En mars, nous avons tous été privés d’une des émissions les plus intéressantes et inattendues de l’actualité politique française mais, pour moi comme pour tous les Juifs que je connais, la plus attendue : l’interview de Marine Le Pen sur Radio J. Des voix juives se sont élevées au sein de la « communauté » contre la diffusion d’une parole frontiste sur les ondes israélites de France et la présidente du Front national a été désinvitée. On le regrette amèrement, mais il n’est pas scandaleux qu’une radio privée communautaire refuse de recevoir un homme ou une femme politique.[access capability= »lire_inedits »] Après tout, les Juifs qui financent, qui animent et même ceux qui écoutent Radio J, et le CRIF qui représente tout ce petit monde, font ce qu’ils veulent chez eux, c’est leur droit, contrairement à Michel Drucker ou à Laurent Ruquier qui font ce qu’ils veulent sur une télé de service public qui ne leur appartient pas.
Cette décision m’a mis en colère et, si j’avais eu ma carte au CRIF, je l’aurais découpée devant la caméra de mon portable mais, je le répète, il n’y a là rien de scandaleux : je trouve juste cela indigne. Je précise à l’attention du lecteur qu’il n’y a pas de carte du CRIF et à l’attention du membre d’Égalité et Réconciliation[1. Association animée par Alain Soral] que si, bien sûr, il y en a une, mais qu’elle est secrète et qu’elle donne au porteur des pouvoirs qu’on m’interdit de nommer ici.
Une manifestation dont le mot d’ordre était « Pas une voix juive pour le FN ! » a suivi, organisée par l’UEJF qui s’inquiétait que « certains Juifs puissent être tentés d’adhérer au discours de Marine Le Pen ». Je veux bien qu’on s’inquiète pour moi et même qu’on veuille m’empêcher de céder à la tentation mais, si je ne demande qu’à être convaincu, il me faut un débat et des arguments, pas un refus du dialogue et des mises en garde. Et qu’on ne me parle pas de « vote juif ». Si je n’avais pas prévu, avant cette censure et ces injonctions, de voter FN, je crois bien que je l’aurais décidé après et, même si Moïse était descendu du Sinaï pour me dire « Front national tu ne voteras pas », je l’aurais envoyé voir là-haut si j’y suis. Même le Bon Dieu s’est montré plus libéral que les antifascistes de l’UEJF, avec son arbre de la connaissance et sa pomme, malgré sa crainte « qu’un certain Juif puisse être tenté d’adhérer au discours d’une autre tentatrice ». Le libre-arbitre, ce n’est plus bon pour les Juifs ? Réjouissons-nous que ces jeunes résistants n’aient pas le pouvoir de déclencher le déluge en cas de victoire du Front.
Marine Le Pen s’est exprimée sur cette question dans des termes qui m’auraient convaincu si Moïse m’avait fait douter, expliquant que ce refus de la soumettre à la question n’était ni démocratique, ni républicain. J’ajouterais qu’en plus, ce n’est pas juif.
Il n’est pas démocratique que les représentants d’une communauté tournent le dos à un parti politique qui, à en croire les sondages, emporte l’adhésion d’un électeur sur quatre. Cette posture a fait son temps et on ne peut pas continuer à clamer son attachement à la démocratie et prétendre œuvrer à sa défense quand on refuse d’accueillir la diversité des idées et celles portées, que cela plaise ou non, par des millions d’électeurs et par Marine Le Pen.
Il n’est pas très républicain non plus d’appréhender un débat politique avec un réflexe communautaire. On peut se demander à propos de tout et de n’importe quoi si « c’est bon pour les Juifs » mais, même sur une radio juive, nous sommes les citoyens d’une nation qui mérite qu’on se pose aussi des questions françaises. L’idéal républicain exige que l’on s’engage ou que l’on se prononce en politique dans l’intérêt supérieur de la nation et pas pour défendre les intérêts particuliers de sa classe, de sa corporation ou de sa communauté. Si certains ne peuvent pas s’empêcher de voter juif, qu’ils s’abstiennent de s’en vanter car il n’y a vraiment pas de quoi.
Enfin, ce n’est pas juif de refuser un dialogue. Depuis quand des Juifs renoncent-ils à un exercice dialectique ? Peut-on laisser le soin d’entamer une réflexion sur « Marine Le Pen et la question juive » à des goys qui devront tenter d’y apporter des réponses ou d’y ajouter des questions pendant les cinq mille prochaines années ? Il y a un contentieux entre les Juifs et le Front national à cause des provocations antisémites de Jean-Marie Le Pen et de la complaisance qui existe encore dans ce parti pour le négationnisme. L’occasion a été manquée de régler ce différend incontournable. Si Marine est une néo-nazie qui avance masquée, il n’aurait pas été difficile pour un journaliste malin qui connait Drumont, Maurras et Bernanos, un chercheur de petite bête immonde qui monte, de déjouer la manœuvre. Est-ce juif de se dégonfler devant une femme politique quand on a les moyens de la faire parler ? Si, comme elle le prétend, elle a tourné cette page sombre de l’histoire du FN, qu’on lui demande des gages, des explications, des preuves et qu’un règlement de comptes en règle serve la vérité. Si un média juif, qui est censé s’y connaître en antisémitisme, capable de traquer cette perversion dans les moindres replis des arrière-pensées, entre les lignes et derrière les mots n’est pas foutu de tendre un guet-apens à une supposée fasciste, à quoi sert-il ?
L’antisémitisme du Front national était l’un des arguments du président du CRIF pour justifier le refus de recevoir Marine Le Pen : l’islamophobie était l’autre. Richard Prasquier a repris cette idée brillante, qui depuis a fait son chemin pour accoucher d’une étoile verte dans l’esprit d’Abderrahmane Dahmane, selon laquelle les musulmans aujourd’hui souffrent de la même stigmatisation que les juifs hier. Même ceux qui ne savent pas lire mais qui ont regardé ARTE une ou deux fois au cours des vingt dernières années sentent que la comparaison est déplacée. Sans même parler de Vichy, des lois raciales, du statut des Juifs, des exclusions et des persécutions croissantes jusqu’à la solution finale, le discours anti-juif d’avant-guerre était l’exact opposé des propos actuels du FN, islamophobes ou jugés comme tels. Nos grands-parents auraient accueilli avec bonheur un débat national visant à favoriser l’émergence d’un judaïsme de France. Les ashkénases se seraient peut être méfiés d’une Haute autorité visant à punir la discrimination à l’embauche des Juifs parce que « ces trucs-là, ça finit toujours par nous retomber dessus », mais seraient restés éternellement reconnaissants. La France des années 1930 ne reprochait pas à ses Israélites leur communautarisme, elle était effrayée par leur capacité à s’assimiler un peu trop vite et un peu trop bien. Le monde de la culture, des affaires, de l’enseignement n’était pas très accueillant pour ces métèques qui jouaient le jeu de l’École républicaine, excellaient dans les études, se débrouillaient dans le commerce et occupaient des places enviées. On se demandait s’il était possible qu’un Juif comprît Racine, aujourd’hui, quand des collégiens issus de l’immigration alignent trois vers, ils remportent la palme du festival de Cannes. Le discours le plus républicain dans la France de 2011 serait stigmatisant parce qu’il invite les musulmans à ne pas trop faire bande à part. On regrette que les Juifs, hier, n’aient pas été stigmatisés comme ça.
Malgré ces réalités, des autorités juives, croyant bien faire, se dressent entre le discours nouveau du Front national et leurs ouailles, craignant d’égarer quelques brebis et de faire reprendre du poil à la bête. Marine Le Pen veut réaffirmer que la République ne reconnaît aucune communauté et elle ne se rendra jamais au dîner du CRIF. Je comprends que ça en chagrine certains : pas moi, ni comme Français, ni comme Juif.[/access]
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