C’est la cacophonie. Depuis deux jours, l’actualité française est dominée par un fait politique majeur : l’UMP doit-elle donner des consignes précises de vote à ses électeurs, dans le cas où son candidat ne serait pas présent au second tour d’une élection cantonale et que le scrutin se jouerait en un hypothétique duel opposant le FN à un représentant d’un parti de gauche ? Bref, le parti présidentiel doit-il jouer le jeu du Front républicain, cette règle qui prévaut depuis des lustres dans le pays et qui a fonctionné si bien que le FN n’a cessé d’accroître son électorat tandis que la droite républicaine perdait pied à chaque élection locale ?
Bref, l’UMP doit-elle se contenter de se faire battre au premier tour ou doit-elle aussi jouer les violons dans l’orchestre du bal au second ? Un bal, oui, bien sûr : on ne va pas déployer les registres des grandes orgues pour si peu. Des élections cantonales restent des élections cantonales. Que siège – éventuellement – dans l’une ou l’autre assemblée départementale un élu FN n’est pas une infamie en soi. Ou alors il faut organiser des sit-in permanents d’indignation devant le siège des Conseils régionaux français, dont chacun compte l’un ou l’autre élu frontiste. Ne pas oublier non plus de déployer banderoles et calicots devant les Hôtels de Ville, quand s’y tient un conseil municipal et qu’un élu du Front national vient y rejoindre sa place.
Tout cela porte un nom. Cela s’appelle la démocratie : ce système est si méprisable qu’il se trouve élues des personnes dont on ne partage ni les idées ni les valeurs. Il est si méprisable qu’il se trouve même élus des candidats qui n’ont à l’évidence aucune compétence pour exercer correctement le mandat qui leur est confié.
Dès lors que l’on admet ça, on peut s’attendre à tout, puisque la démocratie est, par nature, un système imprévisible. S’attendre à tout pour les élections cantonales actuelles, c’est s’attendre, en réalité, à ce qu’aucun élu frontiste ne soit en mesure d’être élu dimanche. S’il y en a un – ou dix –, la belle affaire : il siègera dans des assemblées départementales où il n’aura pas son mot à dire. Enfin, si, il l’aura. Il pourra s’exprimer, parce que la minorité a toute latitude à s’exprimer dans les conseils généraux. Mais une fois qu’il aura répété dix fois qu’il est favorable à l’instauration de la préférence départementale contre la mondialisation, qu’il aura répété, contre Brassens, qu’on est moins imbécile d’être né ici plutôt que quelque part, on ne l’entendra même plus. L’écouter sera oublié depuis longtemps. Et l’on passera au point suivant.
Le point suivant, il concernera quoi d’ailleurs ? Pas grand-chose à vrai dire. Les transferts qu’a accomplis l’Etat – depuis Michel Rocard et la création du RMI devenu RSA – sur les départements ont fait augmenter à un tel point ce qu’on appelle dans un budget le « contingent d’aide sociale » que toute marge de manœuvre politique a disparu, en réalité, de l’échelon départemental. Ajoutez à cela les dépenses quasi-obligatoires que sont les routes départementales et le transfert, sous Jean-Pierre Raffarin, des anciennes directions départementales de l’Equipement (DDE), vous pourrez, à peu de choses près, considérer le champ des possibles qui reste à un exécutif départemental. Un président de Conseil général n’a aujourd’hui comme latitude politique qu’à choisir la couleur du papier du carton que ses services expédieront pour inaugurer un projet qu’il n’a pas voulu mais que la simple technique impose. Si jamais il veut innover, la meilleure chose qu’il pourra faire c’est mettre l’ingénierie départementale au service des communes et des intercommunalités… J’exagère, je sais. Mais à peine. Les différents rapports de la Cour des Comptes sur la décentralisation nous montrent, depuis des années, que les collectivités territoriales encaissent le contre-coup de l’absence de réforme de nos administrations centrales. On accuse les collectivités territoriales de plaies dont l’Etat n’a pas voulu se soigner lui-même.
On m’objectera : la RGPP ! Sous ce sigle, se cache la « Révision générale des politiques publiques ». Elle a été adoptée il y a trois ans. Mais entièrement conçue par des représentants de l’administration centrale, elle ne concerne quasiment, sur la réduction de la fonction publique, que les cadres de catégorie B et C. La catégorie A, désolé, mais pas touche : ce sont des copains, on a fait les grandes écoles ensemble, même qu’on a bu des coups. Il faut être des barbares pour vouloir porter un coup à une aussi belle amitié.
Oui, et le Front républicain dans tout ça ? Bah, on veut viser le front, mais, maladroit, on se met le doigt dans l’œil. Pour une bonne et simple raison : si les partis politiques et les élus avaient encore quelque influence sur leur électorat, ne croyez-vous pas que, malgré leurs appels répétés, leurs électeurs se seraient déplacés en nombre afin de voter pour eux au premier tour ? Ne croyez-vous qu’un candidat UMP, qui s’est fait éjecter à l’issue du premier tour, ne se fait pas beaucoup d’illusion sur ses capacités à donner quelque consigne de vote que ce soit à « ses » électeurs pour le second ?
Il ne faut pas avoir usé longtemps ses fonds de culotte sur les bancs de Sciences-Po, pour comprendre une chose : les électeurs font ce qu’ils veulent. C’est le mot qu’on prête à François Ier : « Souvent femme varie, bien fol qui s’y fie. » Il vaut pour le corps électoral français actuel, où les consignes de vote, les admonestations, les mains pressées sur le cœur ne signifient rien quand, seule, compte la libre expression du suffrage.
En 2007, Ségolène Royal – qui, je le rappelle en passant, était la candidate socialiste à l’élection présidentielle – faisait si confiance au peuple qu’elle en appelait à la « démocratie participative » et qu’elle poussait l’idée jusqu’à vouloir instaurer des « jurys populaires » aptes à déterminer le bien-fondé des décisions des élus. Que fait-on quand un jury populaire estime qu’un élu FN est fidèle à ses engagements ? On le convoque place Tien-An-Men, le jury populaire ? Et on lui fait rouler des chars dessus ? Je prends l’exemple chinois à dessein, parce que la justice de ce pays est, quand même, plus expéditive que la nôtre…
« F comme fasciste, N comme nazi » n’a jamais constitué une politique. Mais une simple insulte crachée aux victimes. Ce qui est déjà trop.
Dans ces conditions, le Front républicain n’est pas une solution. C’est une supercherie. Le Front national n’est pas républicain ? Soit ! Alors, interdisons-le comme en 1936 le Front populaire a dissous les Ligues ! Exilons Marine Le Pen sur l’île d’Elbe. Non, j’ai mieux : Sainte-Hélène. Demandons aux Anglais de la surveiller si nous ne pouvons le faire nous-mêmes. L’autre option possible, c’est de le battre, le Front national, dès le premier tour, et de le faire rendre à des pourcentages dignes d’un Tixier-Vignancourt. Mais qu’on ne convoque pas, de grâce, les plus belles idées, qu’on ne décroche pas La République en danger pour queue de chique. Oui, de grâce. Pas pour un canton.
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