Est-ce du Besancenot mâtiné d’Aubry ? Du Mélenchon nappé de Hollande et d’une larme de Duflot ? Tout le monde l’a remarqué : le discours du Front national a changé. Il a même tellement changé qu’on éprouve une certaine difficulté, au-delà de son étiquette « populiste », à lui trouver un label. L’effet du « ni droite ni gauche », que la patronne du FN brandit comme une bonne blague ? Ou plutôt, la confusion que provoque un message « et droite et gauche » qui synthétise les extrêmes et le milieu avec ?[access capability= »lire_inedits »] Ce qui frappe le plus, quand on écoute Marine Le Pen, ce ne sont pas tant ses sorties sur l’islamisation de la France, les méfaits de l’immigration ou le pourrissement des élites, finalement très convenues, très bonne fille qui veut plaire à son père. Ce qui marque davantage, ce qui sidère même, c’est l’irruption tranquille, aux côtés de l’invariable logomachine extrême-droitiste, de ce qu’on pourrait appeler un bon gros programme de gauche, avec souci des plus démunis, dénonciation des injustices et appels à la protection de l’Etat.
Explorons le programme du parti : on y croise tous les deux paragraphes les termes « iniquité », « inégalité », « injustice sociale », « solidarité », « reconquête sociale », « démocratisation culturelle », « souci du bien public », « droit de regard des représentants de salariés », entre autres notions de la même famille socio-sensible. De tract en tract, le FN s’indigne de la montée du chômage, de la précarisation de l’emploi, de la régression sociale et financière des classes moyennes et populaires, de la diminution des prestations familiales, du caractère prédateur des multinationales de l’alimentation. De meeting en meeting, il appelle à une meilleure formation professionnelle et continue, au développement de la recherche publique, à l’accès de tous à la culture, à l’accès de tous à un Internet rapide, à l’accès de tous à l’École et à l’Université, à la sécurité alimentaire, à l’humanisation du milieu carcéral, à la création d’un revenu parental significatif et identique pour les pères et les mères, etc, etc… Et toujours, pour résoudre les problèmes : la puissance publique. Avec le FN bleu Marine, l’État régulateur et protecteur est partout. Il est derrière les familles, les paysans, les pauvres, les retraités, les étudiants, les artisans, les ouvriers… Avouons que, mis bout à bout, tout ça fait un certain effet.
Un PS à préférence nationale ?
Evidemment, un bon gros discours de gauche n’utilise en principe pas la « préférence nationale » pour parvenir à ses fins, qui plus est en inscrivant ce dogme dans le préambule de la Constitution. En admettant que Mme Le Pen défende un genre de socialisme, l’application de sa doctrine est à destination très limitée. L’égalité, les allocations, la réparation des injustices, la solidarité, la protection de l’État, mais seulement pour les nationaux. S’ils ont un permis de séjour, les résidents étrangers peuvent rester, mais subissent une politique de malus du simple fait de leur non-francité. Ils paieront la Sécurité sociale 35% plus cher que les Français et n’auront aucun droit aux allocations familiales. Quand aux illégaux, leur sort est vite réglé, ils sont tous voués à l’expulsion. S’agirait-il donc d’un socialisme nationaliste, par opposition au socialisme habituel qui se donne une portée universelle ? Mais alors, le FN sous Marine serait-il simplement devenu un PS à préférence nationale ?
Certes non. Derrière l’extrême-droitisme de rigueur, le programme frontiste regorge d’ingrédients associés à la droite classique d’hier et d’aujourd’hui. Le FN décrit une France assaillie par la délinquance, appelle solennellement au retour de l’autorité, porte les valeurs familiales aux nues, promet de déclarer la vie sacrée de la conception à la mort, refuse catégoriquement le mariage homosexuel et l’homoparentalité. Il propose d’abandonner le collège unique, d’obliger les institutions culturelles à toucher un public nombreux, de réinstaurer le service militaire obligatoire, d’abaisser la majorité pénale, d’augmenter massivement le budget de la défense, d’introduire la présomption de légitime défense pour les violences policières. Etc, etc…
Idéologie ramasse-tout
Compter les points entre les versants droite et gauche du nouveau Front national aboutirait sans doute à un match nul. Nous voilà contraint d’aller chercher un oxymore : le FN sous Marine est-il un parti de « droite socialiste » ? Il semble qu’une telle appellation n’a jamais été utilisée par le passé. Par malheur, un groupuscule violemment antisioniste a récemment mis la main sur cette appellation. Malgré l’antisémitisme assumé du père Le Pen, on n’en trouve pas trace dans le programme actuel. Faux-semblant ? Possible mais, en attendant, on ne peut pas ne pas en tenir compte. Essayons « républicain nationaliste socialiste » : c’est l’étiquette que choisit Maurice Barrès pour se présenter à plusieurs élections pendant les années 1890. C’est pas mal, mais là aussi, l’antisémitisme virulent de l’écrivain fait tache, de même que son antiparlementarisme, peu compatible avec un marinisme qui promet de laisser tout son rôle au Parlement. Dernier essai : « nationaliste social » ? Bien sûr, c’est pire. Je me vois déjà traîné devant les tribunaux du politiquement incorrect pour utilisation abusive du cliché fasciste… Non, décidément, rien à faire. Le nouveau parti de Marine Le Pen paraît définitivement innommable.
En attendant qu’on trouve quand même une étiquette valable à cette idéologie ramasse-tout, une question subsidiaire pointe son nez. La plupart des commentateurs expliquent la récente montée du FN par une migration des électeurs UMP. Ils seraient désormais si coutumiers des saillies extrêmes-droitistes de leur parti qu’ils préfèreraient migrer vers un nationalisme de sang plus pur. Mais ces renégats migreraient-ils vers le FN sans son discours social ? Comment expliquer que Marine Le Pen soit en tête parmi les ouvriers qui, en d’autres temps, auraient voté communiste ? Par sa seule aisance dans les bistrots ? Avec son vieux discours de droite nationaliste, le FN tournait généralement autour des 12 %, avec un pic à 16,8 % en 2002. Marine arrive, gauchit la moitié de son discours et hop, la voilà avec des intentions de vote qui dépassent largement 20 % pour la présidentielle et des résultats de cantonales qui, dans certaines zones, chatouillent voire dépassent les 30 % au premier tour. De deux choses l’une : ou les nouveaux électeurs frontistes, qui prennent sans doute son programme social pour du pipeau, viennent subitement de se découvrir une nature profonde d’extrême droite. Ou leur désarroi, leur besoin de justice sociale et de solidarité − on pourrait dire, leur envie de gauche − sont aujourd’hui tels qu’ils se résignent à la préférence nationale comme on accepte un boulot de merde pour nourrir sa famille. En termes de probabilité, je ne vois pas photo.[/access]
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