Quand on a toujours soutenu, devant des publics qui, pour être intimes, n’en étaient pas moins dubitatifs, que la pop music, sous ses oripeaux électriques, est une musique éminemment traditionnelle et n’était pas née par hasard dans cette Angleterre qui n’a jamais coupé (au rebours de notre France, qui fut révolutionnaire à cet égard aussi) avec ses racines musicales, et qui a fait honneur à Purcell comme à Dowland et à Tallis avec une constance inébranlable, un enregistrement comme celui d’Anders Danman arrive comme une miraculeuse confirmation.[access capability= »lire_inedits »] Je confesse avoir tout ignoré de ce claveciniste suédois de 52 ans jusqu’à ce que lui vienne l’idée baroque − indeed ! − de transposer quarante chansons des Beatles en deux suites pour clavecin, dans le plus pur style de la musique française du début du XVIIIe. Et de transformer les tignasses coupe au bol des quatre de Liverpool en perruques poudrées qui n’auraient pas dépareillé à la cour de Louis XV.
Anders Danman a voulu imaginer ce que François Couperin, Jean-François Dandrieu, Rameau ou Forqueray, ayant attrapé au vol les mélodies des Beatles en marchant dans les rues de Paris, en auraient fait une fois rentrés chez eux, devant leur clavecin. Et s’il explique que l’expérience n’a pas marché à tous les coups − « Eight Days a Week faisait une pauvre allemande, et je n’ai jamais pu transformer Being For the Benefit of Mr Kite en courante » – ce qu’il nous en livre s’avère plus que convaincant. Si plusieurs chansons ont nécessité un travail d’harmonisation tel qu’on les reconnaît difficilement à la première écoute (Nowhere Man métamorphosé en tambourin endiablé, ou cette fusion Yellow Submarine-Eleanor Rigby en musette aux sonorités curieusement orientales), c’est avec une immédiate jubilation qu’on identifie Ob-La-Di, Ob-La-Da transformée en gigue, ou la voluptueuse version de Here, There and Everywhere en courante.
Si l’on n’est pas surpris de constater que les compositions de McCartney se prêtent le plus facilement à la transposition (la gavotte All My Loving, ou un Your Mother Should Know plus Ancien régime que nature), entendre celles de Lennon, a priori moins propices à l’exercice, se fondre dans le moule achève de convaincre de sa pertinence, au point qu’il est difficile d’imaginer, après avoir entendu les versions d’Anders Danman, que The Continuing Story of Bungalow Bill ait jamais été autre chose qu’une gigue, Strawberry Fields un entraînement passepied, ou que Norwegian Wood n’ait pas été, de toute éternité, une musette qui faisait swinguer la noblesse du temps de la Régence. Qui se serait aussi régalée, bien sûr, de la version bouffonne d’une chanson qui n’aurait pas manqué de faire fureur, quelques années plus tard, à la cour de Versailles : Revolution. On attend maintenant d’Anders Danman qu’il se livre à une autre métamorphose miraculeuse : révéler le disciple de Bach qui se masquait sous la mine joufflue et les chemises de surfeur de Brian Wilson, le compositeur des Beach Boys.[/access]
All You Need (Les Beatles à la manière de Rameau et de Couperin)
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