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Allons nous louper la révolution génétique ?


photo : widdowquinn

L’informatique évolue tellement vite que nous nous ruinons à acheter des machines déjà obsolètes à la sortie de leurs emballages. La faute à la fameuse Loi de Moore (en gros le doublement de la puissance des microprocesseurs tous les dix-huit mois[1. Certains disent tous les deux ans, d’autres tous les 1,96 ans, mais bon, vous voyez l’idée, et surtout ses résultats] depuis les années 60), véritable moteur des redoutables technologies de l’information – grâce auxquelles les cinquante dernières années ont eu peu de choses à voir avec les cinquante précédentes.

Chacun peut l’observer, la croissance exponentielle de la puissance de nos machines électroniques (ordinateur, téléphone, console de jeu ou micro-ondes…) connaît depuis dix ans une accélération elle-même exponentielle. Nous sommes désormais rendus, comme disent les scientifiques, au « point d’inflexion » de la courbe exponentielle, ce moment crucial où la courbe grimpe quasiment à la verticale et où les compteurs s’affolent. En dix ans, notre connexion internet est passée du 56K (quand une page de texte sans images ni couleurs mettait une plombe à s’afficher) à la fibre optique ultrarapide, où toute la famille connectée simultanément n’arrive pas à épuiser la bande passante. En dix ans, Google est passé du statut de start-up entre potes nichée dans un garage à celui de maître du monde. En dix ans … mais on sait tout cela.

Ce qu’ignore à peu près totalement le grand-public, c’est que l’homme lui-même, jusqu’au cœur de ses cellules, va être impacté en profondeur par la Loi de Moore. Rappelez-vous : en 2003, Bill Clinton annonçait au monde un événement considérable. Le premier génome humain venait d’être décrypté. Un exploit technologique que d’aucuns pensaient impossible et qui aura tout de même nécessité treize ans de recherche et une poignée de milliards de dollars.

Aujourd’hui, le séquençage intégral de l’ADN d’un individu est une procédure assez simple, auquel vous et moi pouvons avoir accès pour quelques milliers d’euros en Belgique ou en Suisse (c’est interdit chez nous). Dans dix ans, un profilage ADN complet vous coûtera autant que la dernière paire de Nike… Ce sera l’avènement de la médecine personnalisée, du « sur-mesure thérapeutique ». Chacun pourra connaître son fardeau génétique, et les progrès de la science — eux aussi boostés par la Loi de Moore — permettront peu à peu d’éradiquer les maladies génétiques.

Pas besoin d’être docteur en informatique pour comprendre qu’en décryptant son ADN, l’homme s’est numérisé, de la même manière qu’on a numérisé la musique au format MP3 et les photos au format JPEG. En réduisant le contenu de son ADN à une suite de « 0 » et de « 1 », Homo sapiens a posé les pieds sur le tapis roulant de la post-humanité. Bientôt, les thérapies géniques permettront de réparer nos gènes. De l’homme « réparé » à l’homme « augmenté », il n’y a qu’un pas qui bien entendu sera franchi assez vite. Car, l’histoire l’a montré, l’homme ne renonce jamais à une technologie prometteuse. Avenir radieux ou cauchemar absolu, chacun percevra à sa manière la nouvelle humanité qui s’annonce …

Contrairement aux pays anglo-saxons, la France, où ces questions ne sont pas médiatisées, ne s’intéresse pas à ces problématiques. Il est pourtant crucial qu’un grand débat s’installe dans notre pays. Voulons-nous demeurer des bio-réacs ou céder aux sirènes mouvement « transhumaniste » qui prône l’amélioration de l’homme par tous les moyens ? Voulons-nous suivre José Bové et les anti-OGM, ou au contraire soutenir une technologie qui pourrait éradiquer la faim dans le monde ? Sommes-nous propriétaire de notre ADN, et si oui pourquoi n’a t-on pas le droit de se faire séquencer en France ?

Pour le moment, point de débat. Et quand débat il y a, les grands démocrates écologistes se chargent illico de le caricaturer ou de le censurer. L’année dernière plusieurs tentatives de réunions sur les nanotechnologies ont été perturbées par les Verts ou purement annulées. Nos lois bioéthiques (très restrictives) soutenues par les décroissants et autres tenants du sacro-saint principe de précaution sont des digues efficaces contre le raz-de-marée génétique qui s’annonce. Pas de danger, la France est à l’abri du progrès. Pendant que nous nous concentrons sur les primaires du PS et les tergiversations de Nicolas Hulot, les Américains et les Chinois investissent des milliards dans les technologies du vivant. Ils en récolteront les dividendes dans dix ou vingt ans, quand le secteur des « biotechs » sera le premier moteur de croissance mondial.

Tandis que nous déblatérons à n’en plus finir sur les bienfaits des légumes bio à la cantine, les Chinois déposent brevet sur brevet. L’avenir de l’humanité se jouera donc ailleurs, dans la zone Asie-Pacifique et la Silicon Valley. Houellebecq avait probablement raison : faute de réaction, la France est sans doute condamnée dans un avenir proche à subsister du tourisme et du commerce des espadrilles… L’Homo sapiens français du futur risque d’avoir du mal à financer ses thérapies géniques, et même, pour la grande masse d’en être privé. Parce qu’au début du XXIème siècle au nom des grands principes, et en particulier de celui dit « de précaution », on n’avait pas pris nos précautions…

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Romancier, journaliste, conseiller politique, createur de l'Université du Futur

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