C’est un appel à la violence planqué sous l’étendard de la révolte contre l’injustice. Invité à commenter le printemps arabe sur le site des Inrocks, le cinéaste Abdellatif Kechiche appelle le peuple de France à se soulever à son tour contre ses tyrans. Enfin, pas tout le peuple, mais le vrai, celui des banlieues. Il rêve de voir cette révolte populaire se propager « à toutes les démocraties corrompues, partout où sévissent l’injustice sociale, le mépris et l’humiliation des hommes ». Puis il lâche le morceau : « Je rêve d’un soulèvement de nos banlieues. » Rappelons que dans la réalité qui n’a pas grand-chose à voir avec les rêves de Kechiche, le résultat des émeutes en banlieue se résume généralement à des équipements publics détruits, des policiers blessés et des jeunes arrêtés. Et qu’elles ne font pas plus advenir un avenir radieux que les centaines de millions d’euros dépensés depuis des années. Apparemment, cette subtile comparaison entre la France et des pays où règnent l’arbitraire et l’injustice n’a pas fait bondir, ni même étonné, les deux journalistes des Inrocks qui n’ont pas jugé nécessaire de demander au cinéaste quelle forme devrait prendre cette nouvelle révolution française et le sort qui serait réservé à ses ennemis.
Il faut dire que Kechiche est en phase avec l’air du temps: de Marine Le Pen à Jean-Luc Mélenchon, en passant par toute la planète radicale-chic, on répète avec gourmandise que la France est confisquée par une clique d’exploiteurs avides. Mais lui ne se contente pas d’opposer la France d’en haut à celle d’en bas, il dresse l’une contre l’autre celle des banlieues et celle des villes, en clair, la France d’origine étrangère et la France blanche. Pour lui, notre pays ressemble à la Tunisie de Benali et à l’Egypte de Moubarak. Il est bien connu qu’on torture dans les commissariats de banlieue, que notre justice est implacable et que nos prisons sont pleines d’opposants politiques.
Il serait mesquin de faire observer à Kechiche que cette dictature corrompue l’aide à financer d’excellents films, comme celui qu’il a consacré à la vénus noire, cette femme montrée comme un animal de foire à une époque où le racisme était une opinion et non pas un délit puni par la loi. On a plutôt envie de rappeler qu’il est aussi l’auteur de L’Esquive, où de jeunes Français des cités se grandissent en aimant la langue de Marivaux et la grandissent en l’aimant. Sans gommer la complexité d’un monde où le dominé est souvent le dominant d’un autre, il y défendait le droit pour tous de prendre cet héritage en partage et invitait la jeunesse des banlieues à se battre avec les armes de l’esprit et de la culture. Aujourd’hui, il l’appelle à la guerre civile.
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