. Il a appelé les parents à la responsabilité. Et il n’a pas promis une nouvelle politique des quartiers ou plus d’argent pour les associations.
Pas à l’heure où nous bouclons…
Ce qu’il faudrait, c’est une véritable union sacrée en France pour le retour à l’ordre républicain. Mais, cela ne s’est pas produit et cela ne se produira pas. La France insoumise continuera, en toute occasion, son travail de sape, et de nombreux journalistes dénonceront les surenchères de la droite et de l’extrême droite. Il en va pourtant de la survie de notre nation.
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Il y a une autre grille de lecture possible : Emmanuel Macron a cédé au chantage implicite à l’émeute et ça n’a rien changé. En plus des déclarations du président et du Premier ministre, il y a eu cette ridicule minute de silence à l’Assemblée… En réalité, nous cédons à la violence depuis des années et le résultat c’est que les « jeunes » n’ont pas peur de la police.
Mais je suis d’accord avec vous. Simplement j’accorde les circonstances atténuantes au président et j’appelle depuis mon petit appartement, dont je ne dévoilerai pas l’adresse, à l’union nationale (rires).
Pensez-vous que cela aurait été pire si Marine Le Pen avait été au pouvoir ?
Je n’en sais rien. De toute façon, si Marine Le Pen accède au pouvoir, ce que je ne souhaite pas, des émeutes éclateront le soir même partout en France, avec la bénédiction de la doxa antifasciste.
Et de la Macronie…
Peut-être pas. Ce qui fait peur aujourd’hui, c’est la convergence entre les pillards et les Insoumis. Et Houria Bouteldja a le sourire. La fondatrice des Indigènes de la République observe qu’en 2005 seuls quelques gauchistes soutenaient le mouvement, alors qu’aujourd’hui une partie importante de la gauche institutionnelle est travaillée par les luttes. Houria Bouteldja est présentée dans le journal de référence comme une militante antiraciste. C’est extraordinaire. Elle s’est photographiée à côté d’un panneau où il était inscrit « les sionistes au goulag ». Au lendemain de la tuerie de l’école Ozar Hatorah, elle a dit « Mohamed Merah c’est moi ». La voilà, leur militante antiraciste ! Beaucoup de gens s’inquiètent, peut-être à bon droit, de la montée de l’extrême droite. Ce que je constate, c’est le passage à l’extrême gauche des pires travers du fascisme – la violence effrénée des black blocs et l’antisémitisme.
Vous disiez il y a un instant que l’avenir de notre nation était en jeu… La situation peut-elle encore dégénérer ?
Elle a dégénéré. Toutes ces émeutes témoignent de la réalité d’une guerre intérieure. Parfois, ça explose. Mais le retour au calme, ce sont les agressions, les règlements de compte, le business as usual du trafic de drogue. Alors oui, nous y sommes. On peut espérer un sursaut d’une partie de la population des quartiers dits difficiles, parce qu’elle souffre de cette violence.
Pardon, mais ça fait longtemps qu’on attend que la majorité silencieuse se manifeste…
On verra. Peut-être les Insoumis sont-ils allés trop loin et seront-ils pénalisés dans les urnes. Sinon, il n’y a plus qu’à faire son alya sur Mars.
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En attendant, malgré un déploiement policier d’ampleur, l’État a hésité à réprimer… Ils ne sont pratiquement pas intervenus contre les pillages. Peut-on maintenir l’ordre en respectant scrupuleusement les droits de l’homme et les libertés ? Et le recours à la force est-il encore légitime en démocratie ?
Il faut aussi souligner qu’il y a eu plus de 250 blessés parmi les policiers et les gendarmes lors de la seule nuit du 29 au 30 juin. Et deux policiers marseillais qui n’étaient pas en service ont été reconnus par des émeutiers et passés à tabac. L’idée d’une police qui tue est totalement mensongère. Nous vivons à l’époque de la banalisation des violences antipolicières. Et ce qui inhibe les forces de l’ordre, c’est la crainte absolue de la bavure. Toute une partie de la gauche vit dans une réalité parallèle. Elle est dominée par le parler faux du racisme systémique et de la férocité policière. Il faudrait, pour la santé politique de ce pays, que cette gauche sorte de son rêve éveillé.
Quand on parle de séparatisme, certains font le rapprochement avec la situation en Israël, un pays industrialisé, civilisé, avec un État de droit, mais avec des territoires échappant à la loi commune.
Oui, mais en Israël, il y a une solution : la séparation. C’est-à-dire non la paix des embrassades, mais la paix du divorce. Ma grande tristesse est de voir les plus nationalistes prolonger indûment le mariage forcé. En France, il n’y a pas de solution à deux États. Ce que je vois se profiler, c’est une inexorable libanisation de la société française.