Les cantonales, ont achevé le processus de schizophrénisation générale des partis politiques, à l’exception des deux Fronts, celui de gauche et le front « national » – ou qui s’affirme comme tel, car je ne vois pas pourquoi il faudrait laisser le monopole du national à Marine Le Pen, étant entendu que tout ce qui est national est nôtre, à gauche, puisque c’est nous qui l’avons inventée, la nation, quelque part entre 1789 et 1792. Et c’est nous qui l’avons revivifiée à travers deux siècles de conquêtes sociales, une bonne demi-douzaine de révolutions souvent matées dans le sang par la bourgeoisie sous le regard bienveillant d’une puissance étrangère comme ce fut le cas de la Commune de Paris dont on fête, hélas avec une discrétion de violette, le cent quarantième anniversaire en ce mois de mars 2011.
Il est vrai qu’il devient de plus en plus difficile de voter pour des partis schizophrènes. L’abstention n’est pas seulement due à une paresse intellectuelle de type poujadiste, « tous les mêmes, tous pourris », mais aussi à une certaine réticence à voter pour des familles politiques qui comme certains grands malades mentaux souffrent de personnalités multiples.
Revue de détail :
Je désire voter calmement à gauche : j’ai le choix entre les écologistes et les socialistes. On a l’impression, comme ça, que ce sont des gens sérieux. En plus, ils ont l’air capable de s’entendre. Bon, pour l’instant, ils sont surtout capable de s’entendre pour présenter des candidats uniques dans les deux derniers conseils généraux tenus par des communistes, l’Allier et le Val de Marne, manip qui d’ailleurs semble avoir échoué.
Donc, je décide de voter socialiste et là, problème, je m’aperçois que le Parti socialiste n’existe plus depuis qu’en 2005, ses électeurs comme ses responsables se sont partagés sur le referendum pour le TCE. Depuis, pour des raisons de mode de scrutin qui ne permet pas, sauf à risquer la modémisation, de créer son propre parti, le PS survit surtout comme cartel électoral. Parce que si vous enfermez dans une même pièce Valls et Gérard Collomb d’un côté, Hamon et Fabius de l’autre, vous allez vite comprendre ce que signifient « divergences idéologiques insurmontables. » Comme le PS a tendance à gagner, cette fois-ci encore, toutes les élections intermédiaires, ça ne se voit pas trop. Mais il risque d’y avoir du sport quand un Emmanuelli verra débarquer en sauveur suprême Dominique Strauss-Kahn.
Bon, vous choisissez alors de voter écologiste parce que vous avez les tympans résistants à la voix de Cécile Duflot et que vous n’avez pas peur de vous enrhumer quand vous vous approchez d’Eva Joly. Là, à nouveau, se pose un problème. Pour quel écologiste votez-vous ? Le représentant des classes supérieures aisées, soucieuses de leur bilans carbone, qui ont les moyens d’installer une pompe à chaleur dans la copropriété et des panneaux solaires dans la maison secondaire du Lubéron ou pour un type du genre d’Yves Cochet, malthusien décroissant, qui promet un monde formidablement joyeux de carottes râpées, d’enfants uniques et de douches de cinq minutes. Voter Vert aujourd’hui, est-ce voter pour une nouvelle bourgeoisie dont le souci pour l’environnement est surtout ornemental ou pour des ayatollahs de la décroissance ? Est-ce voter pour ceux qui sont vraiment contre le nucléaire ou ceux qui se diront que Paris vaut bien une messe et un maroquin un réacteur EPR ?
Laissons la gauche et imaginons-nous un instant dans la peau d’un électeur de la droite ou du centre.
Je ne suis pas très content du virage moyennement humaniste de l’UMP de Guéant et de Chantal Brunel, je n’aime pas que l’Etat organise et instrumentalise des débats sur l’islam et l’identité nationale, je suis attaché à une certaine décence dans le comportement des hommes de pouvoir et il n’est pas certain qu’un vieux fond catholique en moi ne se soit durablement hérissé pendant « l’été rom » ou à la lecture de certains articles (d’ailleurs retoqués par le Conseil Constitutionnel) de la loi Loppsi 2 comme les peines planchers pour les mineurs. Je vais donc voter au Centre.
Mais là aussi, de quel centriste parle-t-on, à quelle mouvance, tendance, groupe appartient mon candidat centriste ? L’infiniment petit a autant de variété que l’infiniment grand nous a appris Pascal. Mon centriste est-il du Modem, c’est à dire plus à gauche que certains socialistes ? Est-il un partisan de Jean Arthuis, c’est-à-dire plus monétariste qu’un banquier européen ? Est-il pour Hervé Morin, c’est-à-dire un « nouveau centriste » vexé par le mépris de l’UMP ? Est-il enfin pour Borloo dont l’OPA sur la maison radicale valoisienne semble avoir été essentiellement motivée par la déception de ne pas avoir eu Matignon ?
Non, tournons-nous franchement vers la droite et vers l’UMP. L’UMP est le parti unique de la droite, c’est bien connu depuis Juppé. À condition d’oublier qu’il y a dans son organigramme une bonne demi-douzaine de formations « associées » et que coexistent des sensibilités qui vont des vestiges du gaullisme social à la volonté de moins en moins cachée de faire alliance avec le Front National, du colbertisme traditionnel en matière économique à des fanatiques de la dérégulation. C’est vrai, quoi, qui se cache vraiment derrière cette bonne tête de notable qui n’ose d’ailleurs même plus mettre le sigle UMP sur son affiche et se contente d’un vague « Majorité présidentielle », qui se cache vraiment ? Un fan de Copé pour qui PS et FN, c’est pareil ou un partisan de NKM ou de Fillon qui restent profondément allergiques à un certain ethnopopulisme, actuellement en vogue à l’UMP pour contrer le FN avec le succès que l’on sait ?
Non décidément, il ne restait que deux partis possible pour l’électeur qui voulait être sûr du corpus idéologique de son candidat.
Le Front national d’abord. Bien entendu, dans 90% des cantons, personne ne connaissait localement son candidat. Mais enfin, mettez la tête de Marine Le Pen sur la profession de foi, comme sur n’importe quel news, et un manche à balai parachuté est certain de faire un score à deux chiffres et de pouvoir se maintenir au second tour dans quatre cents cantons, rien que ça… Mais le programme est clair : national et social. Oxymore, chimère ? En tout cas, ça fait voter dans les quartiers populaires et plutôt en nombre. On reprend timidement les chemins de l’isoloir comme pour espérer encore.
Heureusement, il y a aussi, gardons le meilleur pour la fin, le Front de gauche. Vous ne le savez pas, mais pour monsieur Guéant comme pour les plateaux télé, le Front de gauche n’existe pas, contrairement au Front National. Car c’est une coalition. C’est tout de même ennuyeux parce que le Front de Gauche a doublé les écologistes, fait 9% et un score à deux chiffres si on le rapporte aux cantons où il était présent. Le Front de gauche, composé du PCF (enfin, je crois), du PG et de la Gauche unitaire, quand on le laisse parler, a un programme aussi clair que radicalement opposé à celui du Front national. Comme les mots ont leur importance, le Front de gauche n’est pas la gauche de la gauche, ni même l’extrême gauche, ce qui ne veut rien dire mais l’autre gauche. C’est à dire une gauche de rupture mais en mesure, demain, s’il le faut, de prendre le pouvoir avec les gens qu’il faut aux places qu’il faut. (Pas sûr que le FN puisse pour l’instant se targuer d’un tel réservoir de compétences, mais bon…)
L’air de rien, dimanche prochain, il y aura plusieurs dizaines de cantons où le second tour sera un duel entre Front national et Front de gauche. Ces cantons, souvent populaires, seront très intéressants à observer. Méfiants par rapport à une économie de marché qui les paupérise chaque jour un peu plus, hostiles à un libre-échangisme dont décidément ils ne voient pas ce qu’il leur apporte à part une précarité toujours plus grande et le partage, comme pour l’eau ou la santé, entre quelques opérateurs privés qui vont leur vendre ce qui était déjà à eux, ils vont voter pour les deux seules forces cohérentes, celles qui veulent changer la vie.
Ou si vous préférez, pour celles qui font de la politique, de la vraie. Pour le meilleur et pour le pire.
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