La droite française n’existe pas, je l’ai rencontrée. On a longtemps dit que c’était la plus bête du monde. Si on en juge au temps où elle a été au pouvoir, disons depuis la Commune, elle n’est pas si bête que ça. Ou alors, il faut être bête pour occuper le pouvoir. Bête et méchant comme le peuple que l’on va gouverner et enfermer dans ses intérêts particuliers en lui faisant croire que la somme va en faire l’intérêt général. Bête et méchant comme Mac Mahon qui disait « Que d’eau ! Que d’eau ! », devant une inondation monstre après avoir fait tirer à la mitrailleuse lourde sur les Communards[1. Toujours pas de cérémonie pour en fêter en ce mois de mars le 140ème anniversaire].
La droite française n’existe pas ou alors elle existe trop et sous trop de formes, légitimistes, orléanistes, bonapartistes, René Rémond l’a montré bien mieux que moi.
Les légitimistes n’existent plus. Peut-être Philippe de Villiers ou Christine Boutin, mais on n’en entend plus vraiment parler. Eux étaient vraiment de droite. Ils lisaient Joseph de Maistre et n’auraient pas supporté qu’on brade la France éternelle à des faiseurs d’argent. Ils n’auraient même pas supporté un débat sur la laïcité puisque le christianisme l’est déjà, laïque (« Rendez à Dieu…etc »). Les légitimistes, en plus, ont donné d’excellents écrivains comme Barbey d’Aurevilly ou Léon Bloy et finalement, puisqu’ils puisaient leur programme social dans l’Evangile, ils étaient infiniment plus à gauche que l’école de Vienne. Comparez ce que dit Benoit XVI dans Caritas in veritate et ce grand moment de comique qu’est le livre de David Friedmann le fils de Milton), Vers une société sans État[2. Les Belles Lettres]. Le premier explique que c’est l’économie qui est au service de l’homme tandis que l’autre envisage froidement que les pauvres puissent vendre leurs organes à partir du moment où le contrat est rédigé correctement.
Le soir des cantonales, en tant qu’électeur, si je n’avais pas eu comme tant d’autres à arbitrer un duel PS/FN mais un duel PS/ Benoit XVI, j’aurais voté Benoît XVI. En cas de duel PCF/ Benoit XVI, j’aurais voté PCF mais j’aurais été un peu triste de laisser un autre candidat antilibéral de côté. Vous allez me dire que dans un duel PCF/FN aussi. Il y en a eu une petite quarantaine, tous remportés par le PCF sur des scores du style 65/35 à l’exception d’un canton du Var où le FN a gagné avec 6 voix d’avance.
De plus, la conversion du FN à l’antilibéralisme, je n’y crois pas vraiment, contrairement au catholicisme de Benoît XVI qui a deux mille ans derrière lui. Le programme économique de Marine Le Pen est d’ailleurs toujours « en cours de réactualisation » sur les sites Internet du FN.
Cela nous ramène à notre droite qui n’existe pas. Sans nous attarder aux troupes de l’UMP qui semblent aussi divisées sur l’alliance avec le FN que la Tripolitaine et la Cyrénaïque sur l’avenir de la Lybie, il est tout de même intéressant de souligner une contradiction manifeste. Ceux qui voudraient un scénario à l’italienne ou à l’autrichienne, « pactisons avec le FN sinon on est morts », sont les plus à droite, partisans d’une économie enfin adaptée de gré ou de force aux critères de la mondialisation mais ils veulent avoir avec eux Marine Le Pen qui désire sortir de l’euro, maintenir la retraite à soixante ans, voire nationaliser une partie du crédit pour forcer les banques à réinvestir dans la production et non la spéculation.
Cette droite-là, celle qu’encourage le président de la République et son conseiller Buisson, doit penser que le programme de Marine Le Pen, c’est du pipeau, que les fondamentaux sont toujours les mêmes – préférence nationale, hyper-sécuritarisme, fantasme de l’invasion allogène – et que c’est pour ces raisons là que le peuple vote pour le Front. Comme d’habitude, la réponse est venue des urnes pas très remplies, certes, mais dans une démocratie, celui qui s’exprime est toujours plus malin que celui qui ne se dérange même pas pour voter blanc.
Et la réponse, elle est bien cruelle. D’ailleurs pour qui a modestement fait une campagne électorale, grimpé quelques cages d’escalier et s’est promené sur les marchés avec ses tracts, elle ne faisait guère de doute. Le peuple n’en a plus grand chose à faire des hypothétiques menaces sur son identité et la première des insécurités qu’il rencontre, c’est au travail quand il est précaire et au chômage quand il est dans la misère. Le Front a compris ça, l’UMP non. Résultat, tout parti présidentiel qu’il est, l’UMP fait moins que l’ancien RPR.
C’était bien la peine de faire un parti unique, tiens. Il se délite à vitesse grand V. C’est pour cela aussi que la droite n’existe pas. Vous voyez Rama Yade dans le même gouvernement que Christian Vanneste, vous ? Sérieusement. Ou Hervé Morin et Claude Guéant ? Allons, il faut avoir la carapace dépressive d’un Fillon et sa capacité à regarder ailleurs pour supporter la droitisation dure de sa majorité : il a d’ailleurs, entre ses consignes de vote contradictoires avec celles du président et son refus de participer au débat sur l’islam, (euh pardon, sur la Laïcité, excusez moi, je maîtrise mal les éléments de langage donné par monsieur Buisson), de plus en plus de mal à faire comme si tout allait bien.
La droite française n’existe pas parce que, lorsqu’elle existait, elle s’appelait le gaullisme et en fait, le gaullisme n’était pas de droite. Il était né d’un mouvement de libération nationale et, avec les communistes au sein du CNR, avait construit les bases d’un pays qui a su en trente ans donner un haut niveau de protection sociale à sa population tout en construisant des trains à grande vitesse, des fusées, un secteur électronucléaire assurant, au moins en partie, l’indépendance énergétique de la nation, bref en confiant l’avenir à l’Etat qui sait que l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers.
D’ailleurs, les pires oppositions au gaullisme sont venues d’une certaine droite, pas de la gauche. CNI, Républicains Indépendants, Radicaux, tous ceux que Giscard, par un coup de génie, a réussi à mettre de son côté pour gagner les présidentielles de 74 et créer dans la foulée l’UDF, un conglomérat dont le seul ciment idéologique était, précisément l’antigaullisme : à l’époque, il fallait déjà de l’imagination pour trouver un point commun entre Bayrou et Madelin, entre l’agrégé de lettres classiques et les manieurs de barre de fer.
Il n’empêche, si ça se trouve la droite française qui n’existe pas gagnera quand même les prochaines présidentielles de 2012.
Ce sera sans doute un peu compliqué mais comme elle n’est bonne qu’à ça…
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