Passés de mode, les chapeaux ? Que nenni ! Le couvre-chef revient sur les têtes et par la grande porte : celle d’un atelier qui fait revivre, grâce à des artisans passionnés, un savoir-faire séculaire. Visite à la maison Courtois…
Alors que nous bouclons ces pages, la Grande-Bretagne vit au rythme des préparatifs du Couronnement du roi Charles III, qui aura lieu le 6 mai. Après soixante-dix ans de règne d’Elizabeth II, qui a érigé le couvre-chef en emblème royal, il est à parier que, ce jour-là, les dames de la cour et du peuple rivaliseront d’élégance.
En France, s’il semble que les chapeaux appartiennent au passé, Marguerite Courtois a fondé la maison Courtois en 2015 avec la ferme intention de redorer leur réputation !
Cette jeune femme est étonnante. Elle est encore étudiante à l’Essec lorsqu’elle crée la maison Courtois, au retour d’un séjour en Normandie. Là-bas, elle est entrée par hasard dans une chapellerie et a rencontré Frédéric, un ancien chapelier de la Maison Michel. Il lui a raconté sa passion du métier et lui a fait découvrir le savoir-faire d’un artisanat en train de disparaître. C’est ainsi que Marguerite s’est lancée, avec l’aide de Frédéric, dans l’art de la chapellerie. Et c’est un succès. Elle ouvre d’abord deux boutiques à Paris, l’une rue de Babylone (7e) et l’autre rue de Sévigné (4e), puis la haute couture fait appel à son atelier ; et dans la foulée elle reçoit les honneurs de la presse féminine.
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L’atelier de la maison Courtois est situé rue du Faubourg-Poissonnière, dans le 10e. Y pénétrer, c’est faire un voyage dans le temps, entrer dans une bulle à l’atmosphère paisible et rassurante. On peut y admirer toutes sortes de chapeaux, pour femmes et pour hommes, chapeaux cloches et panamas à l’allure délicieusement rétro. Marguerite me mène à l’étage, en haut d’un étroit escalier. C’est le lieu où Brigitte (meilleur ouvrier de France) et ses stagiaires confectionnent et ornent les créations de la maison grâce à de vieilles Singer, insurpassables machines.
Quand je demande à Marguerite de m’expliquer l’art de la confection du chapeau, elle m’expose d’abord la différence entre chapelier et modiste. Le chapelier met en forme le chapeau, à l’aide de formes en bois ; la modiste l’orne : elle y coud des rubans, des plumes ou des fleurs. La modiste est une artiste. Il n’en reste d’ailleurs que très peu à Paris, peut-être une dizaine, alors qu’autrefois il y en avait à tous les coins de rue.
Chapeau, le retour
D’après Marguerite, le chapeau revient en force depuis quelques années et il a sa saison préférée : celle des mariages, où mères et belles-mères des mariés se précipitent à la boutique pour se faire confectionner le plus beau bibi sur-mesure, et n’hésitent pas à y mettre le prix, jusqu’à 600 euros, voire davantage pour les plus élaborés.
Les hommes ne sont pas en reste, les casquettes sont très recherchées, en tweed pour l’hiver, afin de se donner une allure british, et en coton pour l’été. Les plus élégants de ces messieurs n’hésitent pas à arborer le panama.
Si Marguerite Courtois tient beaucoup à ressusciter ce savoir-faire, c’est aussi parce qu’elle se voit comme une passeuse. Et pour transmettre cet art, elle emploie de nombreux jeunes stagiaires, souvent en alternance, ce qui leur permet d’allier la théorie, dispensée dans des écoles de mode, et la pratique, au sein de son atelier.
Si ce lieu semble hors du temps, Marguerite est une femme de son époque : l’écologie lui tient à cœur et les matériaux qu’elle emploie sont made in France, hors de question de faire venir par avion des tissus fabriqués en Asie. « Cela n’aurait pas de sens », dit-elle.
Je m’approche timidement des ouvrières, toujours concentrées sur leurs ouvrages. Brigitte, la chef, me raconte être arrivée dans le métier presque par hasard. Ce n’est qu’après avoir été recommandée à une modiste qu’elle a découvert le monde de la chapellerie et le plaisir de la confection. Son mari était fourreur (le quartier du Faubourg-Poissonnière a été l’un des hauts lieux de cet artisanat, hélas en perdition) et possédait la boutique juste à côté. Elle a fabriqué des toques en fourrure pendant des années, jusqu’au décès de son époux. Elle a ensuite été embauchée par Marguerite et me confie n’avoir, depuis, jamais autant travaillé de sa vie.
À ma question « Comment faites-vous lorsque vous avez affaire à des clients qui n’ont pas une “tête à chapeaux” ? », elle me répond que cela n’existe pas, que chaque tête à son chapeau, comme « à chaque pot son couvercle ». Soyez donc rassurés si vous pensez que le chapeau ne vous sied pas, Brigitte aura la solution !
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Si les couvre-chefs amorcent un retour timide, c’est qu’ils ont quasiment disparu aux environs des années soixante. Brigitte a une théorie : la mode de la choucroute, ces chignons impressionnants, n’a plus permis aux femmes d’enfiler le moindre chapeau. Mais on les a vus revenir une décennie plus tard : on se souvient des larges capelines que portait notre BB nationale sur la plage de la Madrague, et de celle, mythique, qui ornait le visage enfantin de Maria Schneider dans Le Dernier Tango à Paris, avec cette fleur violette…
Quelques jours après la visite de l’atelier, je poursuis l’aventure au pays merveilleux des chapeaux en poussant la porte de l’une des boutiques de la maison Courtois, celle de la rue de Babylone, dans le 7e arrondissement, un antre de l’élégance parisienne. Tout est lumineux, dans les tons grèges, et une bande musicale diffuse un air de rock’n’roll : je suis accueillie au son de SpaceOddity de David Bowie, ce qui n’est pas pour me déplaire. Au mur, quelques chapeaux d’inspiration haute couture, en particulier, un modèle qui rappelle ceux de Dior des années cinquante et son fameux Newlook. Ici, tout n’est qu’ordre, luxe, calme et volupté. En apparence, car les vendeuses sont si occupées que je ne peux, pour le moment, m’entretenir avec elles. Je m’assois donc sur une jolie chaise tapissée, et j’observe. Les clientes sont en majorité des dames qui viennent se chapeauter pour le mariage de leur fille ou de leur fils.
Point d’excentricités. Le chapeau qui a le plus de succès est une toque à la Jackie O. J’aborde une dame blonde, tout ce qu’il y a de plus BCBG, qui m’affirme que, pour elle, la maison Courtois est la boutique de confection la plus chic de Paris, et que pour rien au monde elle n’irait se fournir ailleurs. Elle marie son fils et, pour l’événement, a choisi la fameuse toque à la Jackie O., dans des tons beiges et rosés. Nous faisons un brin de causette et elle tente de m’embrigader dans l’une de ses actions caritatives, je fais mine d’accepter avec enthousiasme. Je déambule ensuite dans le fond de la boutique où sont exposées les casquettes pour hommes. J’engage la conversation avec un couple originaire de Malibu. Faisons fi des préjugés ! En effet, dans ce genre d’endroit, j’imaginais plutôt des Britanniques ou des Américains venus des très chics Hamptons. Monsieur est en quête d’une discrète casquette de golf, sa femme lui reprochant d’avoir oublié la sienne chez eux, en Californie.
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Une jeune fille, américaine également, essaie des chapeaux de paille, sous l’œil attendri de son boyfriend. Dans ce monde de la chapellerie de luxe, il n’est pas rare d’entrer sur un coup de tête (si j’ose dire) et d’en sortir avec un chapeau hors de prix. J’arrive enfin à attraper au vol l’une des deux vendeuses, appelées ici « conseillères ». Elle m’explique que sa fonction consiste à vendre bien sûr, mais surtout à conseiller, à guider ces dames, que ce soit pour une petite folie ou pour une cérémonie bien sage. Les essayages pour les pièces sur-mesure peuvent prendre des heures, jusqu’à neuf, s’il s’agit d’une mariée ou de sa mère ! Il faut en effet, que les coloris s’accordent parfaitement à la tenue et que la forme du chapeau s’adapte à celle du visage… Les deux vendeuses/conseillères/personnalshoppers, ne chôment pas et répondent à mes questions tout en virevoltant d’une cliente à l’autre, prêtes à exaucer leurs moindres désirs.
Si aujourd’hui les chapeaux ne courent plus les rues, ils sont encore bien présents dans notre culture commune, grâce au cinéma notamment, et à ces films qui nous ont fait rêver : les capelines spectaculaires de Catherine et Françoise dans Les Demoiselles de Rochefort, la voilette si sexy de Romy dans Le Vieux Fusil, le chapeau de Zorro… et le fameux chapeau de Zozo que chante Maurice Chevalier, celui qui est orné d’« une plume de paon et d’un amour de perroquet ». Il n’est pas en vente à la maison Courtois, mais sur commande, tout est possible…